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France

Le massif du Chenaillet : une ancienne croûte océanique

Le versant sud du massif du Chenaillet.

Cette montagne des Hautes-Alpes culmine à 2 650 mètres, à proximité de Briançon. On peut y accéder soit par Montgenèvre, dans la vallée de la Durance, soit par Cervières, sur la route du col d’Izoard. Le mieux est de parcourir les deux chemins afin de voir le maximum de choses. Un itinéraire a été aménagé avec quelques panneaux explicatifs car c’est l’un des trésors géologiques de la France, même s’il n’a pas au premier abord un aspect spectaculaire : cette montagne est un morceau de croûte océanique parfaitement conservé. On l’appelle une ophiolite. Durant le Jurassique et le Crétacé, il se trouvait à des milliers de mètres sous les eaux de l’océan liguro-piétmontais, aujourd’hui disparu.

Que l’on vienne du sud ou du nord, on arrive à la Cabane de douaniers, au sud-ouest de la montagne. Un panneau donne des explications sur le Rocher de la perdrix, constitué de calcaire, de schiste noir et de radiolarite, une roche sédimentaire rouge formée par accumulation de coquilles siliceuses de radiolaires. C’est du zooplancton. Dans les océans modernes, une telle roche ne peut se constituer que sous 4 000 mètres de profondeur. Cela donne une idée de ce qu’était l’océan liguro-piémontais, dont la largeur n’a cependant jamais été très grande. La radiolarite était accompagnée de calcschiste ou schiste lustré daté comme elle du Jurassique supérieur (de 163 à 145 Ma). Il s’agit de vases déposées au fond de l’océan qui ont plus tard été métamorphisées. Les micas qui leur donnent leur aspect lustré sont apparus durant le métamorphisme. Autour, il y a d’autres calcschistes, plus récents car datés du Crétacé inférieur.

L’ophiolite du Chenaillet a été charriée dessus, c’est-à-dire que ce morceau de croûte océanique, daté du Jurassique supérieur comme la radiolarite, a été détaché du manteau et poussé dessus lors de la surrection des Alpes.

Rochers de serpentinite au pied de la montagne. La Cabane de douaniers apparaît plus loin.

Au pied du massif, on rencontre d’abord des rochers noirs de serpentinite, une péridotite altérée par l’eau (une lherzolite pour être plus précis). Celle-ci est la roche du manteau supérieur et elle constitue la base des plaques lithosphériques. Elle est composée principalement d’olivine, qui lui donne une couleur vert olive, et de pyroxène. Par réaction avec l’eau, ces minéraux ont été transformés en serpentine. La roche obtenue, la serpentinite, a une couleur si noire qu’elle ressemble à du charbon, où il subsiste cependant quelques cristaux brillants de pyroxène.

On pourrait penser que cette altération résulte des pluies qui sont tombées sur le massif, mais elle s’est produite quand la péridotite était encore au fond de l’océan. Une croûte océanique comme celle de l’Atlantique est composée de péridotite serpentinisée par l’eau de mer, qui repose sur de la péridotite non altérée. Sous la dorsale, il y a de petites chambres magmatiques. Du magma monte. Quand il se solidifie en chemin, il forme des filons de dolérite. S’il atteint la surface, brusquement refroidi par l’eau, il se fige en coussins de basalte. Ce phénomène très spectaculaire peut être filmé au large d’Hawaii. Le magma qui n’a pas quitté la chambre se cristallise en masses de gabbro. La dolérite a la même composition que le gabbro et le basalte mais elle est composée de cristaux très fins. Ce sont les conditions de solidification qui distinguent ces roches.

Limite entre les serpentinites noires et les gabbros plus clairs.

Parmi les serpentinites, près de la Cabane de douaniers, figurent des roches très différentes, de couleur claire. Elles sont composées à 90 % d’un minéral blanc : l’albite. C’est un alumino-silicate de sodium, si bien qu’il appartient à la famille des plagioclases et plus largement des feldspaths. Cette roche est appelée une albitite, souvent aussi un plagiogranite, mais de manière fautive car contrairement aux granites, elle ne contient pas de quartz. Elle s’est formée dans une chambre magmatique de la croûte océanique, par cristallisation fractionnée : des minéraux réfractaires ont cristallisé et se sont déposés, en laissant un magma enrichi en silice, qui a donné cette variété de feldspath. On ne la trouve qu’au sud-ouest du Chenaillet. Ce phénomène ne se produisait donc qu’en certains endroits de la croûte océanique.

Un roche de serpentinite et un roche d’albititite côte à côte.

Après avoir découvert les rochers de serpentinite, le randonneur qui effectue l’ascension du Chenaillet voit une couche de gabbros, puis des basaltes en coussins jusqu’au sommet de la montagne. L’érosion est bien sûr passée par là et a brisé presque tous ces coussins, dont les fragments jonchent la montagne. Ils sont teintés par l’oxydation du fer. Leur analyse chimique, ainsi que celle des sédiments qui les accompagnent, ont montré qu’ils se sont constitués en présence d’eau salée sous haute pression.

Basaltes en coussins

Il ne faut pas croire que l’ophiolite du Chenaillet est représentative de toutes les croûtes océaniques. Il existe deux types de croûte : celles qui sont créées par les dorsales lentes et celles qui sont créées par les dorsales rapides. Une dorsale est un bombement allongé du plancher océanique. La croûte océanique s’épanche des deux côtés. Dans le cas de l’Atlantique, la vitesse d’expansion est faible, avec un maximum de cinq centimètres par an. Les péridotites du manteau montent, forcément de manière très lente puisque ce sont des roches solides, et se « répandent » autour, où elles constituent le plancher océanique. Elles sont toujours fortement altérées par l’eau de mer. La couche de péridotites serpentinisées constitue la croûte océanique. Les autres roches présentes, outre les sédiments, sont des gabbros et de rares basaltes en coussins. Au Chenaillet, certains basaltes reposent, non pas sur les gabbros, mais directement sur la serpentinite. L’océan liguro-piémontais avait une dorsale lente, si bien qu’il ressemblait à l’Atlantique.

L’eau de mer qui circule dans la dorsale refroidit et hydrate les roches. Ce phénomène est l’hydrothermalisme. Toutes les roches sont altérées par l’eau, pas seulement les péridotites. Ainsi, un gabbro est normalement constitué d’olivine, de pyroxène et de feldspath plagioclase, mais au Chenaillet, les cristaux de plagioclase ont changé de composition tout en conservant leur forme. Ils sont devenus des « fantômes ».

L’exemple typique de dorsale rapide est celle du Pacifique oriental. Beaucoup plus chaude que celle de l’Atlantique, elle est le lieu d’un volcanisme intense. Il s’y crée une croûte océanique constituée, de bas en haut, de gabbro, de filons de dolérite et de basalte. Elle repose les péridotites du manteau, qui ne sont pas serpentinisées.

L’Europe du Sud, le Grand Adria et la Néotéthys durant le Berriasien, d’après Douwe van Hinsbergen et al. : Un ancien continent ayant existé entre l’Europe et l’Afrique vient d’être reconstitué.

Cette carte donne une reconstitution de la géographie de l’Europe du Sud il y a 140 millions d’années, au début du Crétacé. Il n’y a encore ni Italie ni péninsule balkanique, mais seulement quelques morceaux. Le micro-continent Tisza se trouve à présent sous les plaines de Hongrie. Il est voisin de la Dacie, constituant maintenant l’ouest de la Roumanie. Trois océans bordent l’Europe au sud : Ceahlau-Severin, qui a laissé des ophiolites dans les Carpathes orientales, Valais-Magura, dont il reste des traces dans le Valais en Suisse, et l’océan liguro-piémontais. Seule la partie orientale de ce dernier est visible, avec une branche qui longe la Corse et la Sardaigne (tournées dans le sens des aiguilles d’une montre et allongées contre la Provence et le Languedoc). La croûte de cet océan sera poussée sur la Corse dite alpine, où il reste de petites ophiolites. Les roches du futur Chenaillet se trouvent au nord-est, de côté de l’océan Valais-Magura. Le continent apparaissant au sud est le Grand Adria, en majeure partie sous les eaux. L’océan Save, qui est une branche de la Néotéthys, est en bleu clair, entre le Grand Adria et la Dacie. Il en reste de grandes ophiolites, en violet et en bleu, dans les Balkans.

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