Histoire de la Terre et de la vie - Actualités géologiques

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Le développement de la vie sur Terre a pu être entravé par des cataclysmes réguliers

Lac de lave

Lac de lave du cratère Halema'uma'u à Hawaii photographié le 1er décembre 2017.

La vie est probablement apparue sur Terre il y a plus de 4 Ga (milliards d’années) durant l’Hadéen, le premier éon. On sait que de grandes quantités d’eau liquide existaient sur Terre il y a 4,4 Ga. Un intense bombardement météoritique, au début du second éon, l’Archéen (de 4 à 2,5 Ga), ne semble pas avoir éradiqué la vie. Il y a 3,5 Ga, elle est était déjà très diversifiée, présente sur les terres comme dans les océans. Les deux types de procaryotes (les cellules sans noyau) existaient : bactéries et archées. On ne sait pas quand les eucaryotes (les cellules avec noyau) sont apparus, à cause de la rareté des microfossiles et de la difficulté à les interpréter. Ce sont des organismes beaucoup complexes que les procaryotes, qui ont engendré les organismes multicellulaires dont les plantes et les animaux. Des fossiles macroscopiques, c’est-à-dire visibles à l’œil nu, ont été conservés dans des sédiments du Gabon datés à environ 2 Ga, mais cette évolution s’est arrêtée. Les animaux ne se sont développés que quelques millions d’années avant le début du Cambrien il y a 541 Ma (millions d’années). Durant le dernier éon, le Phanérozoïque, l’évolution a transformé des vers primitifs en des arthropodes, des vertébrés, puis des dinosaures et des mammifères.

Voir Les premières traces de vie sur Terre

Pourquoi l’évolution a-t-elle été aussi lente durant l’Archéen ?

Du début jusqu’à la fin de l’Archéen, une période d’un milliard cinq cent millions d’années, la vie est restée microbienne. La photosynthèse oxygénique a très probablement commencé durant le Mésoarchéen (de 3,2 à 2,8 Ga). On peut supposer que des cyanobactéries en étaient responsables, mais leur existence n’est attestée que beaucoup plus tard. Si l’oxygène s’était abondamment répandu dans les océans et l’atmosphère, une évolution comparable à celle du Phanérozoïque aurait pu se produire. Les animaux sont apparus grâce à l’élévation de la concentration en oxygène. L’explosion cambrienne montre que leur évolution peut être rapide.

Une raison vraisemblable est que les océans archéens manquaient de certains nutriments, comme de phosphore, indispensable à la vie. Les calculs ont été présentés en 2020 par une équipe de géochimistes dirigée par Hao Jihua dont Isabelle Daniel de l’ENS de Lyon faisait partie. La source majeure de phosphore dans les mers était l’érosion des terres émergées. Le ruissellement dissolvait de l’apatite, le principal minéral phosphaté, d’autant plus facilement que la forte concentration en dioxyde de carbone dans l’atmosphère rendait les pluies acides. Mais il y avait peu de terres émergée au début de l’Archéen, si bien que le flux de phosphore vers les océans était faible. Au cours de cet éon, la surface des terres émergées a augmenté, permettant aux cyanobactéries de se multiplier et de rejeter suffisamment d’oxygène. Cela s’est produit il y a environ 2,4 Ga. Les organismes du Gabon n’auraient pas existé sans cet événement.

Un cataclysme récent sur Vénus

Une autre explication existe : de gigantesques effusions de magma ont régulièrement recouvert la Terre durant l’Archéen et même peut-être durant le Paléoprotérozoïque (de 2,5 à 1,6 Ga). Ce phénomène s’est produit sur Vénus il y a quelques centaines de millions d’années. Les scientifiques le désignent comme un « resurfaçage ». Ils pensent, de plus, que cet évènement est récurrent. C’est une caractéristique des planètes dépourvues de tectonique des plaques. Actuellement, Vénus n’en a pas. La lithosphère qui la recouvre est d’un seul tenant. C’est une couche de roches rigides reposant sur les roches ductiles de l’asthénosphère, qui sont animées de lents mouvements de convection. On la désigne comme un couvercle stagnant. Pour évacuer sa chaleur interne, emmagasinée depuis sa formation et produite par la désintégration des éléments radioactifs, elle ne peut utiliser que la conduction thermique de sa lithosphère et des éruptions volcaniques. Le magma présent sous la lithosphère sort par des conduits localisés et fixes. Mais cela ne suffit pas à refroidir la planète. La chaleur accumulée dans le manteau le met en mouvement depuis sa base et provoque en surface d’intenses effusions de lave pendant probablement quelques dizaines de millions d’années. Un nouveau couvercle stagnant se forme ensuite et la planète retrouve sa tranquillité.

Vue d’artiste d’un flot de lave sur Vénus.

La Terre et Vénus sont des planètes voisines, dont les dimensions et les masses volumiques sont proches. Elles sont considérées comme des quasi-jumelles. À leur naissance, elles ont sans doute toutes les deux été recouvertes d’un océan de magma, qui surmontait leur asthénosphère. Il n’existait pas encore de lithosphère. La première croûte qui s’est solidifiée devait être constituée de roches mafiques et ultramafiques, plus exactement de basaltes et de komatiites. L’olivine (ou péridot) est le principal minéral de ces dernières, de même que des péridotites, les roches du manteau supérieur. Ces roches dites ultramafiques sont très pauvres en silice : moins de 45 %. Les basaltes, roches mafiques, en ont entre 45 et 52 %. Cette épaisse protocroûte a certainement formé un couvercle stagnant, comme sur d’autres planètes, astéroïdes et satellites du même type.

Voir De l’eau aurait coulé sur Vénus il y a moins d’un milliard d’années

Dans cet article, on suppose qu’un unique resurfaçage s’est produit sur Vénus. Il est possible que la présence d’eau ait permis l’amorçage d’une tectonique de plaques il y a plusieurs milliards d’années.

La Terre a pu avoir un couvercle stagnant pendant plus de deux milliards d’années

Tout le problème est de savoir quand la tectonique des plaques s’est amorcée sur Terre. Sa principale manifestation est la subduction : la lithosphère (la croûte et éventuellement des roches du manteau sous-jacent) doit pouvoir se rompre, se plier et descendre dans l’asthénosphère, ce qui implique que sa densité soit supérieure. Elle est mue par son poids et entraîne dans les profondeurs du manteau sa partie restée en surface. Cela nécessite une résistance à la traction. Les plaques peuvent se déchirer, mettant fin à la subduction. La partie déjà enfoncée dans le manteau continue sa descente parce que la croûte a été métamorphisée en éclogite, une roche plus dense que le manteau environnant, tandis que l’autre partie reste en surface. On comprend que la subduction est un phénomène difficile à expliquer. Sur la Terre actuelle, l’observation montre que les subductions s’amorcent en des lieux où d’anciennes subductions se sont déjà produites.

Distribution des provinces magmatiques en fonction de leur âge.
Distribution des provinces magmatiques (de grands épisodes éruptifs) en fonction de leur âge jusqu’il y a 3,5 Ga. Un pic très net est observé il y a 2,7 Ga. D’après Condie, 2018. De cette observation, l’auteur déduit que les provinces magmatiques ne sont pas liées au cycle des supercontinents (le cycle de Wilson).

Des géologues déjà cités ici, comme Warren Hamilton et Jean Bébard, pensent que la Terre archéenne ne connaissait pas la subduction. Pour Kent Condie, la tectonique des plaques s’est mise en place entre 3 et 2 Ga, pour plusieurs raisons. Des inclusions d’éclogite sont apparues dans les diamants il y a 3 Ga. Ce géologue voit apparaître des orogenèses causées par des collisions de plaques : Majorquq il y a 2,6 Ga au Groenland occidental, MacQuoid il y a 2,56 Ga au Canada occidental, Commonwealth Bay il y a 2,5 Ga en Antarctique, Nito Rodrigues il y a 2,48 Ga en Uruguay, etc. On peut encore citer Jean-François Moyen et Oscar Laurent, qui ont présenté en 2017 un examen très poussé des roches magmatiques dont les cratons archéens (les croûtes continentales remontant à l’Archéen) sont en grande partie constitués. Ils supposent un resurfaçage périodique d’une protocroûte basaltique, conséquence du fait que la Terre avait un couvercle stagnant.

L’idée que ces resurfaçages aient entravé le développement de la vie a été formulée par Jean Bédard en novembre 2020 dans la revue Planetary and Space Science. Cette explication n’invalide évidemment pas les autres théories, comme le manque de phosphore dans les mers. La lenteur de l’évolution a pu avoir plusieurs causes.

Durant l’Archéen, le magmatisme a vraiment été très abondant. Les roches des cratons archéens ont d’abord été des granitoïdes appelées des TTG (tonalites, trondhjémites, granodiorites). Elles sont grenues, donc solidifiées en profondeur. On sait qu’elle proviennent de la fusion partielle de basaltes hydratés, transformés à faible profondeur en amphibolite à grenat. Dessus, se sont épanchées des laves mafiques et ultramafiques, dont l’épaisseur peut atteindre les 10 km. Des structures appelées des laves en coussins montrent que certaines se sont épanchées sous la mer, mais ce ne sont pas des vestiges de croûte océanique au sens moderne : elles ne sont pas nées dans des dorsales océaniques.

Voir La Terre archéenne, une planète sans tectonique des plaques ?

Cet article commence par une présentation générale des roches archéennes

Un resurfaçage de la Terre entre 2,8 et 2,7 milliards d’années

Couvercle stagnant sur la Terre.
La Terre entre 3,9 et 2,8 Ga, quand elle était recouverte par un couvercle stagnant, selon Bédard 2018.

Jean Bédard a élaboré une théorie complète pour expliquer la formation des cratons archéens. Elle fait appel à un resurfaçage périodique. Il y a 2,8 Ga, la Terre était recouverte d’une croûte mafique et ultramafique d’environ 40 km d’épaisseur héritée d’un ancien resurfaçage. C’était une mosaïque de volcans-boucliers formés d’accumulations de laves. Ils sont en deux nuances de vert sur le dessin. Il y avait aussi de la croûte continentale formée de TTG en rose, reposant sur un manteau lithosphérique (SCLM) très réfractaire. Sous cette lithosphère, s’étend un manteau asthénosphérique qui a été appauvri (DM) par des fusions partielles : certains éléments, dits incompatibles, sont partis dans un magma qui s’est solidifié en surface. La conduction thermique de la lithosphère permet l’installation de petites cellules de convection empêchant la formation d’un manteau lithosphérique sub-océanique. Sous les océans, la lithosphère est donc identique à la croûte. Puisqu’elle est moins dense que le manteau, sa subduction est impossible. Le manteau inférieur est un mélange de manteau primitif et de manteau appauvri (PM+DM) résultant de resurfaçages antérieurs. Il est enrichi en éléments incompatibles à sa base (PM-rich mantle), jusqu’à un réservoir enrichi (EER) situé sur le noyau métallique (Core).

Resurfaçage de la Terre il y a 2,7 milliards d'années.
La Terre il y a 2,7 Ga pendant un retournement du manteau.

Il y a environ 2,7 Ga, de la chaleur provenant de ce noyau et produite par la désintégration des éléments radioactifs a déstabilisé le manteau inférieur, devenu moins dense que le manteau appauvri. De grands mouvements ascendants appelés des OUZOs (overturn upwelling zones) se sont produits. La décompression des roches a entraîné leur fusion partielle, le magma ayant la signature chimique du manteau primitif. Quand une OUZO arrive sous une croûte océanique, elle est en mesure de faire fondre son basalte hydraté et donc de créer des TTG, ce qui n’a pas été représenté sur cette figure. De grands volumes de basalte sont détachés de la base de la croûte et recyclés, en produisant un manteau hybride. Des radeaux de croûte ancienne sont enrobés dans de la nouvelle croûte océanique (en gris). À droite, une OUZO arrive sous un ancien continent, résorbe son manteau lithosphérique et fait fondre sa croûte de TTG, produisant du granite et de l’enderbite, qui est une tonalite à orthopyroxène. L’apparition de ces granites marque la fin de l’Archéen. Les nouvelles roches sont représentées en jaune. À gauche, un ancien continent est entraîné par les mouvements du manteau et comprime la croûte océanique située devant lui. Cela peut donner l’impression que la lithosphère est formée de plaques mobiles et qu’une subduction est amorcée, mais ce n’est pas le cas.

L’évènement qui s’est produit à cette époque est un retournement du manteau. L’abondante production de magma ayant renouvelé la surface de la Terre n’en est que la partie visible. Il est identifiable dans les ceintures de roches vertes d’Abitibi et de Bird River sur le craton du Supérieur au Canada, dans celle d’Eastern Goldfields sur le craton de Yilgarn en Australie, dans celle de Belingwe au Zimbabwe et dans le complexe magmatique de Stillwater sur le craton du Wyoming, Son caractère mondial ne fait pas de doute et il semble avoir été précédé il y a 2,9 à 2,8 Ga d’une période de calme qui pourrait traduire l’existence d’un couvercle stagnant. Cependant, le propre d’un tel événement est de faire disparaître des roches plus âgées et par conséquent de rendre difficile la reconnaissance de resurfaçages antérieurs.

Conséquences pour la vie

On observe une bonne correspondance entre les extinctions du Phanérozoïque et les provinces magmatiques. Ainsi, l’extinction de masse de la transition Permien-Trias, il y a 252 Ma, est certainement liée aux trapps de Sibérie et celle de la fin du Trias, il y a 201 Ma, coïncide avec la mise en place de la province magmatique centre-Atlantique, qui a précédé l’ouverture de l’océan Atlantique. La quantité de lave émise il y a environ 2,7 Ga, pendant des dizaines de millions d’années, est très largement supérieure. La biosphère de cette époque n’était composée que de procaryotes dont la capacité d’adaptation à des modifications de l’environnement est plus élevée que celle des animaux. Les archées actuelles sont connues pour être extrêmophiles : elles peuvent vivre dans des milieux très inhospitaliers. Cependant, les océans ont pu être en ébullition au-dessus des OUZOs. La vapeur d’eau produite devait se condenser ailleurs en des pluies diluviennes. De telles conditions auraient pu éradiquer la vie, mais il a sans doute subsisté quelques zones calmes où elle pouvait se réfugier.

Cette théorie n’est pas sans conséquence pour la recherche de vie extraterrestre. Les exobiologistes considèrent que la tectonique des plaques est indispensable à la vie, mais elle pourrait être moins fréquente que prévue. La « tectonique de couvercle » serait le mode de refroidissement courant des planètes rocheuses, avec les cataclysmes planétaires qu’elle implique.

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Hao Jihua et al., Cycling phosphorus on the Archean Earth: Part I. Continental weathering and riverine transport of phosphorus, Geochimica et Cosmochimica Acta 273, 70-84, 15 March 2020.

Kent C. Condie, A planet in transition: The onset of plate tectonics on Earth between 3 and 2 Ga?, Geoscience Frontiers 9, 50-61, 2018.

Jean-François Moyen, Oscar Laurent, Archaean tectonic systems: A view from igneous rocks, Lithos 302-303, pages 99-105, March 2018.

Jean H. Bédard, Stagnant lids and mantle overturns: Implications for Archaean
tectonics, magmagenesis, crustal growth, mantle evolution, and the
start of plate tectonics, Geoscience Frontiers 9, 19-49, 2018.

Jean H. Bédard, From the LIPS of a serial killer: Endogenic retardation of biological
evolution on unstable stagnant-lid planets, Planetary and Space Science 192, 1 November 2020.

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