Histoire de la Terre et de la vie - Actualités géologiques

Histoire de la Terre

La Terre hadéenne : collision cataclysmique et atmosphère de silicates vaporisés

Collision Terre Théia

Collision de la proto-Terre et de Théia. Mark Garlick/Science Photo Library/Getty Images

L’hadéen est le premier éon de la Terre, commencé à sa naissance il y a 4,57 milliards d’années et terminé il y a 4 milliards d’années, avec l’apparition des plus anciennes roches terrestres, les gneiss d’Acasta au Canada. Ainsi, par définition, il n’existe aucune roche hadéenne, mais on connaît de petits cristaux de zircon dont les âges atteignent 4,4 milliards d’années. À défaut d’être des roches (formées en général de plusieurs minéraux), ce sont bel et bien des matériaux hadéens. Leur présence prouve plusieurs choses, la plus importante étant la présence d’importantes quantités d’eau liquide sur notre planète il y a 4,4 milliards d’années. Ensuite, les zircons cristallisent en général dans les roches felsiques, riches en silice et contenant des cristaux de feldspath. Le granite est l’exemple le plus connu de telles roches, mais il en existe d’autres. Il a donc existé des roches felsiques durant l’Hadéen, faisant certainement partie d’une croûte solide.

L’accrétion et la différenciation de la proto-Terre

On ne peut que tenter d’imaginer ce qu’était la Terre avant l’apparition de ces premiers cristaux. Notre planète est un agglomérat de corps dont la composition chimique est semblable aux chondrites à enstatite, des météorites contenant à la fois des silicates (des oxydes de silicium) comme l’enstatite, qui est de la famille des pyroxènes, et du fer et du nickel à l’état métallique (non oxydé). Environ 100 000 ans après la naissance du Système solaire, un grand nombre de planétésimaux s’étaient constitués. Leurs tailles allaient de quelques dizaines à quelques centaines de kilomètres de rayon. En entrant en collision les uns avec les autres, les planétésimaux ont formé des embryons de planètes aux rayons dépassant les mille kilomètres. Plus ils étaient massifs et plus ils attiraient de corps, si bien qu’un emballement s’est produit : ces embryons se sont agrandis rapidement en « faisant le vide » autour d’eux. Cet processus d’agglomération de corps de diverses tailles est appelé accrétion.

Tranche de pallasite, comprenant à la fois des cristaux d’olivine et un alliage fer-nickel.

Ces planétésimaux avaient été chauffés par le déclin d’isotopes radioactifs comme l’uranium 238, qui existe toujours mais en moins grande quantité, et comme l’aluminium 26 et le fer 60, qui n’existent plus. L’aluminium 26, dont la demi-vie est de 717 000 ans, disparaît au bout de 3 millions d’années. Le fer 60 a une demi-vie de 2,6 millions d’années. Les planétésimaux ayant au minimum une vingtaine de kilomètres de diamètre avaient partiellement fondu, si bien qu’ils avaient une couche de magma sous leur croûte. Il est possible que ces chocs aient expulsé des gouttes de magma, qui se sont solidifiées dans l’espace et sont devenues des chondres : ces sphérules que l’on trouve dans les chondrites. Elles sont datées de 3 à 5 millions d’années après la naissance du Système solaire. Les chondrites, météorites qui comportent ces chondres, seraient des fragments de planétésimaux secondaires, formés assez tardivement pour les avoir incorporés.

Trois stades d’accrétion, des planétésimaux aux embryons de planètes puis aux planètes, d’après Elkins-Tanton 2011. Les planétésimaux peuvent être indifférenciés ou différenciés. Leurs rayons valent des dizaines à des centaines de kilomètres et ils ont été accrétés en environ 100 000 ans. Ils peuvent avoir des océans de magma internes. Les embryons ont des milliers de kilomètres de rayon, sont différenciés et peuvent avoir des bassins ou des océans de magma à cause d’impacts. Les planètes sont différenciées et se sont accrétées en des centaines de millions d’années. Elles peuvent avoir des bassins ou des océans de magma, et des couches de magma en profondeur à cause de l’énergie de la différenciation, d’une inversion de densité lors de la solidification ou de la chaleur radiogénique.

Quoi qu’il en soit, la fusion des plus grands planétésimaux a permis une différenciation entre un manteau silicaté et un noyau métallique. Les silicates les plus fréquents sont les olivines (ou péridots) et les pyroxènes. Ils forment dans le manteau supérieure de la Terre des roches appelés des péridotites. Leur densité est de 3,3 alors que celle du fer est de 7. Le fer est donc attiré vers le centre du planétésimal, laissant en périphérie un manteau péridotitique. La fusion permet la séparation des silicates et du métal. Ils se séparent en deux liquides immiscibles. Elle est d’autant plus nécessaire que dans les corps à faible gravité, les métaux sont faiblement attirés vers le centre.

Une péridotite. Elle doit sa couleur vert olive aux olivines.

La fusion et la différenciation se sont produits dans tous les embryons de planètes. Ils ont été chauffés par le déclin des éléments radioactifs, mais aussi par les impacts des planétésimaux qui tombaient sur eux. La différenciation elle-même a produit de la chaleur, le fer libérant de l’énergie gravitationnelle en migrant vers le centre. Rapidement après sa formation, la proto-Terre avait acquis presque 90 % de sa masse. On pense que sa différenciation s’est effectuée en quelques dizaines de millions d’années. Si, au début de l’histoire de la proto-Terre, le manteau était partiellement solide à une certaine profondeur, les gouttes de métal ont dû percoler entre ses cristaux. Il est également possible que des « poches » de métal, appelés « diapirs » par les géologues, se soient très lentement enfoncées dans le manteau pour se rassembler au centre. Des chutes de planétésimaux différenciés ont pu fournir à la proto-Terre des noyaux métalliques qui se sont joints à celui en croissance de la proto-Terre. Il est longtemps resté totalement liquide : le noyau interne (ou graine) n’est peut-être apparu qu’il y a un milliard d’années. Ce noyau, bien qu’il soit situé à 2 900 km sous nos pieds, est d’une importance fondamentale pour la vie, car c’est lui qui la protège des vents solaires en créant un champ magnétique.

L’origine de la Lune

Quelques dizaines de millions d’années après la naissance du Système solaire, un évènement cataclysmique s’est produit : le choc de la proto-Terre avec Théia, une protoplanète de la taille de Mars (qui a un rayon équatorial de 3 396 km). Sa masse est de seulement un dixième de la masse de la Terre. Le processus d’accrétion initial s’était terminé en moins de 3 millions d’années, mais il y avait des dizaines d’embryons de planètes (ou protoplanètes) dans le Système solaire avec des orbites excentriques qui leur permettaient d’entrer en collision. Les chocs sont devenus plus rares mais aussi beaucoup plus violents jusqu’à une centaine de millions d’années après la naissance du Système solaire.

Le problème de la Lune est qu’elle a un noyau métallique trop petit, si bien que sa densité moyenne est de seulement 3,34. C’est presque celle des péridotites du manteau terrestre. En fait, elle a une composition comparable à celle de la Terre silicatée (manteau et croûte). Par contre, elle manque d’éléments volatils, notamment de potassium, de sodium et de rubidium, et elle a un excès d’éléments réfractaires (qui résistent à la chaleur) comme l’uranium et le strontium. De plus, l’oxygène de la Lune a la même composition isotopique que celui de la Terre, ce qui a une signification importante car c’est l’élément le plus abondant de leurs manteaux.

Théia a heurté la Terre avec une telle violence qu’environ 20 % de son manteau a été vaporisé. Il est cependant possible qu’une partie du manteau profond n’ait pas été affecté, du côté opposé au choc. Un « nuage » de silicates vaporisés, contenant beaucoup d’oxygène (voir ci-dessous), s’est constitué autour de ce qu’il restait de la proto-Terre, son noyau étant intact. Il était en rotation rapide parce que le choc avait été tangentiel. Il comporte une région interne dite de corotation, une zone de transition et un tore externe. Cet objet astronomique a été défini en 2018 par la planétologue Sarah Stewart et son étudiant Simon Lock. Ils l’ont appelé une synestia, mot combinant le préfixe syn- et le nom de la déesse grecque Hestia. Il est encore théorique mais il explique bien les caractéristiques de la Lune.

Avant Stewart et Lock, on pensait que la collision avait créé un disque de débris autour de la Terre (Planet and disk). La synestia est très différente.

D’après ces scientifiques, la synestia qui a engendré la Terre et la Lune n’était pas exceptionnelle, mais était une étape normale de la formation des planètes rocheuses : la dernière et la plus violente, celle des impacts géants, qui a duré jusqu’à 100 millions d’années après la naissance du Système solaire. Il est tout à fait possible qu’un autre impact géant se soit produit avant le choc avec Théia, mais c’est impossible à déterminer.

Contraction de la synestia terrestre et formation de la Lune, d’après Lock & Stewart, 2018.

Le contenu du tore était largement gazeux. Il s’est refroidi par radiation, provoquant la condensation de magma à la surface du tore et une pluie torrentielle de gouttes (2 sur l’illustration) tombant sur le plan de la future orbite lunaire (3). En une année, les condensats ont formé des « graines de lune » (4) en équilibre chimique avec les vapeurs de silicates terrestres. Les gaz exerçaient plusieurs dizaines de bars de pression, à des températures comprises entre 3 100 et 3 700 °C. Durant les décennies qui ont suivi, tandis que la synestia refroidissait et se contractait (5), la Lune croissait pas accrétion des condensats. Elle commençait à se solidifier en capturant une petite atmosphère. Elle s’est séparée de la synestia (8), qui s’est contractée dans la limite de Roche. C’est la limite en-deça de laquelle un satellite est disloqué par les forces de marées que sa planète exerce sur lui. La Terre s’est formée par contraction de la synestia, en récupérant les éléments modérément volatils. Elle a acquis la totalité de sa masse actuelle.

En 2019, l’équipe de Maxwell Thiemens a donné des raisons de penser que le choc a eu lieu approximativement 50 millions d’années après la naissance du Système solaire. Son raisonnement repose sur le déclin radioactif du hafnium 182 en tungstène 182, qui se fait avec une demi-vie de 8,9 millions d’années, et sur le fait que le hafnium se concentre dans les silicates et le tungstène dans les métaux. C’est le même type d’observation qui permet d’affirmer que la différenciation entre le manteau et le noyau de la Terre a été effectuée en quelques dizaines de millions d’années. L’équipe de Thiemens, quant à elle, a examiné des roches lunaires et trouvé un rapport hafnium/tungstène un peu plus élevé que dans les roches terrestres.

Des atmosphères de silicates vaporisés sur la Terre et certaines exoplanètes

La Terre a commencé sa « vie » avec un océan de magma dont la température de surface atteignait les 8 000 °C d’après les simulations de Robin Canup (antérieures à celles de Stewart et Lock), les silicates pris à Théia étant particulièrement chauds, mais le refroidissement a dû être très rapide au début. Il y avait une épaisse atmosphère de silicates vaporisés. Ces gaz étaient principalement du sodium, du monoxyde de silicium SiO, du dioxygène O2 et de l’oxygène monoatomique O. Cette abondance d’oxygène n’a rien de surprenant, puisque c’est l’élément le plus abondant du manteau. Dans l’olivine et les pyroxènes, chaque atome de silicium s’entoure de quatre atomes d’oxygène, formant un tétraèdre chargé négativement. Tous les silicates comportent ces tétraèdres, auxquels s’adjoignent des cations : magnésium, fer, calcium, etc. L’aluminium peut se substituer au silicium. La fusion des minéraux détruit ces réseaux de tétraèdres. Ils sont eux-mêmes détruits en libérant les atomes d’oxygène lors d’une vaporisation. On s’attendrait à trouver plus de magnésium sous forme gazeuse, car il y en a beaucoup dans le magma, et moins de sodium.

Structure cristalline du zircon, qui est un silicate de zirconium Zr(SiO4). Quelques tétraèdres, composés d’un atome de silicium et de quatre atomes d’oxygène, ont été mis en bleu. Comme ce sont des anions, chaque tétraèdre a quatre charges négatives. Ils doivent donc s’associer avec des cations. L’olivine et le zircon appartiennent à la famille des nésosilicates, où les tétraèdres sont isolés les uns des autres. Les pyroxènes sont des inosilicates, où les tétraèdres forment des chaînes en se partageant des atomes d’oxygène. Ils comportent donc moins d’oxygène que les nésosilicates. La formule de l’enstatite est ainsi Mg(SiO3).

Cette composition des silicates vaporisés a été calculée par Bruce Fegley et Laura Shaefer en 2012. L’exercice n’a pas qu’un but historique, car il existe dans la Galaxie des exoplanètes rocheuses recouvertes d’un océan de magma que surmonte une atmosphère de silicates vaporisés, soit parce qu’elles viennent de se former, soient parce qu’elles orbitent tellement près de leur étoile qu’elles sont partiellement fondues.

Pendant plusieurs milliers d’années, un observateur extraterrestre n’aurait vu de la Terre que des nuages incandescents de silicates à environ 2 200 °C, qui dissimulaient sa surface. La condensation des silicates vaporisés faisait pleuvoir des gouttes de magma à raison d’un mètre par jour. Fegley et Shaefer ont donné la composition de ces nuages pour une température de surface de 1 727 °C. Les silicates vaporisés dominants sont Na, O2 et O. Il y a aussi un peu de Fe, SiO, FeO et Mg. La forstérite (olivine magnésienne) cristallise alors à 4,5 km d’altitude à une température de 1 682 °C. De l’anorthite et de la wollastonite liquides apparaissent à plus de 7 km d’altitude, ainsi que du rutile à 40 km et à une température de 1 330 °C, mais ils ne constituent qu’une fine brume. Les nuages de Na2O, à 82 km d’altitude et 890 °C, sont les plus massifs, suivis par la cristobalite à 13 km, la magnétite à 18 km et la forstérite.

Des atmosphères de composition comparable existent peut-être sur trois exoplanètes : CoRoT-7b (surface en moyenne à 1 537 °C), Kepler-10b (1 560 °C) et 55 Cancri e (1 694 °C). Laura Schaefer, Katharina Lodders et Bruce Fegley en ont parlé dans un article de 2012. CoRoT-7b est la première exoplanète rocheuse découverte, en 2009. Elle a environ 7 masses terrestres et son rayon est 1,5 fois plus grand que celui de la Terre, ce qui lui donne une densité de 10,9. Elle n’orbite qu’à 2,5 millions de kilomètres de son étoile, en lui présentant probablement toujours la même face. Celle-ci atteint donc les 2 200 °C, tandis que la température ne dépasse pas – 198 °C sur la face sombre. Toutefois, son atmosphère, entièrement due à la vaporisation des silicates, serait extrêmement tenue. Sa pression atteindrait seulement 1 pascal (0,01 mbar). Sous les 10 km d’altitude, il pourrait y avoir une condensation d’enstatite, de corindon, de spinelle ou de wollastonite.

Vue d’artiste de l’exoplanète CoRoT-7b. ESO/L. Calçada.

Sur la jeune Terre, ces conditions n’ont pas duré plus que quelques millénaires. Les silicates vaporisés se sont condensés et sont tombés dans l’océan de magma, ne laissant plus dans l’atmosphère que des éléments très volatils comme le sodium. On peut penser que la présence d’oxygène avait rendu l’atmosphère oxydante, mais le noyau métallique de Théia n’avait pas totalement coulé au centre de la Terre. Il y avait peut-être une émulsion de fer dans l’océan de magma, qui était réductrice (ayant tendance à céder des électrons). À mesure que les silicates vaporisés disparaissaient, les composés volatils « ordinaires » jouaient un rôle de plus en plus important dans l’atmosphère : vapeur d’eau, gaz carbonés et soufrés. Ce sont des gaz à effet de serre, si bien que la température de surface s’est stabilisée autour des 1 700 °C. Une phase beaucoup plus longue de l’histoire de la Terre commençait alors.

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Linda Elkins-Tanton, Magma Oceans in the Inner Solar System, Annual Review of Earth and Planetary Sciences, 2011.

Simon J. Lock, Sarah T. Stewart et al., The Origin of the Moon Within a Terrestrial Synestia, JGR Planet, 28 February 2018.

Bruce Fegley, Jr. and Laura K. Shaefer, Chemistry of the Earth’s Earliest Atmosphere, Treatise of Geochemistry, Chapter 13.3, 2012.

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