Histoire de la Terre et de la vie - Actualités géologiques

Energies et climat

L’effet de serre radiatif

Effet de serre

Illustration très simplifiée de l'effet de serre. La flèche descendante à droite devrait indiquer le rayonnement émis par l'atmosphère vers la surface de la Terre, où il est converti en énergie thermique.

Si la Terre n’est pas complètement gelée depuis plus de 4 milliards d’années, c’est parce qu’elle est dotée d’une atmosphère et que celle-ci contient des gaz ayant le pouvoir d’absorber les rayons infrarouges : les gaz à effet de serre, appelés GES en abrégé. Ce phénomène, que l’on ne présente plus aujourd’hui, a été pressenti depuis le XIXe siècle mais il n’a pas tout de suite été compris. Il a été mal nommé, car il ne ressemble pas à ce qui se passe dans une serre.

Pour faire la distinction, on parle parfois d’effet de serre radiatif. Ici, comme il n’y a pas de risque de confusion, l’adjectif « radiatif » ne sera pas utilisé.

Le but de cet article est de donner une description détaillée de l’effet de serre, sans utiliser de formules mathématiques mais avec des graphiques. Il faudrait pourtant des mathématiques, parce que c’est de la physique. L’équation du transfert radiatif, qui se trouve au cœur de la théorie, ne sera pas formulée. C’est comme expliquer la mécanique quantique sans citer l’équation de Schrödinger. Les physiciens comprennent un phénomène quand ils peuvent le mettre en équation et faire des prédictions soumises à l’observation ou l’expérimentation. Heureusement, il est toujours possible de vulgariser les théories scientifiques, mais non sans prendre le risque de masquer leur complexité. Or, disons-le tout de suite : la physique de l’atmosphère est complexe.

Principe de l’effet de serre

Quasiment toute l’énergie que reçoit le système Terre-atmosphère provient du Soleil. Ici, le mot « Terre » désignera toujours la surface de la Terre (continents et océans), l’atmosphère étant à part. Dans l’espace, une surface perpendiculaire aux rayons reçoit un flux d’énergie d’environ 1361 W/m² (watts par mètre carré). Ce nombre est appelé la constante solaire, bien qu’il ne soit pas tout à fait constant. On sait que les taches solaires présentent un cycle de 11 ans, au cours duquel ses variations n’excèdent pas 3 W/m². Ce rayonnement se situe à 7 % dans l’ultraviolet, à 50 % dans le visible et à 43 % dans l’infrarouge. Pour effectuer le bilan radiatif de la Terre, on considère qu’il est réparti uniformément sur l’ensemble du globe. Au sommet de l’atmosphère, le flux d’énergie entrant est ainsi de 340 W/m² : la constante solaire divisée par 4. Seuls 185 W/m² arrivent jusqu’à la surface de la Terre. 160 W/m² sont absorbés par elle et le reste est réfléchi. Comme la surface est chauffée à 288 K (ou 15 °C), la Terre émet des infrarouges avec une puissance d’environ 398 W/m². Le maximum se situe vers 10 µm (micromètres). La constante solaire exceptée, toutes ces évaluations ont une incertitude de quelques W/m².

Seule une petite partie du rayonnement thermique de la Terre parvient à traverser l’atmosphère pour se perdre dans l’espace, par ce que l’on appelle la « fenêtre atmosphérique ». Elle se situe entre 8 et 12 µm et correspond au maximum d’émission thermique de la Terre. Le reste de ce rayonnement est absorbé par les nuages et les GES. Une partie (342 W/m²) est renvoyée vers la surface de la Terre, également sous forme d’infrarouges, et contribue à son chauffage. C’est le principe de l’effet de serre. Évidemment, cette chaleur ne s’y accumule pas à l’infini, mais il s’établit un équilibre où la température de la surface de la Terre est plus élevée qu’elle ne le serait sans l’effet de serre. En moyenne, celle-ci est presque deux fois plus chauffée par l’atmosphère que par le rayonnement solaire qui arrive à l’atteindre.

Les infrarouges envoyés par l’atmosphère vers la Terre sont absorbés parce qu’elle est un « corps noir » presque parfait. On appelle ainsi un corps idéal qui absorbe tout le rayonnement électromagnétique qu’il reçoit. Ces corps sont également des émetteurs parfaits. À l’équilibre thermodynamique, leur flux énergétique, en fonction de la longueur d’onde (émittance spectrale), est décrit par la loi de Planck, dont la formulation a marqué l’avènement de la physique quantique. C’est elle qui nous dit qu’un corps chauffé à 288 K, comme la surface de la Terre, émet des infrarouges avec un maximum autour de 10 µm. Les longueurs d’onde des infrarouges vont de 0,78 µm à 0,1 mm.

émittance spectrale d'un corps noir
L’émittance spectrale d’un corps noir en fonction du nombre d’onde (inverse de la longueur d’onde) et pour trois températures. La courbe en bleu correspond à 294 K ou à 21 °C.

L’absorption du rayonnement électromagnétique par les molécules de l’air est également décrit par la physique quantique. Elles ont des niveaux de vibration et de rotation et elles passent de l’un à l’autre en émettant ou en absorbant des photons de grande longueur d’onde, parce qu’ils sont peu énergétiques. Les différences entre ces niveaux d’énergie sont faibles. Dans l’infrarouge proche, seuls les niveaux de vibration comptent. Dans l’infrarouge lointain, les niveaux de rotation s’ajoutent et complexifient le phénomène. L’air sec (sans vapeur d’eau) contient 78,08 % d’azote et 20,95 % d’oxygène, sous forme de molécules diatomiques symétriques. Elles n’ont qu’un seul mode de vibration, si bien qu’elles n’absorbent ou n’émettent quasiment pas d’infrarouges. Par conséquent, l’azote et l’oxygène ne sont pas des GES. L’argon, présent à 0,93 %, n’en est pas non plus un puisqu’il est composé d’atomes isolés. Les deux premiers GES sont la vapeur d’eau (0,33 % en moyenne) et le dioxyde de carbone (0,042 % au printemps 2022), parce que leurs molécules sont triatomiques.

En décomposant le rayonnement émis par un gaz grâce à un spectroscope, on voit une série de raies qui correspondent aux longueurs d’onde des photons émis. C’est son spectre d’émission. Les collisions entre molécules et leurs vitesses par rapport à l’observateur (effet Doppler) élargissent les raies. Dans l’infrarouge, les raies des molécules sont regroupées en bandes. Les météorologues et climatologues scrutent quotidiennement le ciel et identifient les molécules présentes, celles des GES, grâce à leurs spectres.

L’effet de serre est une grandeur physique qui a une définition mathématique : c’est le flux énergétique émis par la surface de la Terre moins le flux émis vers l’espace par le sommet de son atmosphère F. Globalement, il vaut 398 – 239 = 159 W/m². Cette énergie, renvoyée dans le système Terre-atmosphère, élève la température au sol de 33 °C. En effet, sans gaz à effet de serre, la Terre aurait une température d’équilibre de – 18 °C. Elle se calcule grâce à la loi de Stefan-Boltzmann, liée à la loi de Planck (mais trouvée avant elle). Avec une telle température, la Terre serait complètement gelée. L’effet de serre naturel est donc nécessaire à la vie.

Émission et absorption de l’atmosphère

Pour évaluer F, on considère le rayonnement émis par la surface de la Terre et ceux émis par chaque couche d’air, en tenant compte de l’absorption qu’ils ont subie avant d’atteindre le sommet de l’atmosphère. Le rayonnement de l’air est de nature thermique, comme celui de la surface de la Terre. Cependant, il est moins intense puisque l’air n’est pas un corps noir : il n’absorbe que partiellement le rayonnement qu’il reçoit. Sa capacité d’émission est également moindre. En fait, les capacités d’absorption et d’émission de l’air sont décrites par un même nombre qu’on peut appeler au choix l’absorptivité ou l’émissivité.

Un spectre d’émission est produit par un gaz, de l’hélium dans le cas présent. Pour avoir un spectre d’absorption, il faut placer ce gaz devant une source de lumière produisant un spectre continu.

Les bases de données comme GEISA ou HITRAN recensent les paramètres de 50 molécules présentes dans l’atmosphère, connus grâce à la théorie et aux mesures de spectroscopie en laboratoire. Plusieurs millions de raies sont répertoriées. Grâce à ces bases, il est possible de calculer l’absorptivité de chaque gaz en fonction de la pression, de la température et de sa concentration. Ces calculs sont comparés à des observations de l’atmosphère effectuées à partir du sol ou de satellites, dont quelques exemples sont présentés ci-dessous.

Les spectres d’absorption sont les « négatifs » des spectres d’émission : les raies y sont en noir sur fond clair. Les molécules absorbent le rayonnement électromagnétique (ou les photons) aux longueurs d’onde où ils sont capables de les émettre. Un photon émis par la surface de la Terre peut traverser toute l’atmosphère jusqu’à son sommet si sa longueur d’onde ne correspond à aucune raie d’absorption des GES – et en l’absence de nuage. Les autres ne peuvent pas s’en échapper. Cependant, si l’air absorbe des photons, il en émet aussi, en fonction de sa température. Plus il est chaud, plus son rayonnement est intense.

atmosphère troposphère stratosphère mésosphère

La troposphère s’étend jusqu’à une dizaine de kilomètres d’altitude. La température moyenne y décroît de 15 °C jusqu’à – 56 °C. La teneur en vapeur d’eau décroît aussi jusqu’à devenir quasiment nulle, puisque plus l’air est froid, moins il peut en contenir. À haute altitude, cela donne la prééminence au CO2, comme gaz à effet de serre. Il n’y a pas d’équilibre radiatif dans la troposphère. La surface de la Terre renvoie vers l’atmosphère, de manière non radiative, une partie de l’énergie qu’elle reçoit : à peu près 103 W/m². Pour cela, un flux de chaleur sensible s’établit, grâce à la convection (21 W/m²), ainsi qu’un flux de chaleur latente, grâce à l’évaporation-transpiration en surface suivie de condensation de vapeur d’eau en altitude (82 W/m²).

Plus haut, dans la stratosphère, la température reste stable puis remonte, à une cinquantaine de kilomètres d’altitude, jusqu’à environ 0 °C. C’est la formation d’ozone à partir de l’oxygène qui chauffe la stratosphère. Cette région en équilibre radiatif est parfaitement stable. La pression, qui est « normalement » de 1013,25 hPa au niveau de la mer, diminue jusqu’à 250 hPa au sommet de la troposphère (la tropopause), puis jusqu’à 1 hPa au sommet de la stratosphère (la stratopause). Les trois quarts de la masse de l’atmosphère se concentrent dans la troposphère, où ont lieu presque tous les phénomènes météorologiques.

L’ozone O3, connu pour protéger la Terre des rayons ultraviolets, est un GES, puisque cette molécule est triatomique. L’absorption des infrarouges provenant du Soleil et de la Terre (descendants et ascendants) se fait autour de 9,6 µm, dans la fenêtre atmosphérique. Étant donné la faible densité de l’air à cette altitude, un photon émis vers le haut a de bonnes chances de pouvoir s’échapper dans l’espace. Un tiers du refroidissement de la stratosphère est causé par l’ozone, au-dessus de 30 km, et les deux autres tiers par le CO2, autour de 15 µm. Il est compensé par l’absorption des ultraviolets lors de la formation de l’ozone.

Calcul de l’effet de serre pour une surface à 21 °C et pour une atmosphère à 435 ppm de dioxyde de carbone

Sachant cela, il est possible de calculer le flux d’énergie Fν sortant de l’atmosphère, en fonction du nombre d’onde v. En spectroscopie, on n’utilise pas la longueur d’onde d’un rayonnement, mais son nombre d’onde, qui est l’inverse de sa longueur d’onde exprimée en cm–1. Ainsi, une longueur d’onde de 15 µm correspond à un nombre d’onde de 668 cm–1. On considère d’abord que le CO2 est le seul gaz à effet de serre. L’absorption entre le niveau de la mer (altitude 0) et le sommet de l’atmosphère à zt = 100 km d’altitude est donnée par un nombre Τν(0,zt) appelé la transmission spectrale. Il est égal 1 en l’absence d’absorption et à 0 si l’absorption est totale.

Le CO2 possède deux bandes d’absorption, autour de 668 cm–1 et autour de 2300 cm–1, mais la deuxième ne compte pas puisque la surface de la Terre n’émet quasiment pas d’infrarouges dans ce domaine. Le calcul de la transmission spectrale donne le résultat suivant :

Transmission spectrale de l’atmosphère totale en fonction du nombre d’onde.

On considère que la température de la surface vaut 294 K (21 °C) et que son émissivité est égale à 1 (elle est plus proche en réalité de 0,94). L’atmosphère est divisée en 65 couches de températures et de pressions variables. La concentration en CO2 est fixée partout à 435 ppm. Avec ces hypothèses, le flux énergétique ascendant Fν est représenté par ces courbes, où un lissage a été effectué :

Deux modèles ont été utilisés, donnant des résultats très semblables. Le graphique du bas montre la contribution du rayonnement infrarouge de la surface de la Terre (courbe bleue), qui n’est quasiment pas absorbé hors de la bande à 668 cm–1. L’absorption est en revanche totale dans une petite zone autour de 668 cm–1. Les infrarouges observés dans cette zone ont été émis par l’atmosphère (courbe orange) et non par la surface de la Terre.

Le graphique du haut permet de visualiser l’effet de serre. La courbe, sans le « creux » causé par l’absorption autour de 668 cm–1, représente la loi de Planck pour un corps noir à 294 K. Son aire, qui vaut 386 W/m², est l’émittance totale de la surface (en langage mathématique, c’est l’intégrale de la courbe). Si l’on retranche l’aire de la courbe de Fν, il reste l’aire du « creux » : c’est l’effet de serre.

Altitude d’émission, pression d’émission et température d’émission autour de la bande à 668 cm–1.

À partir ces calculs, il est possible d’obtenir l’altitude d’émission Ze(ν) de chaque photon, ainsi que la température de la couche d’air Te(ν) qui l’ a émis (température d’émission), en fonction de son nombre d’onde ν. Il est intuitif que plus l’atmosphère est absorbante, plus l’altitude d’émission est élevée : un photon émis à une altitude inférieure n’aurait aucune chance d’atteindre le sommet de l’atmosphère et de s’échapper dans l’espace. Pour tous les photons dont le nombre d’onde se trouve en dehors de la bande autour de 668 cm–1, l’altitude d’émission est nulle. Ils proviennent de la surface et l’atmosphère est transparente pour eux. Pour les photons dont le nombre d’onde se trouve dans cette bande, l’altitude d’émission varie entre 5 et 15 km. C’est cohérent avec ce qui a déjà été dit : ils ont été émis par l’atmosphère. Il s’agit plus exactement de la troposphère, où la température décroît avec l’altitude. La température d’émission descend jusqu’à 220 K (– 53 °C). Il y a un pic à 668 cm–1 où l’altitude d’émission monte brutalement à 30 km. Ces photons proviennent de la stratosphère, où la température augmente avec l’altitude.

Conséquences d’une augmentation de la concentration en dioxyde de carbone

Le problème auquel la biosphère est actuellement confrontée est le rejet massif de CO2 depuis que les combustibles fossiles sont utilisés. Cela a fait passer la concentration en CO2 de 280 ppm avant l’ère industrielle à 420 ppm. Mais comment cette augmentation peut-elle accroître l’effet de serre radiatif ? En 1900, physicien suédois Knut Ångström a fait réaliser une expérience démontrant que la variation de concentration en CO2 dans un tube d’air n’avait pas d’influence sur l’absorption des infrarouges. Il contredisait son compatriote Svante Arrhenuis, qui avait déjà prédit en 1896 le réchauffement climatique actuel (mais grâce à un raisonnement faux). Les scientifiques de l’époque ont pensé que son expérience était concluante, mais elle ne l’était pas. On ne savait pas, à cette époque, que tout se jouait dans la haute atmosphère.

L’argument principal contre une augmentation de l’effet de serre est celui de la saturation : si la vapeur d’eau et le dioxyde de carbone absorbent déjà tout le rayonnement infrarouge émis par la surface de la terre, une augmentation de la concentration en CO2 n’y changera rien. Ce n’est que partiellement vrai.

Pour comprendre ce qui se passe, on refait tous les calculs en doublant la concentration de CO2. Elle passe donc à 870 ppm. En dehors de la bande à 668 cm–1, il n’y a pas de changement : le CO2 continue à être transparent aux infrarouges telluriques. Au milieu de cette bande, il n’y a pas de changement non plus, puisque les infrarouges continuent à être totalement absorbés. Cette zone du spectre est bel en bien saturée. On remarque une augmentation de l’altitude d’émission d’environ 2,5 km, sans pour autant que la température d’émission varie, car la température de l’air est constante juste au-dessus de 15 km d’altitude.

Variations de l’altitude et de la température d’émission quand la concentration en CO2 est doublée autour de la bande à 668 cm–1.

Cependant, sur les bords de cette bande, des changements se produisent. L’altitude d’émission augmente de 0 à 2,5 km. Comme elle était initialement comprise entre 5 et 15 km, cela fait diminuer la température d’émission et par conséquent l’émittance spectrale, puisque dans cette région de la troposphère, la température diminue avec l’altitude. Il en résulte un élargissement du « creux » dont l’aire est par définition égale à l’effet de serre. Le calcul donne une augmentation de 6,28 W/m². Il faut cependant préciser que la variation de la transmission spectrale Τν(0,zt) intervient aussi, de manière moins importante.

Variations spectrales de l’effet de serre après doublement de la concentration en CO2 (courbe rouge). L’aire de la courbe rouge est l’augmentation totale de l’effet de serre. Elle vaut 6,28 W/m². Les courbes bleu et orange donnent respectivement les contributions des variations de la transmission spectrale et de la température d’émission. Les courbes rouge et orange se confondent autour de 668 cm–1.

Si l’altitude d’émission se trouvait dans la stratosphère, une augmentation de la concentration en CO2 provoquerait une diminution de l’effet de serre. Elle aurait donc un effet refroidissant ! On voit que l’effet de serre n’est pas très intuitif.

Dans les régions polaires, la surface est plus froide que la troposphère, si bien que la température augmente avec l’altitude comme elle le fait dans la stratosphère. Il y a une inversion de température. Au lieu de faire un « creux » dans la courbe de la luminance spectrale autour de 668 cm–1, le CO2 y fait une « bosse ». L’atmosphère se débarrasse ainsi que l’excès de chaleur qu’elle reçoit autour des pôles, et qui provient du mouvement des masses d’air. Celui-ci a principalement pour but de transporter vers les pôles la chaleur que la Terre reçoit du Soleil à l’équateur.

Le rôle de la vapeur d’eau

Il reste à évaluer le rôle de l’eau dans l’effet de serre. Elle est présente dans l’atmosphère sous forme gazeuse (vapeur d’eau) et sous forme liquide ou solide, dans les nuages, mais seul un ciel clair sera considéré ici. La vapeur d’eau représente 67 % de l’effet de serre, contre 32 % pour le dioxyde de carbone, chiffres un peu différents de ceux donné dans l’article sur le bilan radiatif et plus souvent cités (60 % contre 26 %). En tout cas, la présence de la vapeur d’eau dans les 10 premiers kilomètres de l’atmosphère ne rend pas celle du CO2 négligeable.

Flux énergétique total sortant de l’atmosphère terrestre (en rouge). Contributions de l’atmosphère (en orange) et de la surface de la Terre (en bleu). La fenêtre atmosphérique est encadrée par deux lignes en tiretés. A gauche et à droite, les courbes rouge et bleue se confondent.

Le calcul des flux énergétiques est effectué avec les mêmes hypothèses que précédemment. Pour la bande à 668 cm–1, l’ajout de la vapeur d’eau ne change pas grand-chose. Tout ce qui a été dit reste valable. À côté de cette bande, se situe la fenêtre atmosphérique, située ici entre 700 et 1350 cm–1 (soit entre 7,4 et 14,3 µm). Au milieu de cette fenêtre, l’émittance spectrale de la Terre provient plus de la surface que de l’atmosphère. Ailleurs, le rayonnement de la surface est totalement absorbé par l’atmosphère. Seuls les infrarouges émis par cette dernière peuvent s’échapper dans l’espace. Le flux total F est de 305,1 W/m², au lieu de 386 W/m² dans le cas où le CO2 est le seul gaz à effet de serre, or une baisse de ce flux signifie une augmentation de l’effet de serre.

Pour en terminer avec les calculs, voici une simulation effectuée avec le logiciel MODTRAN. Tous les gaz à effet de serre ont été pris en compte, à commencer par le dioxyde de carbone et la vapeur d’eau. L’ozone se signale par un petit « creux » entre 1000 et 1200 cm–1. Le plus important « creux » et dû au CO2 autour de 668 cm–1. On voit son élargissement quand la concentration passe de 300 à 600 ppm. L’augmentation calculée de l’effet de serre, qui était initialement de 260,12 W/m², est de 3,39 W/m².

Quelques observations

Tout ceci est théorique : c’est le résultat des calculs. Que donnent les observations ? Le graphique ci-dessous montre celles du satellite météorologique Nimbus 4, lancé le 8 avril 1970, obtenues grâce au spectromètre infrarouge IRIS. La zone observée se trouve à 134° de latitude Est et à 12° de latitude Nord, donc à l’ouest du Pacifique. Tous les gaz à effet de serre y apparaissent, et même les nuages. Quand τc est égal à 0, le ciel est clair. S’il est strictement supérieur à 0, des cirrus sont présents. Ces nuages de haute altitude ont la particularité de chauffer la surface de la Terre, grâce à une action comparable à celle des gaz à effet de serre.

Au-dessus du Sahara, en l’absence complète de nuages, la bande à 668 cm–1 est vue en absorption, mais il y a un pic central à exactement 668 cm–1 en émission. La température au sol est d’environ 330 K, soit 57 °C :

Au-dessus de la calotte glaciaire de l’Antarctique, il y a une inversion thermique, si bien que la bande à 668 cm–1 est vue en émission. Le pic d’émittance spectrale à 668 cm–1 est toujours présent. A cause de l’opacité de l’air pour ce nombre d’onde, les photons qui arrivent au capteur sont émis par la stratosphère.

Et puisque l’on jette un coup sur la Terre depuis l’espace, on peut aussi le faire sur Mars, dont la faible atmosphère est composée à 96 % de CO2 . En l’absence d’effet de serre, la température de surface serait en moyenne de – 63 °C. L’effet de serre provoque un réchauffement de 8 °C. Ces spectres ont été obtenu par la sonde Mars Global Surveyor, qui a été lancée en novembre 1996 et a cessé de transmettre ses données en novembre 2006. L’instrument utilisé s’appelle TES (Thermal Emission Spectrometer).

Trois spectres ont été enregistrés : l’après-midi (courbe rouge), au coucher du Soleil (courbe mauve) et la nuit (courbe bleue). Les températures de la surface sont respectivement de 257 K (– 16 °C), de 212 K (– 61 °C) et de 160 K (– 113 °C). Le creux dû au dioxyde de carbone y est bien visible, mais on observe aussi que les cristaux de glace d’eau en suspension et les poussières atmosphériques contribuent à l’effet de serre. Leur influence s’estompe au coucher du Soleil. La nuit, le sol devient plus froid que l’atmosphère, si bien qu’il se produit une inversion thermique comme dans les régions polaires terrestres. La bande à 668 cm–1 apparaît en émission, mais il n’y a plus de pic central.

Enfin, que voit-on quand on scrute l’atmosphère terrestre d’en bas avec un spectroscope à infrarouges ? Les instruments utilisés actuellement sont appelés AERI (Atmospheric Emitted Radiance Interferometer). Ils enregistrent l’émittance spectrale directement au-dessus d’eux, habituellement dans la bande de 3 à 19,2 µm. Certains instruments, employés en région polaire, vont jusqu’à 25 µm. Leur résolution est de 1 cm–1. L’enregistrement d’un spectre prend une vingtaine de secondes. Ils peuvent identifier les GES (vapeur d’eau, dioxyde de carbone), les gaz présents à l’état de traces (méthane, monoxyde de carbone, ozone), les particules en suspension (aérosols, gouttes d’eau, cristaux de glace). Ils sont également capables de déterminer les profils verticaux de température et de vapeur d’eau dans la troposphère.

Un AERI au Space Science and Engineering Center de l’Université du Wisconsin à Madison.
Exemple de spectre AERI en présence de nuages épais (thick clouds), de nuages minces (thin clouds) et en l’absence de nuages (clear). On voit que les nuages rayonnent à peu près comme des corps noirs, avec un spectre continu. Les spectres des GES sont en revanche discrets. Les bandes d’émission sont identifiées ci-dessous.

Dans les années 1990, W.F.J. Evans et E. Puckrin ont fait une campagne d’observation au Canada avec un spectromètre infrarouge à transformée de Fourier. Le ciel était clair. Le premier spectre a été pris en février 1996, en plein cœur de l’hiver, si bien qu’il n’y avait pas de vapeur d’eau dans l’air. La bande à 668 cm–1 du CO2 y est en émission : il chauffe la surface de la Terre. D’autres gaz à effet de serre sont présents, comme l’ozone, mais leur rôle est moins important. Le second spectre a été pris le 5 juin 1998. Cette fois, de la vapeur d’eau était présente. Son spectre comporte une multitude de raies largement réparties. Dans toutes les situations, seul le rayonnement des GES est visible.

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Les graphiques proviennent d’un rapport de Thomas Labbro rédigé à l’École Normale Supérieure de Lyon sous la supervision de Jean-Louis Dufresne : Modèle radiatif de l’effet de serre, 2 août 2021.

A lire :

Réfutation d’un article du chimiste Georges Geuskens, qui prétend que l’effet de serre radiatif n’existe pas : Un chimiste belge tente de réfuter de l’effet de serre.

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