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Monde

Naissance du désert du Taklamakan en Asie centrale

Désert du Taklamakan

Le bassin du Tarim vu par la NASA le 15 octobre 2004. Le grand lac au nord-ouest est l'Issyk Köl au Kirghizistan.

La seconde plus grande mer de sable du monde se trouve au cœur de l’Asie, sur les anciennes Routes de la Soie. Elles ne sont plus guère fréquentées depuis la fin du premier millénaire de notre ère, si bien que cette région difficile d’accès, que les marchands traversaient au péril de leur vie, est tombée dans l’oubli. Ceux qui venaient de Chine devaient contourner le désert soit par le nord, en passant par les villes-oasis de Tourfan, de Karashahr, de Koutcha et d’Aksu, soit par le sud, en passant par Khotan et Yarkand. Les routes se rejoignaient à l’ouest, dans la cité de Kashgar, mais butaient contre les sommets du Pamir.

Cordillère des Kunlun vue de la route Tibet-Xinjiang. @ Alliance française de Wuhan.

Une grande mer de sable entourée par les plus hautes montagnes du monde

Les sables du Taklamakan recouvrent une surface de 330 000 km², ce qui place ce désert derrière le Rub’al-Khali en Arabie saoudite. Ils occupent une cuvette appelée le bassin du Tarim, d’après le nom d’un fleuve coulant d’ouest en est dans sa partie septentrionale. La superficie de ce bassin, qui s’étend sur 1100 km dans la direction est-ouest et sur 600 km dans la direction nord-sud, est de 560 000 km². Il est délimité au nord par les Tian Shan, « Monts Célestes » en chinois, dont l’altitude atteint 7 436 mètres au pic Pobedy, au sud-ouest par les monts Kunlun et au sud-est par l’Altyn Tagh. Le sommet des Kunlun, le Kongur Tagh, culmine à 7 649 mètres d’altitude et n’a été gravi pour la première fois qu’en 1981 par une expédition britannique.

Carte du bassin du Tarim. Kashi est la ville de Kashgar. Shache est le nom chinois de Yarkand.

Ce bassin occupe une partie de la Région autonome ouïghoure du Xinjiang, dont le nom signifie « Nouvelles Frontières ». Elle n’appartient à la Chine que depuis le XVIIIe siècle, suite à la défaite de l’empire mongol des Dzoungars par la dynastie mandchoue des Qing, qui gouvernait alors la Chine. Les Ouïghours sont un peuple de langue turque arrivé dans les oasis du bassin du Tarim à la fin du premier millénaire. Celles-ci étant éloignées les unes des autres, elles ne se sont jamais unifiées d’elles-mêmes pour fonder un seul État. Le climat est aride, avec des précipitations allant de 50 à 100 mm par an. Des cours d’eau descendent des montagnes environnantes, permettant la pratique d’une agriculture irriguée dans les oasis. Alimentées surtout de juin à août, elles finissent par se perdre dans le désert après des trajets plus ou moins longs. D’après l’archéologue ouïghour Dolkun Kamberi, le nom Taklamakan, plus correctement écrit Täklimakan, est un vieux mot ouïghour désignant la vigne, très cultivée dans la région.

Ce désert est parfois considéré comme une branche du désert de Gobi, situé plus à l’est, entièrement en territoire mongol, mais à tort car il constitue une unité nettement distincte. Il est plutôt semi-aride et les dunes y sont rares. Elles sont au contraire abondantes dans le désert du Badain Jaran, entre le Taklamakan et le Gobi, où elles atteignent les records mondiaux de hauteur : jusqu’à 500 mètres. Elles ont la particularité d’être immobiles grâce à la circulation d’eaux souterraines, qui forment parfois des lacs à leurs pieds. Dans le Taklamakan, les dunes sont sculptées par des vents dont la direction générale est vers le sud, dans la partie occidentale et vers le sud-ouest dans sa partie orientale. Il y a des dunes linéaires de 50 à 200 mètres de haut, ainsi que des dunes en étoile.

Tempête de poussières sur le bassin du Tarim le 7 septembre 2010 vue par la NASA.

Si les vents peuvent déplacer les dunes, ils ne font pas s’envoler les grains de sable. Par définition, ceux-ci ont entre 2 mm et 63 µm (0,063 mm) de diamètre. Ils roulent seulement sur le sol. Les grains de silt, dont le diamètre est compris entre 63 µm et 4 µm, peuvent être emportés par les vents et rester en suspension dans l’atmosphère. Après leur dépôt et leur cimentation, ils forment une roche appelée une siltite. Le Taklamakan est un grand pourvoyeur de poussières, constituées de grains de moins de 2 µm de diamètre, qui sont soulevées par des tempêtes et sont capables d’atteindre le Pacifique, l’Amérique du Nord, le Groenland et même l’Atlantique. Elles ont une influence sur le climat global.

Voir Du nouveau sur l’Altaï, une chaîne de montagnes méconnue au cœur de l’Asie

Sous le sable, des sédiments déposés par d’anciennes mers

La grande question est de savoir quand le désert du Taklamakan et né. L’Asie centrale n’a pas toujours été aride. Durant tout le Crétacé, une mer s’étendait de l’Asie occidentale jusqu’à l’Europe centrale. C’était les eaux de l’océan Téthys qui débordaient, en quelque sorte, sur le continent eurasiatique. L’Inde n’était pas encore là. Les Tian Shan, le Pamir et les Kunlun n’existaient pas.

En examinant les sédiments du sud-ouest du bassin du Tarim, au pied des Kunlun occidentaux, les géologues ont distingué cinq transgressions, c’est-à-dire cinq incursions de la mer. Les deux premières remontent au Crétacé supérieur. La troisième a commencé durant le Paléocène (de 66 à 56 Ma) et s’est terminée au début de l’Éocène (de 56 à 34 Ma). Elle a déposé les sédiments de la formation Chimugen, constituée de mudstone (des argiles avec des grains de sable) avec des intercalations de calcaire à coquilles d’animaux marins. Elle a de 20 à 130 mètres d’épaisseur. La régression (le retrait de la mer) a laissé des couches de gypse et de mudstone à gypse. La mer est revenue durant l’Éocène supérieur et a déposé les sédiments des formations Kalatar et Wulagen. Leurs épaisseurs atteignent 180 mètres. On y retrouve les sédiments précédents, avec en plus du calcaire gris massif et du calcaire oolithique, le second résultant d’une précipitation chimique. Une cinquième transgression s’est produite au début de l’Oligocène (de 34 à 23 Ma), mais elle n’a laissé de sédiments qu’à l’ouest de Kashgar.

Il ne faisait pas très bon vivre dans ces mers. Les rares fossiles que les géologues ont récoltés étaient surtout des coquilles d’huîtres, ainsi que des microfossiles indiquant une profondeur d’eau inférieure à 100 mètres. Ils montrent également que les mers du Tarim étaient reliées à la marge continentale de l’océan Téthys. Cette vaste mer a été coupée de la Téthys durant l’Oligocène par l’orogenèse alpine, qui s’est étendue des Alpes occidentales jusqu’au l’Elbourz au nord de l’Iran. On l’appelle la Paratéthys. La mer Caspienne et la mer d’Aral en sont des vestiges.

Paléogéographie de l’Eurasie durant l’Éocène supérieur, retrait de la mer du Tarim et aridification de l’Asie intérieure. L’Himalaya a commencé à s’élever (UPLIFT). D’après Roderic E. Bosboom et al., 2011.

Le retrait final des mers du Tarim a été daté du dernier étage de l’Éocène, le Priabonien (de 38 à 34 Ma), plus exactement vers 37 Ma. Deux causes peuvent l’expliquer. La première est la collision de l’Inde avec l’Asie, qui a commencé durant l’Éocène. Le plateau tibétain a commencé à s’élever il y a 40 Ma. Constitué de plusieurs micro-continents issus du Gondwana, il faisait partie de l’Asie depuis le Crétacé inférieur, il y a plus de 100 Ma. Les derniers arrivés sont les blocs de Qiantang et de Lhasa. Une autre explication possible est un refroidissement climatique global à la limite entre le Bartonien (de 41 à 38 Ma) et le Priabonien, qui aurait entraîné une baisse générale du niveau des mers. Les cycles de transgressions et régressions observés dans le bassin du Tarim sont sans doute liés à de telles variations eustatiques.

Un refroidissement important s’est produit à la limite Éocène-Oligocène et a provoqué une nouvelle baisse du niveau des mers et une crise biologique, mais il est postérieur à la dernière régression. Quant au Pamir et aux Kunlun, ils n’ont commencé à s’élever que vers la fin de l’Oligocène. Il semble que les mers du Tarim aient fourni des précipitations à l’Asie intérieure et que leur disparition ait causé son aridification. Elle aurait donc entraîné la naissance des déserts du Badain Jaran et du Gobi.

Surrection et érosion du Pamir, des monts Kunlun et des Tian Shan

Le désert du Taklamakan n’est pas né immédiatement après la dernière régression. En 2015, une équipe de scientifiques dirigée par Zheng Hongbo a donné une réponse assez précise à ce difficile problème. Elle repose sur l’étude de sédiments situés au sud-ouest du bassin, postérieurs aux sédiments marins : ceux d’Aertashi et de Kekeya. Les montagnes de Mazatagh, dans la partie occidentale du désert, ont également été prises en compte. Ce sont des reliefs isolés au milieu des dunes.

Après la dernière régression, les sites d’Aertashi et de Kekeya sont alors devenus fluviatiles et deltaïques. Les deltas existent toujours dans le désert du Taklamakan, mais ce ne sont pas des endroits où les fleuves se jettent dans la mer : ils se divisent en des bras de plus en plus ramifiés avant de s’assécher. Des sebkhas sont apparues sur ces deux sites. Ce sont des zones recouvertes par quelques centimètres d’eau soumises à une évaporation intense. L’eau est par conséquent très salée et des sels précipitent. Du gypse s’est ainsi déposé. Les sédiments qui le surmontent sont du grès et du mudstone, le grès étant un sable cimenté. Le site de Mazatagh était semblable, mais il n’avait pas de delta.

Buissons de Saxaul sur des dunes du Taklamakan. @ Yoshi Canopus / Wikimedia Commons / CC BY-SA 4.0.

C’est ensuite que le désert est né. Le site d’Aertashi était un cône alluvial distal (situé à distance de la source). Des rivières en tresses ont ensuite parcouru la région. Elles ont des chenaux serpentant entre des barres fluviatiles, constituées de sables ou de galets. La présence de cônes alluviaux et de rivières en tresses signifie que des montagnes se trouvaient dans les environs et que le terrain était incliné. Le courant de ces cours d’eau était rapide et leur charge sédimentaire importante et grossière. Lorsque la pente du terrain diminue, les rivières acquièrent des méandres. Le site de Kekeya était une plaine d’inondation distale et a reçu les premiers lœss, ce qui signifie que le bassin du Tarim était devenu pleinement aride. Ce sédiment est constitué de silts portés par les vents. D’anciennes dunes éoliennes rouges, aujourd’hui totalement cimentées, sont observées dans les montagnes de Mazatagh.

La rivière Karakash, qui descend des Kunlun occidentaux.

Des changements se produisent ensuite, car plus de 2 000 mètres d’épaisseur de galets se déposent sur les sites d’Aertashi et de Kekeya. Ils constituent la formation Xiyu et sont observés en d’autres lieux du bassin du Tarim, comme dans la dépression de Koutcha, et même dans le bassin de Dzoungarie au pied des Tian Shan. Leur épaisseur va de 50 à 3 200 mètres et ils sont typiques des cônes alluviaux. Dans la partie supérieure des formations Aertashi et Kekeya, l’équipe de Zheng Hongbo a trouvé des cendres volcaniques. Il y a donc eu une éruption volcanique au sud-ouest du bassin du Tarim. À la différence des sédiments produits par l’érosion, ces cendres, appelées des tuffs, peuvent être datées. D’après ces datations, des cristaux de biotite (mica noir) et de zircon ont des âges de 11,17 Ma de 11,18 Ma, respectivement. Sachant cela, les scientifiques ont pu situer sa désertification entre 26,7 et 22,6 Ma, soit entre la fin de l’Oligocène et le début du Miocène (de 23 à 5,3 Ma).

Grains de sable transportés par la rivière Karakash (Jade Noir) à gauche et récoltés dans le Taklamakan central à droite. Les grains de calcaire sont teintés en rouge. Ils sont encore anguleux dans la rivière et sont arrondis sur les dunes, plus facilement que les autres minéraux à cause de leur faible dureté. D’après Martin Rittner et al., 2016.

Le bassin du Tarim ne se serait pas recouvert de sable s’il n’avait pas été entouré de montagnes : ce sable est produit par leur érosion. Une étude publiée en 2016 a prouvé qu’il provient du Pamir et des monts Kunlun. De nombreuses rivières descendent de ces derniers et se frayent un chemin vers le nord du désert : rivière de Yarkand, Karakash, Yurunkash, Keriya, etc. Certaines atteignent le Tarim. Leurs eaux se dirigent alors vers l’est, jusqu’à un grand marais salé appelé le Lop Nor, qui est à 780 mètres d’altitude. Le sable étant d’abord transporté par ces cours d’eau, il aurait dû s’accumuler du coté nord du bassin. On peut par conséquent supposer que les vents s’opposent à ce mouvement en poussant les dunes vers le sud.

Les grains de sable du Taklamakan sont constitués à parts à peu près égales de quartz, de feldspaths et de fragments lithiques, composés de divers minéraux. Cette composition est comparable à celle des sables transportés par les rivières provenant du Pamir et des monts Kunlun et diffère des sables produits par les Tian Shan. Il y a d’autres minéraux, dont des zircons qu’il est possible de dater, mais les âges obtenus n’ont rien à voir avec celui du désert : ils s’échelonnent grosso modo entre 500 et 200 Ma, soit entre le Cambrien et le Trias. Ces âges sont ceux des roches du Pamir et des Kunlun. Le bassin du Tarim s’enfonce actuellement sous ces montagnes, grâce au jeu de grandes failles, de même qu’il s’enfonce sous les Tian Shan.

Voir Deux phases d’élévation du plateau tibétain ont été décelées

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Roderic E. Bosboom et al., Late Eocene sea retreat from the Tarim Basin (west China) and concomitant Asian paleoenvironmental change, Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology 299, 385–398, 2011.

Zheng Hongbo et al., Late Oligocene–early Miocene birth of the
Taklimakan Desert, PNAS, June 23, 2015.

Martin Rittner et al., The provenance of Taklamakan desert sand, Earth and Planetary Science Letters 437,127–137, 2016.

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