Histoire de la Terre et de la vie - Actualités géologiques

Monde

Les monts sous-marins des Mariannes

Cheminée hydrothermale

Une cheminée hydrothermale à l'ouest de l'arc insulaire des Mariannes à 3 293 mètres de profondeur. Elle mesure 30 mètres de haut. Au centre de la photo, on voit le fluide de l’évent qui ressemble à une fumée sombre en raison des niveaux élevés de minéraux et de sulfure. La température du fluide est d'environ 340 °C. La cheminée grouille de crevettes Chorocaris et de crabes Austinograea wiliamsi.

Les fonds océaniques sont plongés dans les ténèbres et la température de l’eau n’y est que de 2 °C environ. Il devrait être difficile, pour les animaux, d’y vivre, mais l’activité géologique de la Terre y crée des sources hydrothermales permettant à des « oasis de vie » de subsister. Il en existe sur les dorsales océaniques, mais également près de la célèbre fosse des Mariannes, due à la subduction de la plaque pacifique sous la plaque philippine. D’autres curiosités géologiques existent : des « volcans de boue de serpentinite ». Les scientifiques commencent à découvrir ce fascinant environnement.

Une plaque océanique comprend un manteau lithosphérique composé de roches appelées des péridotites, de plusieurs dizaines de kilomètres d’épaisseur, sur laquelle se trouve une croûte de 7 à 9 km d’épaisseur. Dessus, s’accumulent des sédiments chargés en eau. La plaque entre en subduction quand elle se courbe et s’enfonce sous une autre plaque, dite chevauchante. A l’endroit précis où la plaque plongeante passe sous la plaque chevauchante, il y a une fosse. Tous les sédiments ne sont pas entraînés dans le manteau. Ils sont en grande partie raclés par la plaque chevauchante, si bien qu’ils s’accumulent dans la fosse, qu’ils comblent plus ou moins. On dit qu’ils forment un prisme d’accrétion. Leur accumulation peut être tellement importante qu’ils émergent et forment des îles comme celle de la Barbade. Elle est située à l’est de l’arc volcanique des Petites Antilles. Une partie des sédiments, qui contiennent de l’eau libre, sont tout de même entraînés en profondeur. De l’eau réside également dans les pores de la croûte océanique altérée.

Volcanisme d’arc

Aux alentours de 15 km de profondeur, le basalte et le gabbro de la croûte océanique se métamorphisent en schiste bleu, une roche comprenant de la glaucophane, qui est un minéral de couleur bleu nuit de la famille des amphiboles, et de l’épidote ou de la lawsonite, qui sont des silicates alumino-calciques. On peut également y trouver des grenats. Du schiste bleu a été conservé dans l’île de Groix en Bretagne. De l’eau est contenue dans le schiste bleu, mais pas sous forme libre : la lawsonite, par exemple, comporte à la fois des molécules d’eau et des ions hydroxyle OH⁻. A partir de 30 km de profondeur, le schiste bleu se métamorphise à son tour en éclogite, une roche constituée principalement d’omphacite verte et de grenat rouge. Le métamorphisme du schiste bleu libère son eau, qui monte dans le manteau lithosphérique de la plaque chevauchante. Sa présence abaisse la température du fusion des péridotites du manteau, provoquant la formation d’un magma. Quand il arrive à la surface, il crée un alignement de volcans appelé un arc volcanique. Si la plaque chevauchante est océanique, ce qui est le cas dans les Antilles, on parle d’un arc insulaire. Les îles des Petites Antilles, qui sont toutes volcaniques et situées près du bord de la plaque caraïbe, sont un exemple d’arc.

De l’autre côté de l’arc volcanique (où la plaque en subduction atteint de grandes profondeurs), la croûte océanique subit une extension. Cette zone s’appelle l’arrière-arc. Comme dans une dorsale océanique, du magmatisme se produit. Si la plaque océanique est océanique, cela permet l’apparition de volcans sous-marins et de sources hydrothermales.

Représentation d’une zone de subduction. Ici, une plaque océanique plonge sous une autre plaque océanique (dite plaque chevauchante). Elles sont en contact au fond d’une fosse. Au large des Petits Antilles, cette fosse est remplie de sédiments arrachés à la plaque plongeante. Ce n’est pas le cas à l’ouest du Pacifique, où se trouve la plus profonde fosse de la Terre : celle des Mariannes. La zone d’avant-arc est située entre l’arc insulaire (les îles Mariannes, d’origine volcanique) et la fosse,
Mont Chamorro
Le ROV (véhicule téléguidé sous-marin) Deep Discoverer explore en 2016 un champ hydrothermal sur le mont sous-marin Chamorro (à ne pas confondre avec le mont Chamorro Sud présenté plus bas). Il se trouve au nord de l’arc des Mariannes. Les cheminées y sont de petite taille.

Serpentinisation du manteau lithosphérique dans la zone d’avant-arc

Entre la fosse et l’arc volcanique, dans une région dite d’avant-arc, l’eau qui monte dans le manteau lithosphérique de la plaque chevauchante altère les péridotites en serpentinite, Elle refroidit l’avant-arc, si bien que les serpentines y sont dans leur zone de stabilité. Par ce terme, on désigne une famille de minéraux magnésiens hydroxylés, dont l’antigorite, la lizardite et le chrysotile font partie. De nature fibreuse, le dernier est une variété d’amiante. La brucite est un minéral commun dans les serpentines à moins de 500 °C. Le talc peut coexister jusqu’à 700 °C dans une serpentinite riche en pyroxènes. On s’attend également à en trouver dans le manteau de la plaque chevauchante, à l’interface avec la plaque en subduction.

Le volume des péridotites s’accroît quand elles sont serpentinisées. Leur densité diminue par conséquent, c’est pourquoi une croûte de serpentinite donne de la flottabilité aux plaques de l’Atlantique. De plus, comme cette roche est facilement déformable, sa présence dans les avant-arcs diminue leur sismicité. Les tremblements de terre se produisent en effet dans des zones où les roches sont rigides. Elles résistent aux forces tectoniques jusqu’au moment où elle se brisent soudainement, le long d’une faille. Les déplacements des roches se propagent alors, sous forme d’ondes sismiques. Les géologues ont remarqué que certains segments de la faille de San Andreas sont asismiques et l’ont expliqué par la présence de serpentinite. Elle joue le rôle d’un lubrifiant car elle se déforme facilement grâce à la structure cristalline des serpentines. De même que les argiles, les micas, la brucite et le talc, ces minéraux appartiennent à la grande famille des phyllosilicates, constitués de plans d’atomes superposés. Dans le chrysotile, ces plans sont enroulés en fibres.

Il y a deux manières d’observer la serpentinisation du manteau de la plaque chevauchante. D’autres d’anciennes zones de subduction, les péridotites ont été intensément hydratées. On peut le constater sur l’île de Santa Catalina et dans les monts Klamath en Californie. Ces derniers comprennent des vestiges d’arcs volcaniques dont l’âge atteint 500 millions d’années. Les zones de subduction actuelles ne peuvent être observées qu’en surface ou à faible profondeur grâce à des forages. La zone la plus intéressante est celle des Mariannes, des îles Bonin (maintenant appelées Ogasawara), de Nishino-shima, d’Iwo Jima et de l’archipel d’Izu, qui s’achève près des côtes du Japon.

Des coraux sur le mont sous-marin Pigafetta. C’est un guyot (un ancien volcan) sur la plaque pacifique qui date du Crétacé. La surface est à 2 004 mètres de profondeur. Elle est recouverte d’une croûte de ferromanganèse. Le corail Iridogorgia magnispiralis, au centre de l’image, atteint 5 mètres de haut.

Des monts sous-marins entre l’arc insulaire et la fosses des Mariannes

Ces archipels doivent leur existence à la subduction de la plaque pacifique sous la plaque philippine, qui a commencé durant l’Éocène il y a environ 50 millions d’années. Les îles Mariannes sont situées sur la bordure orientale de la plaque philippine. Toutes d’origine volcanique, elles comportent des basaltes et des andésites, mais aussi du calcaire laissé par des récifs coralliens à partir de la fin de l’Éocène, il y a plus de 34 millions d’années. L’île la plus méridionale est celle de Guam. Celles de Tinian, de Saipan, de Pagan et d’Agrihan font également partie de cet archipel. D’autres volcans ne sont pas assez hauts pour émerger. Ce sont des monts sous-marins. On utilise souvent l’expression anglais de seamounts pour les désigner. La plaque philippine s’achève à l’est sur la fosse des Mariannes, connue pour sa profondeur. Au sud de Guam, celle-ci dépasse les 10 900 mètres. Le fond de la fosse est l’endroit précis où la plaque pacifique s’enfonce sous la plaque philippine, à la vitesse de 3,5 centimètres par an. À partir de 300 km de profondeur, elle descend verticalement dans le manteau.

Zone des Mariannes
Bathymétrie de la région Philippines-Pacifique selon Patricia Fryer et al., 2020. . Les profondeurs sont indiquées en mètres. A droite, des monts sous-marins (seamounts Smt) sont indiqués. La fosse des Mariannes est Marianna Trench. Elle apparaît en violet sur cette carte, avec des tiretés. Les points noirs indiquent des séismes survenus entre 1900 et 2017 jusqu’à 50 km de profondeur. Au nord, un ancien volcan sous-marin (Fryer Guyot) se déplace vers la fosse et sera bientôt englouti. Il va passer sous la plaque philippine.

La subduction de la plaque pacifique se produit au nord jusqu’au Japon, où elle a créé les îles Izu-Bonin. Le long de cet arc insulaire, s’étend la fosse d’Izu-Bonin, qui atteint 9 788 mètres de profondeur. Elle prolonge la fosse des Mariannes vers le nord. Leur profondeur est due à l’absence de prisme d’accrétion, qui s’explique par la faiblesse de la couverture sédimentaire du Pacifique occidental.

Fosse des Mariannes.
Le ROV Deep Discoverer explorant la fosse des Mariannes à 6000 mètres de profondeur. Des caractéristiques géologiques jamais vues auparavant, rappelant les Alpes et les canyons de Californie, ont stupéfié les scientifiques participants sur le navire et à terre.

Des monts sous-marins de serpentinite ont été découverts durant les années 1970 à quelques dizaines de kilomètres à l’ouest de la fosse des Mariannes, dans la zone d’avant-arc, Ils peuvent atteindre 50 kilomètres de diamètre et 2,5 kilomètres de haut. Il en existe des centaines. Le mont Asùt Tesoru (aussi appelé Big Blue), par exemple, est un dôme de 30 kilomètres de diamètre et de 2 kilomètres de haut. Il se trouve à 72 km de la fosse des Mariannes et la plaque pacifique est en subduction à environ 18 km sous son sommet. Ces édifices sont constitués de cristaux de serpentine (chrysotile et lizardite), d’olivine, de pyroxènes, de spinelle (un oxyde d’aluminium et de magnésium) et d’amphiboles, dans laquelle figurent aussi des fragments de péridotites. Il s’agit principalement de harzburgites avec au moins 75 % d’olivine : des péridotites qui ont subi des fusions partielles et ont perdu une partie de leurs pyroxènes. Certaines sont devenues des dunites avec plus de 90 % d’olivine.

Ces édifices résultent de l’action des masses d’eau échappées de la plaque pacifique sur la plaque philippine. Dans la zone d’avant-arc, la croûte de la plaque philippine est étirée parce que la fosse (l’endroit où la plaque pacifique plonge) se déplace vers l’est. Ce phénomène, appelé retrait de subduction, est inévitable. La plaque chevauchante est aussi déformée verticalement quand d’anciens volcans situés sur la plaque pacifique sont engloutis par la subduction. Cela crée des failles par lesquelles de l’eau provenant des sédiments du Pacifique et de sa croûte supérieure monte. Elle altère les péridotites de la plaque philippine et se charge en cristaux, si bien qu’elle devient une sorte de boue, dont les monts-marins sont constitués. Une dizaine d’entre eux sont actifs en ce moment. Ils rejettent un eau très alcaline, avec un pH dépassant parfois 12. Ces monts sont appelés des volcans de boue de serpentinite.

Coupe de la zone d'avant-arc des Mariannes
Coupée idéalisée ouest-est de la zone d’avant-arc des Mariannes, indiquant la position par rapport à la fosse de plusieurs volcans de boue (serpentinite muds), situés sur des failles de la plaque philippine. Forearc crust = croûte d’avant-arc, forearc mantle = manteau d’avant-arc, trench axis = axe de la fosse, Pacific plate seamount = mont sous-marin de la plaque pacifique, subducted sediments = sédiments subduits, subduction channel = chenal de subduction, subducted volcanics and reef limestones = volcans subduits et calcaires de récif.

L’altération du manteau lithosphérique de la plaque philippine n’est pas complète, puisque des cristaux d’olivine et des péridotites sont présents dans les monts sous-marins. Le spinelle est un minéral secondaire de ces roches, qui existe à moins de 80 kilomètres de profondeur. La serpentinisation produit de l’hydrogène, ainsi que du méthane quand du dioxyde de carbone est présent. Avec du fer et du nickel, elle peut donner des hydrocarbures plus complexes que des communautés microbiennes peuvent utiliser.

Des suintements froids et une faune des abysses sur le mont Chamorro Sud

Le mont Chamorro Sud a été identifié en 1977 grâce au sonar, à 13°47′ de latitude Nord et 146° de longitude Est. C’est un volcan de boue actif. L’eau qui suinte atteint le record d’alcalinité avec un pH de 12,5. Au sommet, sa température est de 2 à 3 °C, à peine plus que l’eau environnante, qui est à 1,7 °C. Elle permet néanmoins à des bactéries, des archées et des animaux de vivre. Les scientifiques ont vu des moules, des escargots de mer, des vers tubicoles et des crustacés de la famille des galatheidés, qui ressemblent à des langoustes mais sont aveugles. Ce volcan de boue est le seul à héberger des communautés d’animaux.

Photo de la zone sommitale du mont sous-marin Chamorro Sud montrant le bras articulé du submersible Shinkai 6500 de la JAMSTEC en en train d’échantillonner des moules sur un site de suintement. On peut également voir des gastéropodes, des vers tubicoles et un crabe.

Il se trouve à 78 kilomètres de la fosse des Mariannes. La plaque pacifique est à 18 kilomètres de profondeur et sa température est comprise entre 250 et 350 °C. Ce mont de boue non consolidée contient des fragments de harzburgite partiellement serpentinisée et des petits morceaux de schiste bleu, ce qui est une autre caractéristique unique. Leur âge d’environ 50 millions d’années correspond sans doute à leur métamorphisme. C’est de la croûte océanique du Pacifique qui a dû être entraînée jusqu’à une cinquantaine de kilomètres de profondeur avant de remonter par un « chenal de subduction », puis de passer à travers la plaque philippine.

Le mont Yinazao a réservé une grosse surprise aux scientifiques : des fragments de récifs calcaires ont été rejetés par ce volcan de boue. Ces récifs entouraient d’anciens volcans du Pacifique. Ils ont été engloutis par la fosse des Mariannes, mais des morceaux en ont été arrachés et sont remontés. Ce sont des calcaires bioclastiques, constitués de débris d’animaux. On reconnaît par exemple des parties dures d’échinodermes et de bryozaires (des « animaux mousses »), ainsi que des coquilles de foraminifères, des organismes unicellulaires mais qui sont parfois de grande taille.

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Patricia Fryer et al., Mariana serpentinite mud volcanism exhumes subducted seamount materials: implications for the origin of life, Philosophical Transactions of the Royal Society A 378, 6 January 2020.

https://royalsocietypublishing.org/doi/full/10.1098/rsta.2018.0425

L’agence météorologique et océanographique américaine, la NOAA, a lancé une expédition en 2016 pour mieux connaître cette région. Les scientifiques ont embarqué à bord de l’Okeanos Explorer et vingt-deux plongées ont été effectuées. Une superbe galerie de vidéos et d’images a été mise à la disposition du grand public. Quelques-unes ont été utilisées ici.

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