L’Asie centrale est un immense territoire entre l’Oural, la Sibérie et la Chine, qui est faiblement peuplé. Il comprend le deuxième plus grand désert du sable du monde, le Taklamakan, celui encore plus vaste du Gobi, ainsi qu’une zone de steppes. Ces étendues presque totalement dépourvues d’arbres s’étendent à perte de vue et sont les territoires d’éleveurs nomades. Elles n’ont cependant pas toujours existé. Une équipe internationale de chercheurs, sous la direction de la paléo-écologiste Natasha Barbolini, vient de présenter un reconstitution de la flore centre-asiatique depuis l’Éocène, il y a plus de 34 millions d’années. Ils ont distingué trois phases de stabilité séparées par deux grands changements.
Ils n’ont pris en compte que l’est de l’Asie centrale, du plateau tibétain à la Mongolie. Outre les montagnes du Tibet, cet territoire comprend deux chaînes de montagnes ; l’Altaï et les Monts Célestes (Tian Shan en chinois). Elles sont séparées par le bassin de Dzoungarie, qui fait à présent partie de la province chinoise du Xinjiang, de même que le bassin du Tarim, à moitié recouvert par les dunes du Taklamakan. De la sorte, la Chine et la Mongolie se partagent actuellement l’essentiel de ce territoire. La différence avec l’ouest de l’Asie centrale, comprenant le sud de la Sibérie centrale et le Kazakhstan, est climatique : à l’ouest, les précipitations sont hivernales, alors qu’au Tibet et en Mongolie, elles sont estivales. Selon la classification de Wladimir Peter Köppen (1846-1940), toujours utilisée aujourd’hui, il règne un climat de steppe aride froide. Les précipitations sont faibles et la saisonnalité très importante. Le plateau tibétain, avec une altitude moyenne de 5 000 mètres, est plus froid et un peu plus humide que la Mongolie, qui est en moyenne à 1 500 mètres d’altitude.
La plupart des herbes composant ces steppes sont des plantes de la famille des Poacées ou graminées, dont les céréales font également partie. Elles sont tellement répandues qu’on a du mal à imaginer le monde sans elles, et pourtant, elles ne sont apparues que durant le Crétacé supérieur (de 100 à 66 Ma). Ce sont des monocotylédones : une seule feuille pousse à la germination de la graine. Les orchidées sont également de ce type. Les Astéracées sont des dicotylédones, avec deux feuilles poussant à la germination. Il s’agit de plantes herbacées également très répandues, dont les Artemisia ou armoises, ayant des inflorescences réunissant de minuscules fleurs. Les Chénopodiacées sont une seconde famille de plantes dicotylédones des steppes d’Asie centrale. Elles sont représentées en particulier par les chénopodes. Les monocotylédones et les dicotylédones sont les deux embranchements des angiospermes, c’est-à-dire des plantes à fleurs. Il n’en est pas de même des Éphédracées, qui sont des gymnospermes. Ces petits arbustes sont donc proches des Pinacées des forêts du nord de la Mongolie et des montagnes jusqu’à 1 500 mètres d’altitude. Ces arbres sont surtout des mélèzes. Enfin, on trouve une famille de plantes dicotylédones peu connues, les Nitrariacées, adaptées aux déserts.
La végétation de l’Asie centrale était très différente durant l’Éocène, une époque allant de 56 à 33,9 millions d’années qui a été la plus chaude du Cénozoïque. On peut suivre son évolution au nord-est du Tibet, dans le bassin de Xining (ville située à proximité du grand Lac Bleu, Qinghai Hu en chinois). parce que la sédimentation a été continue jusqu’à l’Oligocène, Des pollens ont été conservés dans ces sédiments. C’est souvent grâce à eux que les anciennes flores sont étudiées. Il s’avère qu’il existait des forêts d’arbres à feuilles caduques, caractéristiques des climats tempérés, et qu’une aridification a commencé il y a 36,6 Ma. Environ 200 000 ans plus tard, il y a 36,4 Ma, ces angiospermes ont cédé la place à des gymnospermes, plus exactement des Pinacées. Ce changement de végétation, qui a précédé de 2,5 millions d’années la fin de l’Éocène, marque le passage d’un climat chaud et humide à un climat plus froid et sec. La cause en est l’élévation du plateau tibétain et le retrait d’une mer occupant le bassin du Tarim, suite à la collision de l’Inde avec l’Asie. Ces nouvelles forêts de conifères étaient des indicateurs d’une haute altitude.
Bien que la présence des graminées soit observée dès 47,7 Ma, elles étaient rares. Les Astéracées et les Chénopodiacées, pourtant xérophytes (adaptées aux milieux secs) occupaient également une place mineure dans les steppes et les déserts. Depuis environ 40 Ma, des arbustes appartenant aux familles des Éphédracées et des Nitrariacées étaient dominants. Ils ont conservé leur position jusqu’à la fin de l’Éocène, malgré une instabilité du climat. Cette végétation correspond à la phase 1 définie par les auteurs de l’étude. Elle peut être comparée à celle de l’actuel désert du Gurbantünggüt (ou Gurban Tonggut), qui recouvre une partie du bassin de Dzoungarie. Il est un peu plus moins sec que le Taklamakan. La végétation pousse entre des dunes fixes, où elle recueille de l’humidité et des nutriments.
La transition entre l’Éocène et l’Oligocène est marquée par un refroidissement mondial. La baisse des températures a été comprise entre 4 et 8 °C dans l’hémisphère Nord. Elle a été reconnue en Patagonie, où elle a été estimée à 5 °C. Un premier événement, vers 34,0 Ma, est interprété comme un refroidissement, et un second, vers 33,5 Ma, comme une glaciation. Les arbustes des familles des Éphédracées et des Nitrariacées ont connu une perte de diversité durant le premier événement, alors que les Pinacées en ont tiré profit et que les forêts tempérées n’ont pas été affectées. Le deuxième événement a provoqué la disparition presque complète de ces arbustes, sans pourtant que les herbes xérophytiques ne commencent leur conquête de l’Asie centrale. Ce territoire semble être devenu aussi désertique que le Taklamakan, où la végétation n’est présente que dans les zones humides (des cours d’eau traversent le désert) ou en altitude. Au Tibet central, où s’étend à présent une steppe alpine, des forêts tropicales poussaient dans les vallées tandis que les conifères et les angiospermes à grandes feuilles se partageaient les hauteurs.
Le bassin de Xining fournit des données sur la transition Éocène-Oligocène mais devient ensuite muet. Le bassin de Lanzhou, à l’est de celui du Xining, permet de connaître la flore de l’Oligocène il y a entre 29 et 28 Ma, avec ses forêts de conifères et d’angiospermes. Le nord des Monts Célestes fournit des informations similaires sur la fin de l’Oligocène et le début du Miocène. On reste peu renseigné sur la végétation de basse altitude. Néanmoins, les auteurs ont défini le caractère désertique de cette période comme la phase 2.
Aucun de ces bassins sédimentaires n’est situé en Mongolie. On connaît cependant bien l’évolution de la faune mongole. Durant l’Éocène, des mammifères de toutes tailles existaient, ce qui indiquait que le climat était humide et la végétation riche. Les périssodactyles étaient privilégiés. Ils comprennent aujourd’hui les équidés, les tapirs et les rhinocéros, ainsi que les Paraceratheriums durant le Paléogène (une division du Cénozoïque regroupant le Paléocène, l’Éocène et l’Oligocène). Ces derniers ont été les plus grands mammifères ayant jamais vécu. La transition Éocène-Oligocène a été profitable aux rongeurs et aux lagomorphes (comme les lapins et les lièvres). Le manque de mammifères de taille moyenne durant l’Oligocène laisse à penser que l’environnement est devenu ouvert et aride. Ce renouvellement de la faune a précédé de peu un événement comparable en Europe, qui a été appelé la Grande Coupure.
Le Néogène comprend le Miocène (de 23,03 à 5,33 Ma) et le Pliocène (de 5,33 à 2,58 Ma). Le Miocène moyen, il y a environ 15 Ma, a été marqué par un optimum climatique. L’expansion des plantes herbacées a alors commence, sans conséquence pour les mammifères, puis elles sont devenues dominantes il y a environ 7 Ma. Elles sont dès lors mondialement répandues. Les graminées se font encore timides autour des Monts Célestes, alors que leur développement est plus marqué au nord-est du Tibet. Le bassin du Tsaidam en témoigne. À l’ouest de l’Asie centrale, elles ne sont devenues prédominantes qu’il y a 7 Ma. Les plantes y étaient surtout des Artemisia et des Chénopodiadés, suggérant un environnement de déserts et de steppes arides. À l’est de l’Asie centrale, la présence plus importante des graminées montre que l’humidité y était supérieure. Il y avait des steppes tempérées et alpines, qui définissent la phase 3. Entre 7 et 4 Ma, les mammifères ont subi un renouvellement.
L’expansion vers le nord du plateau tibétain et la surrection de chaînes de montagnes périphériques comme les monts Kunlun, le Pamir, les Monts Célestes et les Monts Qilian, ont ont été des facteurs de ces modifications, ainsi l’intensification des moussons d’Asie du Sud-Est il y a environ 15 millions d’années. Les vents d’ouest porteurs d’humidité ont également joué.
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N. Barboline et al., Cenozoic evolution of the steppe-desert biome in Central Asia, Science Advances, 9 October 2020.
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