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La combustion de charbon à l’origine de la crise de la fin du Permien

Trapps de Sibérie

Couches de tufs basaltiques érodés. Photo Panoramio.

Pourquoi la crise de la fin du Permien, il y a 252 millions d’années, qui a exterminé 96 % des espèces marines et 70 % des espèces de vertébrés terrestres, a-t-elle été si grave ? Les scientifiques l’attribuent à d’intenses éruptions volcaniques qui se sont produites en Sibérie. Quatre millions de kilomètres carrés ont été recouverts par des coulées de lave basaltique, mais des produits volcaniques, dont des cendres, ont également été émis dans l’atmosphère. Leur dépôt a formé une roche appelée du tuf. On sait que le volcanisme aérien émet du dioxyde de carbone, mais cela dépend des roches que le magma rencontre lors de la montée dans la croûte continentale. Ainsi, les laves de l’Etna traversent des couches de calcaire (carbonate de calcium), qui se transforme en présence de silice en un minéral appelé la wollastonite et en CO₂. C’est pourquoi, de tous les volcans du monde, l’Etna est celui qui émet le plus de CO₂.

Le magma des trapps de Sibérie a dû traverser d’épaisses couches de sédiments comprenant de la matière organique, dont du charbon, du gaz naturel et même du pétrole. On doit par conséquent s’attendre à ce qu’une grande quantité de gaz à effet de serre ait été émise. La concentration en CO₂ atmosphérique serait montée à 12,7 fois le taux préindustriel, qui était de 280 ppmv (parties par million en volume), bien assez pour expliquer le réchauffement climatique observé durant la crise. À l’équateur, les eaux de surface ont été chauffées jusqu’à 40 °C. Cette hypothèse a été étudiée par l’équipe du géologue norvégien Henrik Svensen, grâce à des campagnes effectuées sur le terrain en 2004 et 2006.

Couches de tuf sur une rive de la Toungouska pierreuse. Photo Panoramio.

La région de la Toungouska, où se trouvent les trapps de Sibérie, est un bassin sédimentaire qui contient le plus ancien système pétrolier du monde. Les roches-mères des hydrocarbures sont des couches de 1 à 8 kilomètres d’épaisseur d’argiles et de carbonates, avec un peu de grès, déposés durant le Tonien (de 1000 à 720 Ma) et le Cryogénien (de 720 à 635 Ma). La deuxième époque a été celle de la Terre boule de neige : deux glaciation globales se sont produites. Pendant l’Édiacarien, une épaisseur moindre de carbonates et d’évaporites se sont déposés. Les secondes roches comportent des minéraux formés par évaporation de l’eau. Elles sont devenues très abondantes durant le Cambrien (de 541 à 485 Ma). Les sédiments riches en halite (le sel ordinaire, c’est-à-dire le chlorure de sodium), en anhydrite (du sulfate de calcium non hydraté, contrairement au gypse) et en carbonates atteignent 2,5 km d’épaisseur. On distingue cinq phases majeures de dépôt de sel, l’une d’elles couvrant une superficie de 2 millions de kilomètres carrés. Ces couches s’étendent du bassin de la Toungouska inférieure, l’un des affluents de l’Iénisséi, jusqu’au lac Baïkal. Elles sont les roches-réservoirs des hydrocarbures : comme toujours, ceux-ci ont quitté leurs roches-mères et leur migration a été arrêtée par les sels, qui ont la propriété d’être imperméables.

Voir L’extinction de masse Permien-Trias causée par du magmatisme profond

D’après Henrik Svensen, le contact entre le magma, la matière organique et le pétrole a pu produire plus de 100 000 gigatonnes de CO₂, aussi que d’autres gaz qui étaient tous à effet de serre. Ils ont principalement été émis lors de spectaculaires éruptions explosives à l’origine de cratères d’environ un kilomètre de diamètre appelés des pipes. Leur datation correspond à celle du réchauffement climatique. Cependant, du charbon est également présent dans les sédiments du bassin de la Toungouska. À partir de l’Ordovicien (de 485 à 416 Ma), ils sont composés de carbonates, de marnes (mélanges de carbonates et d’argiles) et de grès. Les couches de charbon apparaissent à partir du Carbonifère (de 359 à 299 Ma). Leur accumulation se produit pendant le Permien et les dernières roches qui se déposent sont celles des trapps de Sibérie. Au total, l’épaisseur des sédiments varie entre 3 et 12,5 km. Ils ont subi des intrusions de magma. Quand elles sont parallèles aux strates, elles sont appelées des sills. Dans les strates du Cambrien au Permien, leur épaisseur cumulée atteint 1200 mètres.

Des rochers de basalte érodés sur une rive de la rivière Bakhta, un affluent de l’Iénisséi. Photo Panoramio.

Une nouvelle étude publiée dans la revue Geology fournit des preuves que du charbon a été brûlé lors de ces éruptions volcaniques. Elle a été dirigée par Linda Elkins-Tanton, géologue de formation et directrice de l’École d’exploration terrestre et spatiale à l’université de l’Arizona. Elle est la responsable scientifique de la mission Psyché, qui devrait être envoyé vers l’astéroïde (16) Psyché en 2022. Les auteurs de cette étude ont récolté des échantillons de roches le long de trois rivières, qui sont, du nord au sud, la Toungouska inférieure, la Toungouska pierreuse et l’Angara. Il s’agit exclusivement de tufs, également désignés comme des roches volcanoclastiques, déposés directement sur les sédiments du Permien supérieur. Ces échantillons ne comprennent pas de basaltes, provenant de la solidification de coulées de lave. Bien que produits par des volcans, ces tufs ont un pourcentage en poids de carbone organique allant de 0,01 à 1,16 %, ce qui est suffisant pour qu’ils soient utilisés dans la pétrochimie. On y trouve des morceaux de bois carbonisés pouvant atteindre 10 centimètres de long.

Des « minéraux » caractéristiques du charbon ont été observés au microscope. On les appelle des macéraux : de même que les roches sont constituées de minéraux, les charbons sont constitués de macéraux. Ceux du groupe de la vitrinite proviennent de tissus cellulaires. Les macéraux du groupe de l’exinite sont plus variés. Ils comprennent des spores, des pollens et des fragments de cuticule, une sorte de cire recouvrant les plantes. Certains macéraux observés ont une bordure altérée par un chauffage à haute température. Ils proviennent probablement de bois brûlés. D’autres macéraux, inclus dans une matrice volcanoclastique, sont des chars et des cénosphères. Les chars sont caractéristiques de la phase initiale de combustion du charbon. Les gaz légers et le goudron en ont été chassés ou libérés. Les cénosphères sont formées par la dévolatilisation explosive de matière organique brutalement chauffée à des températures d’environ 1300 °C. Elles sont communément observées dans les centrales à charbon. Dans les trapps de Sibérie, à peu près 30 % d’entre elles témoignent d’une combustion du charbon à l’air libre.

Les auteurs n’ont pas fourni d’estimation de la quantité de dioxyde de carbone libérée, mais on sait que des cendres volantes de charbon ont atteint les îles Sverdrup au nord du Canada. Cette crise présente de la sorte une analogie frappante avec le réchauffement climatique actuel, principalement dû à la combustion d’hydrocarbures et de charbon.

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Linda Elkins-Tanton et al., Field evidence for coal combustion links the 252 Ma Siberian Traps with global carbon disruption, Geology, June 12, 2020.

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