Les plus anciennes roches connues, les gneiss d’Acasta au Canada, atteignent un âge de 4,031 Ga (milliards d’années). Elles marquent le début du deuxième éon de la Terre, l’Archéen, qui s’achève il y a 2,5 Ga. La Terre était certainement très différente de celle d’aujourd’hui. Ses roches n’étaient pas les mêmes. Aujourd’hui, la croûte continentale supérieure est principalement granitique. Des roches sédimentaires recouvrent 73 % de sa surface : essentiellement des sédiments terrigènes (ou silico-clastiques, produits par l’érosion), des roches carbonatées (dont du calcaire et de la dolomite) et des évaporites (gypse, halite…). Durant l’Archéen, les sédiments étaient rares. Les roches étaient principalement magmatiques et elles ont été plus ou moins métamorphisées. Elles sont conservées dans 35 cratons de diverses tailles, dont celui d’Amérique du Nord. On les retrouve aussi dans des ceintures orogéniques, c’est-à-dire des des anciennes chaînes de montagnes, du Paléoprotérozoïque (de 2,5 à 1,6 Ga). Ce sont les noyaux des continents actuels.
Les roches archéennes
Les roches de la croûte continentale archéenne étaient rarement des granites, même si elles avaient une composition voisine : c’était des tonalites, des trondhjémites et des granodiorites, souvent désignées collectivement comme des TTG. Contrairement aux granites, elles sont pauvres en feldspaths potassiques, voire en sont dépourvues, mais riches en feldspaths plagioclases (à sodium et calcium). Les minéraux sombres sont la biotite (mica noir) et plus rarement l’amphibole. Comme les granites, se sont des roches plutoniques : elles se sont formées par solidification d’un magma dans les profondeurs de la croûte terrestre, si bien qu’elles sont entièrement cristallisées et que les cristaux sont assez grands pour être visible à l’œil nu. On dit que ces roches sont grenues. Elles étaient très abondantes durant l’Archéen. Les gneiss d’Acasta sont des TTG métamorphisées. La Terre a continué à produire des TTG au début du Protérozoïque, jusqu’il y a environ 2 Ga, puis elles se sont raréfiées. Il existe des granites archéens, similaires aux TTG mais plus riches en potassium. Ils sont tardifs, avec des âges n’excédant pas 2,9 Ga, et ont peut-être été produits par fusion partielle des TTG.
Le magmatisme archéen est à l’origine des ceintures de roches vertes. Elles comprennent d’abondants empilements de laves basaltiques, qui peuvent atteindre 10 km d’épaisseur. La présence des laves en coussins montre que ces coulées ont été sous-marines. Ce sont des basaltes tholéiitiques, à la composition proche des basaltes des dorsales médio-océaniques (MORB) modernes mais plus riches en éléments traces incompatibles. Dans les ceintures de roches vertes, on rencontre aussi une roche volcanique propre à l’Archéen : les komatiites. Elles doivent leur nom à la rivière Komati en Afrique du Sud. C’est une roche dite ultrabasique parce que son taux de silice est inférieur à 45 %. Les basaltes, roches basiques, ont entre 45 et 52 % de silice, et les granitoïdes, roches felsiques (riches en feldspaths et silice), en ont plus de 63 %. Les péridotites, roches du manteau dont le principal minéral est l’olivine (ou péridot) sont également ultrabasiques, et de fait, les komatiites ont presque la composition d’une olivine avec un taux élevé de magnésium. Elles proviennent de la fusion à 50 % du manteau, qui devait être de 200 à 300°C plus chaud qu’actuellement. La température du magma devait être comprise entre 1 600 et 1 800 °C. La Terre ne produit plus de komatiites depuis la fin de l’Archéen, à une exception près, sur l’île de Gorgona au large de la Colombie durant le Crétacé.
Les sédiments archéens, qui occupent des positions superficielles dans les ceintures de roches vertes, sont très différents des sédiments modernes. Il y a des formations ferrifères rubanées, qui doivent leur existence à la présence d’ions ferreux dans les mers. Ce fer aurait précipité grâce à l’activité de micro-organismes pratiquant la photoferrotropie anoxygénique (ils obtenaient leur énergie en oxydant des ions ferreux sans émettre d’oxygène libre) peut-être dès 3,77 Ga. La production d’oxygène parmi les premiers organismes oxygéniques, il y a 3,2 Ga, auraient ensuite participé à la précipitation de ces formations ferrifères. Elles comportent également des couches de chert, qui sont siliceuses. Du chert a également pu être formé par silicification de roches préexistantes, autour de sources hydrothermales. Les sédiments terrigènes (produits par l’érosion) archéens sont rares, ce qui signifie qu’il y avait peu d’érosion à cause du manque de reliefs. Des grès et des conglomérats (des cailloux cimentés) apparaissent en haut des ceintures de roches vertes. Elles comportent aussi des intercalations de laves felsiques, souvent sous forme de tufs (des cendres volcaniques) témoins d’éruptions explosives. Ils sont classés parmi les roches sédimentaires.
La subduction des plaques océaniques produit sur la Terre un volcanisme d’arc. On l’appelle ainsi parce que les volcans sont alignés le long de la zone de subduction, formant des chapelets d’îles quand ils sont océaniques. Les laves produites sont calco-alcalines : leurs feldspaths ont une composition intermédiaire entre un pôle alcalin (avec les cristaux d’orthose) et un pôle calcique (les anorthites). De telles laves n’ont pas été trouvées dans les terrains archéens. Il existe cependant, en haut des ceintures de roches vertes, des laves « à affinité d’arc ». Elles ont actuellement produites dans des zones de subduction, mais dans des conditions particulières. Il s’agit de boninites, qui sont des basaltes magnésiens présents dans les îles Bonin, ou de shoshonites, des laves dont le potassium provient de sédiments. Il est très risqué d’expliquer la composition de ces roches par une subduction archéenne.
Les ceintures de roches vertes ont été assez bien préservées malgré leur ancienneté. Leur degré de métamorphisme est faible. Leur qualificatif provient de la couleur verte de minéraux, comme la chlorite, produits par le métamorphisme des basaltes. Les TTG ont souvent été métamorphisées à un degré supérieur, dans le faciès amphibolite, et sont devenus des orthogneiss. Ils forment des complexes de gneiss gris. Le contact avec les ceintures de roches vertes est majoritairement tectonique, c’est-à-dire qu’il se fait par l’intermédiaire de failles. Il y a donc eu un déplacement des unités géologiques les unes par rapport aux autres. Il peut aussi se faire de manière intrusive : par injection de magma dans des roches préexistantes.
Ces ceintures de roches vertes ont été interprétées comme des reliques d’océans archéens, mais ce sont des formations intracontinentales. Bien que leurs basaltes aient une composition comparable à ceux qui tapissent le fond des océans modernes, les MORB, ils sont associés à des roches « exotiques » que sont les komatiites, ainsi qu’à des basaltes magnésiens, sans équivalent dans les océans modernes. On n’y trouve jamais la structure des croûtes océaniques, avec des basaltes en filons et des gabbros sous les laves en coussins. Contrairement à elles, les ceintures de roches vertes ne reposent pas sur le manteau mais sur les gneiss felsiques des cratons.
Cet inventaire des roches archéennes, presque uniquement magmatiques, donne l’impression que, durant cet éon, la Terre était une planète exotique, très différente de la Terre actuelle. Il n’est pas sûr que la tectonique des plaques y ait existé. Rien de l’évoque : on ne reconnaît aucun rift, aucune zone de subduction ni aucun arc volcanique qui lui serait lié, aucune collision de continents. Et ce, alors qu’une théorie communément admise explique la création des TTG par la subduction de plaques océaniques. Ces roches se formeraient, précisément, dans des arcs volcaniques semblables à ceux qui entourent l’océan Pacifique mais fonctionnant d’une manière différente puisque la Terre était plus chaude. Les plaques en subduction subiraient une fusion partielle durant leur descente dans le manteau, qui produirait le magma à l’origine des TTG.
La jeunesse de la Terre d’après Warren Hamilton
Parmi les géologues ayant maintenu que la tectonique des plaques n’existait pas durant l’Archéen et ont fourni des théories alternatives, on peut citer l’États-Unien Warren Hamilton et le Québécois Jean Bédard. Un article a été déjà consacré ici au premier en novembre 2019, suite à une publication posthume de ses travaux, mais sa théorie n’a été exposée que très brièvement. Toute l’histoire de la Terre est révisée depuis son premier éon, l’Hadéen (de sa formation il y a 4,57 Ga au début de l’Archéen).
Voir L’histoire de la Terre doit-elle être révisée ?
Durant une brève période après son accrétion, la Terre a pu être entièrement fondue. Son noyau métallique et son manteau silicaté se sont rapidement différenciés. L’océan de magma qui recouvrait la Terre s’est solidifié puis une protocroûte mafique d’environ 100 km d’épaisseur s’est constituée il y a 4,4 Ga par extraction du manteau supérieur. Pour Hamilton, c’était une croûte mélabasaltique (du basalte noir) constituée principalement de clinopyroxènes, de grenat et de hornblende (une amphibole). Tous ces minéraux sont des silicates sombres. L’extraction de cette croûte, qui s’est effectuée à très haute température, a appauvri le manteau supérieur. Il était initialement formé d’une variété de péridotite appelée la lherzolite, comprenant de l’olivine, des orthopyroxènes et des clinopyroxènes. Son appauvrissement l’a transformé en harzburgite, avec de l’olivine riche en magnésium (de 92,0 à 93,6 %) et de l’enstatite (un orthopyroxène), ou même en dunite, qui ne contient plus que de l’olivine et est extrêmement réfractaire.
À son tour, la fusion partielle de cette protocroûte a produit un magma qui a formé les premières TTG. Appauvrie par cette fusion, la protocroûte s’est délaminée : des morceaux se sont détachés par le bas pour « couler » dans le manteau supérieur harzburgitique ou dunitique moins dense. Le processus s’est poursuivi jusqu’à ce que la protocroûte disparaisse presque entièrement. Il est possible que des granulites (des roches métamorphisées à haute température) à grenat de la croûte profonde archéenne qui affleurent actuellement soient des reliques de la protocroûte appauvrie. En conséquence de la disparition de cette dernière, les TTG de la croûte archéenne, métamorphisées en gneiss, reposent directement sur le manteau.
Le fait que les TTG proviennent de la fusion partielle de roches mafiques hydratées a été démontré. Si la théorie de Hamilton tient compte de cette contrainte, elle le fait d’une manière tout à fait inattendue. L’eau ne provient pas d’océans mais de la fusion de la hornblende contenue dans la protocroûte mafique. Ce minéral est en effet hydroxylé, ce qui lui permet de libérer de l’eau quand il fond. Quant aux zircons hadéens, dont l’âge atteint 4,4 Ga, ils ne témoignent pas non plus de l’existence d’océans, mais seulement de magmas hydratés.
Il faut garder à l’esprit que le magma à l’origine des TTG n’a pas atteint la surface. Il s’est cristallisé en profondeur, dans des plutons qui sont aussi appelés des batholites. Les volumineux basaltes tholéiitiques et les komatiites à l’origine des ceintures de roches vertes résultent en revanche d’éruptions volcaniques, émettant des coulées de lave fluide. L’origine de ce magma est incertaine. Hamilton a supposé qu’il provenait, comme les TTG, de la protocroûte mafique, grâce à une fusion plus complète, ou encore de l’interaction de morceaux délaminés et fondus de protocroûte avec le manteau appauvri.
Comme ces roches sont plus denses que les TTG, là où elles ont pu s’accumuler en ceintures, elles se sont enfoncées dans la croûte, formant ce que l’on appelle des quilles. Simultanément, entre ces ceintures, les batholites s’élevaient, devenant des dômes. Ils continuaient à être alimentés par la fusion partielle de la protocroûte, mais aussi par celle d’anciennes TTG présentes en profondeur. Les dômes sont devenus de véritables montagnes attaquées par l’érosion. Les sédiments produits se déposaient en contrebas, dans les ceintures. Les dômes étaient également le lieu d’un volcanisme felsique, de nature explosive.
Cette tectonique verticale est largement admise. On l’appelle la sagduction (de l’anglais to sag « s’affaisser »). Les batholites de TTG n’ont pu s’élever que grâce à l’enfoncement vigoureux des épaisses ceintures de tholéiites et de komatiites, La croûte et le manteau archéens étaient trop « mous » pour soutenir des montagnes parce qu’ils étaient encore très chauds. Ce même argument permet à Hamilton d’affirmer que la tectonique des plaques n’avait pas débuté, puisqu’elle nécessite l’existence de plaques lithosphériques rigides. La croûte archéenne n’était pas rigide. À de grandes échelles de temps, elle se comportait comme un fluide visqueux. Elle connaissait des déplacements verticaux, mais aussi horizontaux sur des centaines de kilomètres sans avoir à se fracturer. On ne connaît pas de systèmes archéens de failles. Cette propriété a été appelée la mobilité interne.
La géologie ne fonctionne pas comme la physique : il ne suffit pas d’une seule observation pour réfuter une théorie. Les géologues ont collecté des indices en faveur de l’existence d’une tectonique des plaques archéenne, mais elle reste impossible à reconnaître dans les cratons archéens. Comme il a été dit, les TTG sont censées avoir été produites par la subduction de plaques océaniques, grâce à du magmatisme d’arc. On ne comprend pas comment les laves tholéiitiques et komatiitiques ont été produites dans le même contexte. Et quelle est la relation entre les TTG et le manteau appauvri sur lequel elles reposent ? Il s’étend jusqu’à 200 ou 250 km de profondeur et est maintenant parfaitement rigide, contribuant à la stabilité des cratons. Comme il est la source des diamants, on ne les étudie pas seulement pour connaître l’histoire de la Terre.
La Terre archéenne d’après Jean Bédard
La théorie de Jean Bédard est moins radicale. Il renoue avec la version primitive de la tectonique des plaques, telle qu’elle a été présentée par Alfred Wegener : la dérive des continents. La différence essentielle avec la tectonique des plaques est qu’il n’y a pas de subduction. Dans la Terre d’aujourd’hui, les plaques océaniques s’enfoncent sous leur propre poids dans le manteau supérieur. Elles peuvent descendre au moins jusqu’à sa base, à 660 km de profondeur. Ce mouvement imposé par la gravité est le principal moteur de la tectonique des plaques, comme l’a confirmé une modélisation effectuée par l’équipe de Nicolas Coltice. Dans la Terre archéenne, d’après Bédard, la subduction n’existait pas. Il n’y avait donc pas non plus d’arcs volcaniques, introuvables dans les cratons, parce que les plaques océaniques ne pouvaient pas s’enfoncer dans le manteau. En 2013, il a publié un article intitulé « La chasse au snArc » (The hunting of the snArc). Son titre parodie celui d’un poème de Lewis Carroll, où le snark est un animal fantastique. Pour Bédard, les arcs archéens sont « des constructions imaginaires sans existence objective ».
En 2006, Bédard faisait appel à des panaches, des montées de roches anormalement chaudes venues des profondeurs du manteau dont Hamilton n’admettait pas l’existence. Il s’agit d’une manifestation de la convection du manteau. Leur action expliquait à la fois la formation de la croûte continentale archéenne, avec les tholéiites et les komatiites, et celle du manteau appauvri sous-jacent. À partir de 2013, Bédard s’est efforcé de décrire la géodynamique archéenne pour expliquer les raccourcissements et les accrétions de terranes observés, c’est-à-dire les contractions de la croûte et l’adjonction de « bandes de terre ». Le second phénomène est aujourd’hui une manifestation de la subduction. L’explication proposée est que les mouvements du manteau entraînaient les cratons à cause de leurs quilles ancrées dedans. Les cratons étaient donc mobiles. On revient ainsi à la dérive des continents, certes dans une version complétée, Wegener n’ayant pas pu expliquer pourquoi ils bougeaient. À son époque, on ne savait pas de quoi les fonds océaniques étaient constitués. Sur la Terre archéenne de Bédard, il existait de la croûte océanique, mais ni dorsale médio-océanique, ni zone de subduction. Avec la croûte continentale, trop souple pour pouvoir soutenir des montagnes, elle formait un couvercle déformable.
Cette dérive des continents aurait existé dès le début de l’Archéen. La tectonique des plaques aurait débuté beaucoup plus tard, au début du Protérozoïque, où l’on constate un véritable changement de visage de la Terre. Il est alors certain que les plaques océaniques étaient capables de sombrer dans le manteau. Le premier supercontinent s’est constitué grâce à la subduction il y a environ deux milliards d’années.
Wegener, ayant du mal à faire accepter sa théorie, est mort avant que la tectonique des plaques ne soit élaborée, dans les années 1960. Pour la plupart des géologues de son époque, les continents étaient totalement immobiles. Maintenant, on observe l’expansion des fonds océaniques et on mesure les vitesses des continents grâce au GPS, et les géologues n’arrivent plus à imaginer une Terre dépourvue de tectonique des plaques. Dernièrement, l’équipe de Luc-Serge Doucet (qui connaît les travaux de Bédard) a étudié des roches du craton de Sibérie et a conclu qu’elles ne résultent pas de la subduction : « Si les continents étaient formés par subduction et tectonique des plaques, nous nous attendrions à ce que le rapport des isotopes du fer et du zinc soit très élevé ou très faible, mais nos analyses ont plutôt révélé que le rapport des isotopes était similaire à celui trouvé dans les roches produites sans subduction ». Laurent Sacco a expliqué leurs travaux dans un article de Futura Sciences du 10 juillet 2020 : Les premiers continents ne seraient pas nés comme on le pensait. C’est une occasion de présenter des théories alternatives comme celle de Bédard.
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Warren B. Hamilton, Earth’s first two billion years—The era of internally mobile crust, The Geological Society of America, Memoir 200, 2007.
Jean H. Bédard, A catalytic delamination-driven model for coupled genesis of Archaean crust and sub-continental lithospheric mantle, Geochimica et Cosmochimica Acta 70, 1188–1214, 2006.
Jean H. Bédard, Lyal B. Harris, Phillips C. Thurston, The hunting of the snArc, Precambrian Research 229, 20–48, 2013.
Jean H. Bédard, Stagnant lids and mantle overturns: Implications for Archaean
tectonics, magmagenesis, crustal growth, mantle evolution, and the
start of plate tectonics, Geoscience Frontiers 9, 19-49, 2018.
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1674987117300233
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