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L’érosion ne contrôle pas la hauteur des chaînes de montagnes

Le lac Toba dans l'île de Sumatra. Photo Adobe Stock.

Depuis que la tectonique des plaques a été fondée, on sait que les montagnes naissent de la convergence de deux plaques lithosphériques. L’une, la plaque subduite, passe sous l’autre, appelée la plaque chevauchante, et s’enfonce dans les profondeurs du manteau terrestre. Cette plaque chevauchante peut être soumise à des contraintes de compression qui l’épaississent. Elle est constituée de roches rigides, mais celles-ci se cassent et le jeu des failles fait s’élever des montagnes. Celles-ci grandissent par conséquent grâce à des tremblements de terre.

Chaînes de subduction et chaînes de collision

Deux sortes de chaînes sont distingués. Les Andes, qui sont l’exemple type de chaîne de subduction, sont nées à la bordure occidentale de la plaque sud-américaine parce que la plaque de Nazca est en subduction dessous, vers l’est. C’est une plaque océanique qui constitue le plancher du Pacifique du côté oriental. La plaque Antarctique intervient également, mais seulement à l’extrémité sud des Andes. À l’endroit où la plaque de Nazca commence à s’enfoncer, il y a une fosse qui atteint 8 km de profondeur. Les Andes s’élèvent en moyenne jusqu’à près de 5 km d’altitude, soit 13 km au-dessus de la fosse. La distance entre la fosse et le sommet des montagnes s’appelle le relief de marge.

Coupe des Andes. La plaque de Nazca est en subduction sous celle de l’Amérique du Sud, trench est la fosse. Un arc volcanique est créé sur cette dernière. Le Moho est l’interface entre la croûte continentale et le manteau lithosphérique. Dans la littérature anglo-saxonne, la subduction est considérée comme un méga-chevauchement (megathrust).
D’après Simon Lamb, Shear stresses on megathrusts: Implications for mountain
building behind subduction zones, Journal of Geophysical Research, Vol. 11, 4 July 2006.

Une plaque océanique comporte de l’eau qui est libérée lors de sa descente. Elle remonte dans les roches du manteau et provoque leur fusion partielle. Le magma ainsi produit est à l’origine du volcanisme des zones de subduction. Beaucoup de sommets des Andes sont des volcans, mais il existe aussi des montagnes « normales ». Son point culminant, l’Aconcagua, en est une. Il s’élève à 6 959 mètres d’altitude en Argentine. Il fait partie de la Cordillère principale, constituée de sédiments du Paléozoïque et du Mésozoïque qui ont été plissés et écaillés, n’ayant pas subi de métamorphisme parce qu’ils n’ont pas été enfouis à de grandes profondeurs.

La surrection des Alpes et du Zagros, comme de l’Himalaya, est également due à une subduction, mais la plaque subduite comportait une partie océanique et une partie continentale (rappelons qu’une plaque lithosphère est composée d’une croûte océanique, de composition basaltique, ou continentale, plutôt granitique, reposant sur une couche rigide de péridotites, qui sont des roches du manteau supérieur). Dans ces trois cas, la plaque chevauchante est celle de l’Eurasie. Quand les océans se sont fermés (l’océan liguro-piémontais dans le cas des Alpes, la Néotéthys dans le cas du Zagros et de l’Himalaya), la partie continentale de ces plaques est venue heurter la plaque chevauchante. Il s’est alors élevé une chaîne de collision, différente de celle des Andes avec par endroits un métamorphisme très intense. Dans le cas des Alpes, ce continent est le Grand Adria, et dans celui du Zagros, c’est la plaque afro-arabique.

Vue aérienne de la face sud de l’Aconcagua. On y distingue des strates de sédiments qui montrent que ce n’est pas un volcan. Roland Baumschlager, domaine public.

Il est bien évident que les chaînes de collision diffèrent des chaînes de subduction. Cependant, la collision entre les continents ne met pas tout de suite fin à la subduction, car la croûte continentale est à son tour entraînée dans le manteau. Puisqu’elle est épaisse et de faible densité, elle ne peut pas s’enfoncer à plus d’une centaine de kilomètres, tandis qu’une croûte océanique, moins épaisse et plus dense, peut arriver jusqu’à la base du manteau supérieur, peut-être même jusqu’au noyau. C’est la rupture de la plaque lithosphérique qui arrête la subduction : sa partie océanique continue à sombrer dans le manteau alors que sa partie continentale cesse de s’enfoncer.

La subduction est autant responsable des chaînes de collision que des chaînes de subduction. C’est d’ailleurs principalement elle qui fait bouger les plaques lithosphériques : le « naufrage » des plaques océaniques dans le manteau, ou de leur partie océanique quand elles comportent à la fois une croûte océanique et une croûte continentale, est un moteur de la tectonique des plaques. Quant aux chaînes de subduction, elles possèdent des structures de compression similaires à celles des chaînes de collision, dont des ceintures de plis et de chevauchements. Dans les Andes, l’une d’elles est chevauchée par la Cordillère centrale.

Voir Les Alpes, une énigme géologique

Un équilibre entre pesanteur et subduction

La grande question est de savoir ce qui contrôle la hauteur des chaînes de montagnes. La première hypothèse fait appel à une compétition entre le soulèvement des chaînes et leur érosion. Les montagnes sont érodées dès qu’elles commencent à s’élever, par les précipitations et par les glaciers. La seconde hypothèse est basée sur le bilan de contraintes antagonistes. En mécanique, une contrainte est une force par unité de surface. Elle est de même nature que la pression hydrostatique des océans, mais alors que celle-ci est isotrope, les contraintes exercées dans les roches ne le sont pas forcément. Elles sont la somme d’une contrainte moyenne, qui comprime les corps comme la pression hydrostatique, et d’une contrainte déviatorique, qui les déforme. Dans une croûte stable, la seconde est nulle. Quand elle ne l’est pas, elle provoque des mouvements. De même que la pression, la contrainte s’exprime en pascals, c’est-à-dire en newton par mètre carré.

Les chaînes de montagnes sont soumises à deux contraintes : l’une provient de la subduction et l’autre de la pesanteur. À la zone de contact entre la plaque en subduction et la plaque chevauchante, un cisaillement s’exerce. Nulle à la surface, la contrainte de cisaillement augmente avec la profondeur, le long de cette zone, jusqu’à un endroit où le manteau chevauchant acquiert un comportement visqueux. Il est entraîné par la plaque plongeante. La contrainte de cisaillement diminue alors, jusqu’à s’annuler. On définit la force de cisaillement comme la contrainte de cisaillement moyenne, multipliée par la profondeur où elle redevient nulle – moins de 80 km. Elle s’exprime donc en newton par mètre.

La péninsule du Kamtchatka vue par le satellite Aqua de la NASA le 23 mai 2013. De même que les Andes et l’île de Sumatra, elle comporte une chaîne de montagnes et des volcans. Elle fait partie de la plaque d’Okhtotsk et subit la subduction de la plaque Pacifique.

Les géologues allemands Armin Dielforder, Ralf Hetzel et Onno Oncken ont fait les calculs pour l’Himalaya, pour les Andes à trois latitudes et pour six autres chaînes de subduction moins élevées. Pour l’Himalaya, le résultat est de 4,8 TN/m (téranewtons par mètre), soit 4800 milliards de newtons par mètre. Cela donne une idée des forces colossales qui règnent dans les entrailles des massifs montagneux. Dans les Andes à 23° de latitude Sud, la force de cisaillement atteint 7,8 TN/m, ce qui explique la hauteur moyenne exceptionnelle de 4,7 km. La valeur moyenne de cette force est de 4,3 TN/m. Laurent Husson et Yves Ricard ont fourni en 2004 une estimation de la contrainte de cisaillement dans les Andes : elle varie entre 25 et 110 MPa (mégapascals). La contrainte déviatorique est inférieure à 10 MPa. Ces chiffres doivent être comparés à la pression lithostatique, l’équivalent de la pression hydrostatique pour la croûte : elle augmente de 100 MPa tous les 3,5 à 4 km sous les continents, selon la nature des roches.

En présence d’un relief de marge, la pesanteur crée une tension déviatorique latérale qui contrebalance la compression induite par la force de cisaillement. Si les forces se compensent, le relief de marge est constant. Dans ces montagnes, la contrainte déviatorique totale est nulle. En cas de déséquilibre, elle est différente de zéro et la hauteur des montagnes varie jusqu’à ce qu’elle redevienne nulle.

Pour Armin Dielforder et ses collaborateurs, c’est ainsi que les chaînes de montagnes s’élèvent. Ils ont défini la notion d’élévation tectoniquement supportée (tectonically supported elevation TSE) : c’est l’élévation théorique des montagnes à l’équilibre. Leurs calculs ont montré qu’elle correspond à l’élévation moyenne maximale des montagnes actuelles. Ainsi, pour les Andes à 23° S, la TSE est de 5,1 km et l’élévation maximale moyenne (au-dessus de la mer) est de 4,7 km. Pour l’île de Sumatra, au sud de laquelle la subduction de la plaque indo-australienne a créé une petite chaîne de montagnes, ces chiffres sont respectivement de 1,7 et 1,6 km. Si l’élévation moyenne maximale est inférieure à la TSE, alors la plaque chevauchante subit une compression parce la contrainte déviatorique liée au cisaillement excède la contrainte déviatorique d’origine gravitationnelle. Cela provoque un rehaussement des reliefs.

Les auteurs ont conclu que l’érosion ne contrôle pas la hauteur des montagnes. Elle fait baisser l’élévation moyenne maximale, mais celle-ci est restaurée par le cisaillement, c’est-à-dire par la subduction. Pour effectuer leur étude, ils ont pris des montagnes situées à différentes latitudes et donc à différents climats. L’érosion ne s’y déroule pas de la même manière. Ainsi, Sumatra est en position équatoriale tandis que la péninsule du Kamtchatka est à environ 57° de latitude Nord.

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Armin Dielforder, Ralf Hetzel, Onno Oncken, Megathrust shear force controls mountain height at convergent plate margins, Nature, 11 June 2020.

https://www.nature.com/articles/s41586-020-2340-7

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