Histoire de la Terre et de la vie - Actualités géologiques

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Les mammifères se sont très vite développés après l’extinction des dinosaures

Représentation du mammifère Carsioptychus. Crédit Jellyfish Pictures/HHMI Tangled Bank Studios via AP.

Le Crétacé, troisième système de l’ère Mésozoïque, s’est achevé sur une extinction de masse, il y a 66 millions d’années, qui a rayé tous les dinosaures de la surface de la Terre sauf les oiseaux. Dans le vocabulaire scientifique actuel, elle est appelée l’extinction Crétacé-Paléogène K-Pg. Une équipe de scientifiques conduite par Tyler Lyson du Musée de la nature et des sciences de Denver vient de démontrer que la vie a très vite récupéré en Amérique du Nord et que les mammifères se sont développés plus rapidement que prévu. Le point fondamental est que cette évolution a été permise par celle de la flore, dont la richesse s’est grandement accrue 300 000 après l’extinction, ainsi probablement que par des périodes de réchauffement climatique. L’apparition des légumineuses 700 000 ans après la crise a entraîné celle de grands mammifères. C’était un nouveau monde qui naissait sur l’ancienne terre des dinosaures.

Des sédiments riches en fossiles

Ces travaux ont été présentés le 24 octobre 2019 dans la revue Science, mais une telle découverte repose bien entendu sur des recherches antérieures. Elle a été permise par l’existence d’un site exceptionnel : le bassin sédimentaire de Denver. L’histoire de la vie se lit dans les sédiments, grâce aux fossiles qu’ils contiennent, mais ils se déposent surtout dans les mers. Cependant, dans l’État du Colorado et dans ceux du Wyoming et du Nebraska, s’étend un bassin formé de sédiments continentaux dont l’âge remonte jusqu’à 300 Ma (millions d’années), au début du Permien. La mer n’y a fait qu’une seule incursion, durant le Crétacé. On l’appelle la Voie maritime intérieure de l’Ouest. Elle s’en était retirée quand l’extinction K-Pg s’est produite. Il est toutefois possible de « lire » cette crise dans les sédiments continentaux.

Bassin sédimentaire de Denver. USGS, domaine public.

Ce bassin sédimentaire est délimité du côté occidental par une grande faille. Elle passe à côté des villes de Denver et de Colorado Springs. À l’ouest, les montagnes de Front Range s’élèvent brusquement, formant comme une gigantesque muraille. Tandis que Colorado Springs est à 1 839 m d’altitude, Pike Peaks culmine à 4 302 m. Près de cette ville, s’étend un affleurement d’environ 27 km² appelé Corral Bluffs, formé de sédiments déposés dans des cours d’eau ou des lacs : des sables et des argiles provenant de l’érosion de Front Range (qualifiés pour cette raison de « détritiques »), ainsi que des couches de lignite. Ils peuvent surtout être étudiés dans des falaises (bluffs en anglais, corral étant un enclos à bétail).

Ce que disent les sédiments

De tels sédiments ne sont pas directement datables. C’est tout le problème. Les scientifiques ont cependant pu dater des cendres volcaniques d’un à deux centimètres d’épaisseur incluses dans des couches de lignite – un charbon riche en débris ligneux. Elles contenaient de microscopiques cristaux de zircon qui ont fourni un âge de 66,253 Ma. Les sédiments ont donc enregistré une éruption volcanique de 213 000 ans antérieure à la transition K-Pg, qui a eu lieu très précisément il y a 66,040 Ma.

L’autre procédé utilisé est le paléomagnétisme. Anthony Fuentes, l’un des auteurs de l’étude, l’a utilisé pour dater les sédiments des Corral Bluffs et en a fait sa thèse de master à l’université du New Hampshire. Dans des lacs ou dans la mer, certaines particules de sédiments, qui sont magnétiques, se déposent en s’orientant comme des aiguilles de boussole dans le champ magnétique terrestre. Leur présence crée un très léger champ magnétique qualifié d’aimantation rémanente détritique. Or, de temps en temps, la polarité du champ géomagnétique s’inverse : le nord et le sud sont permutés. L’aimantation rémanente des sédiments s’inverse donc également. Les couches de sédiments qui ont enregistré une certaine orientation du champ géomagnétique s’appellent une magnétozone. On sait que l’extinction K-Pg est enregistrée dans la magnétozone C29r, où la lettre signifie reverse : le champ géomagnétique était inversé par rapport à celui de maintenant. Cette période a commencé il y a 66,398 Ma et s’est terminé il y a 65,688 Ma. Elle a donc duré 565 000 ans. Ces sédiments sont surmontés de la magnétozone C29n, correspondant à un champ normal, ayant une durée de 728 000 ans. Les sédiments des Corral Bluffs contiennent ces deux magnétozones.

Paysage des Corral Bluffs. Crédit corralbluffs.org.

Sur 250 mètres, on y voit une alternance de strates de grès (du sable cimenté) et de mudstone, constitué de grains de sable pris dans une matrice argileuse. Cette « roche de boue » résiste moins bien à l’érosion que le grès. Les fossiles de vertébrés trouvés dans ces sédiments ont été inhabituellement nombreux. La plupart ont été préservés dans des concrétions d’hydroxyapatite Ca₅(PO₄)₃(OH). Ce minéral au nom barbare n’est pas aussi exotique qu’il n’y paraît : avec des ions carbonate CO₃²⁻ ajoutés aux ions phosphate PO₄³⁻, il est le principal composant des dents et des os. On en déduit que l’hydroxyapatite carbonatée des os a été dissoute puis s’est recristallisée tout autour en perdant ses ions carbonate. Ces fossiles vont de la dent isolée à un crocodile long d’un mètre cinquante. Les crânes de mammifères, de tortues et de crocodiles sont les fossiles les plus courants, ainsi que les coquilles de tortue. Les vestiges végétaux sont également nombreux : spores et pollens, graines, racines, branches, jeunes plants in situ, souches et rondins.

Des changements climatiques ont même pu être évalués grâce aux fossiles de feuilles. Corral Bluffs a subi un refroidissement de 4,6 °C durant les cent mille ans précédant la transition K-Pg. Après la crise, un réchauffement de 5,1 °C s’est produit pendant environ 60 000 ans, similaire à celui qui a été trouvé sur le site d’El Kef en Tunisie. Un deuxième intervalle de 150 000 ans, jusqu’à 65,65 Ma, présente un réchauffement de 2,2 °C pendant 30 000 ans, une stabilité des températures pendant 50 000 ans puis un refroidissement de 3 °C pendant 70 000 ans. Il n’est pas impossible que les trapps du Deccan aient joué un rôle, grâce au dioxyde de carbone que ces éruptions ont relâché dans l’atmosphère. Elles ont pu être responsables des réchauffements constatés et de l’accroissement corrélé de la biodiversité.

Noix, légumes et mammifères

L’extinction K-Pg est marquée par une raréfaction des pollens du Crétacé, qui ne retrouveront pas leur ancien niveau. La première phase de réchauffement, après le cataclysme, voit le développement d’une flore à fougères « post-désastre ». Les forêts sont ensuite dominées par des palmiers qu’on identifie grâce à leurs pollens. Leur diversité reste faible. Durant les 100 000 premières années après la crise, la richesse taxonomique des mammifères s’accroît cependant et ils retrouvent presque la taille d’avant la crise.

Vues dorsale (A) et ventrale (B) d’Eoconodon corypheaus, de Carsioptychus coarctatus (I et J), de Taeoniolabis taoensis (K et L) et d’autres mammifères. T.R. Lyson et al., 2019.

Les Juglandacées, une famille de plantes à laquelle le noyer commun appartient, ont des pollens fossiles appelés Momipites spp. (le nom de genre suivi de spp., qui signifie qu’il y a plusieurs espèces). Leur diversité double environ 300 000 après la crise. Les graines, petites et pourvues d’ailes, grossissent et perdent leurs ailes, sans doute parce qu’elles sont transportées par des animaux et non plus par le vent. Au même moment, les périptychidés évoluent. Ce sont des mammifères placentaires ayant vécu uniquement en Amérique du Nord durant le Paléocène (de 66 à 56 Ma), tel que Carsioptychus coarctatus. La masse des plus grands d’entre eux est multipliée par trois, excédant les 20 kg, et ils passent d’un régime omnivore ou insectivore à un régime herbivore. Leurs prémolaires suggèrent qu’ils ont pu se nourrir d’objet durs, c’est-à-dire de noix, qui étaient pour eux une précieuse source d’énergie.

Une deuxième transformation se produit environ 700 000 ans après la crise, avec l’apparition des légumineuses. Deux grands mammifères émergent aussi : le multituberculé herbivore Taeniolabis taoensis, avec à peu près 34 kg, et l’ongulé triisodontidé omnivore Eoconodon coryphaeus, avec 47 kg. Les multibuberculés sont un groupe de mammifères apparus dès la fin du Jurassique, il y a plus de 145 Ma, et disparus au début de l’Oligocène, vers 34 Ma. Les triisodontidés ont vécu en Amérique du Nord durant le Paléocène et ils ont été les premiers grands mammifères prédateurs après l’extinction des dinosaures.

Voici donc comme l’écosystème terrestre s’est rétabli en Amérique du Nord, moins d’un million d’années après une catastrophe qui l’avait entièrement dévasté. Quand la météorite est tombée sur la péninsule du Yucatan, ce continent se trouvait en quelque sorte aux premières loges.

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T.R. Lyson et al., Exceptional continental record of biotic recovery after the Cretaceous–Paleogene mass extinction, Science, 24 October 2019.

https://science.sciencemag.org/content/early/2019/10/23/science.aay2268.abstract

2 Comments

  1. Guy guerin

    Mais alors, l’extinction des dinosaures est elle liee ou non a la chute d’un asteroide ? Il y a remise en cause ?

  2. Comment by post author

    Admin

    Il est de plus en plus évident que l’extinction des dinosaures et liée à la chute d’un astéroïde. Il n »y a pas de remise en cause. Cet article explique que les mammifères ont rapidement remplacé les dinosaures, aidés par l’apparition de nouveau végétaux et peut-être par des réchauffements climatiques.

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