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Deux phases d’élévation du plateau tibétain ont été décelées

Paysage des monts Qilian. @ Stefan Wagener / Flickr / CC BY 2.0.

La collision de l’Inde avec l’Asie a été le plus grand événement tectonique du Cénozoïque – la dernière des ères géologiques, commencée il y a 66 millions d’années et qui est toujours en cours. Elle a provoqué la surrection de l’Himalaya et du plateau tibétain, qui sont deux formations géologiques distinctes. La seconde a une superficie de 2 500 000 km² et une altitude moyenne de 5 000 mètres. Il est tellement inhospitalier qu’il est quasiment inhabité, alors que les vallées de l’Himalaya le sont. Il a probablement commencé à s’élever il y a environ 40 millions d’années, durant l’Éocène. La question est de savoir quand ce mouvement a atteint l’extrémité nord-est du plateau.

De ce côté, il est bordé par une chaîne de montagnes appelées les monts Qilian. Les plus hauts sommets dépassent les 5 000 mètres d’altitude. Le mont Qilian s’élève à 5 542 mètres. Au sud-ouest, ces montagnes sont délimitées par la dépression du Tsaidam (écrit Qaidam en chinois), où cohabitent des nomades tibétains et mongols. Plus à l’est, s’étend un grand lac appelé Qinghai Hu en chinois et Khökh Nuur en mongol, les deux expressions signifiant « Lac Bleu ». Les monts Qilian sont longés au nord par les vestiges les plus occidentaux de la Grande Muraille de Chine. Elle emprunte ce que l’on appelle le corridor du Hexi, séparant l’univers tibétain de l’univers mongol et passage obligé de l’ancienne Route de la Soie.

Paysage du plateau tibétain. @StateStreet / Wikimedia Commons.

La surrection de ces montagnes est guidée par des failles inverses, la plus longue étant la North Qilian Thrust Fault, NQTF sur la carte. Dans tous les cas, c’est le compartiment nord qui s’enfonce sous le compartiment sud. Ces mouvements traduisent le raccourcissement de la lithosphère. Mais le poinçonnement de l’Asie par l’Inde a également pour effet de déplacer le plateau tibétain vers l’est, d’où l’existence de la grande faille décrochante de l’Altyn Tagh. Le mouvement décrochant est représenté par des demi-flèches voisines de sens contraire. Il est transmis jusqu’au bloc indochinois, qui avance vers le sud-est. La vallée du Fleuve Rouge, au nord du Vietnam, est une faille décrochante.

Voir Y a-t-il un continent enfoui sous le Tibet ?

Un premier soulèvement au milieu de l’Éocène, en réaction immédiate à la collision Inde-Eurasie

La revue Tectonophysics vient de publier un article démontrant que le nord-est du plateau tibétain a immédiatement réagi à la collision entre l’Inde et l’Asie par la réactivation de zones de faiblesse de la lithosphère, ce plateau résultant de l’agrégation de plusieurs blocs. Il a été rédigé par douze scientifiques de la ville chinoise de Hangzhou, sous la direction d’An Kaixuan. La méthode utilisée est l’étude des traces de fission sur apatite. Ce minéral, un phosphate, est présent dans les roches granitiques. Il contient des atomes d’uranium qui laissent des traces microscopiques quand ils se désintègrent. À des températures supérieures à 110 °C, des défauts du cristal se résorbent immédiatement. Entre 60 °C et 110 °C, elles disparaissent lentement. À moins de 60 °C, elles subsistent. Ces propriétés permettent de calculer un âge qui est facile à interpréter dans les zones où les roches sont amenées vers la surface par la tectonique des plaques. On dit qu’elles sont exhumées. Puisqu’il fait chaud dans les profondeurs de la Terre, cette montée s’accompagne d’un refroidissement. C’est l’âge de cet événement qui est mesuré.

Zones étudiées par An Kaixuan et al., 2020. Strike-slip fault : faille décrochante, Thrust fault : faille inverse (ou chevauchante).

Les chercheurs ont collecté vingt-deux échantillons de granite et de granodiorite datés du Paléozoïque dans les monts Hei et Kuantan. Ces petites montagnes sont séparées des monts Qilian par le bassin de Jiuxi, dont les sédiments ont commencé à s’accumuler il y a 40 millions d’années. Ils proviennent de l’érosion des monts Hei et Kuantan, ainsi que des Beishan plus au nord, ce qui donne déjà une idée de l’époque à laquelle ceux-ci ont commencé à s’élever : elle correspond à la collision entre l’Inde et l’Eurasie.

L’histoire thermique obtenue grâce aux traces de fission sur apatite comprend cinq épisodes rapides de refroidissement lié à une exhumation. Les deux premiers, enregistrés de manière diffuse, se situent durant le Jurassique inférieur et le Crétacé inférieur. Ils pourraient être liés à des évènements qui ont précédé l’arrivée de l’Inde. Au début du Jurassique, l’océan Paléotéthys s’est fermé, entraînant l’agrégation à l’Eurasie du bloc continental du Qiangtang. Il forme aujourd’hui une partie nord du plateau tibétain. Durant le Crétacé inférieur, ce fut au tour du bloc de Lhasa de venir de coller contre l’Eurasie (c’est-à-dire contre le bloc de Qiangtang), tandis que l’océan Mésotéthys se fermait. C’était un bloc continental détaché du Gondwana, où l’Inde se trouvait alors toujours. Un épisode de refroidissement du Crétacé supérieur est plus difficile à expliquer. Ce pourrait être un événement tectonique local.

C’est le quatrième événement qui est lié à la collision de l’Inde. Il s’est produit pendant l’Éocène (de 56 à 34 Ma) et coïncide avec la sédimentation de galets et de sable grossier dans le bassin de Jiuxi, provenant de l’érosion des monts Hei et Kuantan. L’environnement était celui d’une plaine alluviale. Ils constituent la formation de Hongshaogou, datée de 40,2 à 33,4 Ma. On ne peut pas échapper à la conclusion que ces montagnes se sont élevées par effet immédiat du choc Inde-Eurasie. Elles ont conservé des enregistrements du cinquième événement mais il se lit surtout dans les monts Qilian. Il est daté du Miocène moyen, vers 17 Ma. Les sédiments du sud du bassin de Jiuxi proviennent alors des monts Qilian et se sont déposés dans des lacs peu profonds, qui comportaient des chenaux. Ils sont plus fins que ceux de la formation de Hongshaogou.

Un deuxième soulèvement durant le Miocène

Le même numéro de Tectonophysics comprend un autre article rédigé par sept scientifiques chinois, dont Li Lin, qui travaille à l’université de Rennes 1. Ils ont également utilisé les cristaux d’apatite, mais en exploitant une autre propriété. La désintégration des éléments radioactifs produit des noyaux d’hélium. À une température inférieure à 60 °C, ils restent piégés dans le cristal ; à plus de 100 °C, ils s’en échappent. On appelle cette méthode la thermochronologie (U-Th)/He. Les chercheurs se sont intéressés aux monts Qilian. Ils ont prélevé des échantillons de granite paléozoïque au sud de la chaîne, dans une zone faillée près du bassin du Tsaidam. Les âges de refroidissement qu’ils ont trouvés sont compris entre 15 et 10 Ma. Comme d’autres mesures ont donné des résultats similaires dans les monts Qilian, les auteurs ont conclu que cette chaîne n’a commencé à s’élever que durant le Miocène tardif et que le soulèvement du nord-est du plateau tibétain est plus récent qu’on ne le pense.

Les deux études ne se contredisent que partiellement. Elles montrent que la surrection du plateau tibétain est complexe. Les monts Hei et Kuantan ont bien commencé à s’élever en réaction immédiate à la collision Inde-Eurasie, mais une autre phase de soulèvement s’est produite vers le milieu du Miocène et le même résultat a été obtenu par les deux équipes. Une vaste zone a été affectée, puisque des dates « d’exhumation » similaires ont aussi été trouvées à l’ouest de la la Mongolie, dans l’Altaï et le Gobi-Altaï.

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An Kaixuan et al., An immediate response to the Indian-Eurasian collision along the
northeastern Tibetan Plateau: Evidence from apatite fission track analysis in
the Kuantan Shan-Hei Shan
, Tectonophysics 774, 2020.

Meng Qingquan et al., Middle-late Miocene rapid exhumation of the southern Qilian Shan and implications for propagation of the Tibetan Plateau, Tectonophysics 774, 2020.

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