Martin Durkin, fondateur et directeur général de la société de production britannique Wag Entertainment, a écrit et dirigé un documentaire intitulé Climat :The Movie (The Cold Truth), ce qui se traduit en français par « Climat : le film (la froide vérité) ». Il complète un documentaire qu’il avait réalisé en 2007, The Great Global Warming Swindle « La grande arnaque du réchauffement climatique », diffusé au Royaume-Uni par Channel 4 et en France par Planète. Le sujet de ces deux films est le déni du réchauffement climatique actuel : le minimiser et affirmer que les émissions de gaz à effet de serre par l’humanité n’y sont pour rien. Pour cela, la parole est donnée à des scientifiques tous engagés dans le même combat.
Martin Durkin n’est pas neutre. Il adhère à l’idéologie libertarienne, née aux États-Unis qui défend la liberté individuelle, un capitalisme dérégulé et souhaite diminuer ou annuler le rôle de l’État. Les libertariens ne veulent pas que l’utilisation des combustibles fossiles soit réglementée. Sur le réseau social X (anciennement Twitter), Martin Durkin s’exprimait le 8 décembre 2023 en ces termes :
Derrière les absurdités flagrantes de l’alarmisme climatique se cache une attaque brutale contre la prospérité et la liberté des gens ordinaires. Il est motivé par un mépris dérangé pour le progrès matériel, une haine profonde des gens, par l’intérêt personnel et par un sombre besoin autoritaire de garder les gens sous contrôle.
Son film a été présenté en avant-première le 19 mars 2024 à Fairfax, en Virginie (États-Unis), sous le parrainage des organisations CO2 Coalition, CFACT (Committee for a Constructive Tomorrow) et Heartland Institute. Elles sont toutes libertariennes ou conservatrices et défendent les industries des combustibles fossiles.
La fondation Clintel (Climate Intelligence Foundation), créée par le géophysicien Guus Berkhout et le journaliste Marcel Crok en 2019, s’est chargée de traduire le documentaire de Durkin en plusieurs langues. Berkhout a fondé en 1982 le Delphi Consortium, qui travaille dans le développement de la prospection gazière et pétrolière. Son conseil consultatif comprend des représentants des compagnies OMV (entreprise autrichienne spécialisée dans le gaz, le pétrole et la pétrochimie), TotalEnergies, Saudi Aramco et BP. Lui-même a commencé sa carrière en 1964 chez Shell.
Par rapport au documentaire de 2007, il y a quelques nouveaux intervenants, dont John F. Clauser, prix Nobel de physique 2022 avec Alain Aspect et Anton Zeilinger. Mais ses recherches portaient sur la physique quantique. N’ayant pas la moindre compétence en climatologie, il n’exprime que des opinions personnelles. C’est aussi le cas du physicien William Happer de l’Université de Princeton, spécialisé en physique atomique, optique et spectroscopie. Il a cependant dirigé l’Office des Sciences du Département de l’Énergie sous la présidence de George W. Bush. Un désaccord sur le trou dans la couche d’ozone a entraîné son retrait après l’arrivée au pouvoir de Bill Clinton, en 1993. En 2015, il a été est l’un des fondateurs de CO2 Coalition.
Tous les arguments présentés dans ce documentaire sont réfutables, parfois très facilement. Je ne vois aucun inconvénient à ce qu’il soit regardé, mais il faut savoir que des réponses existent. L’objet du présent article est d’en présenter quelques-unes. J’y parlerai beaucoup de paléoclimatologie et même de géologie, parce que l’étude de l’histoire des climats fait appel à cette science.
La Terre a souvent été plus chaude que maintenant, si bien qu’un réchauffement climatique ne serait pas néfaste
Le documentaire commence par parler de paléoclimatologie. Il rappelle qu’il a fait très chaud durant l’époque des dinosaures et que nous vivons dans l’une des rares ères glaciaires du Phanérozoïque (l’éon s’étendant du début du Cambrien il y a 541 millions d’années jusqu’à maintenant). C’est exact. L’Antarctique n’a pas toujours été recouvert de glace. Il y poussait même, il y a 90 millions d’années, des forêts tempérées pluviales, malgré les nuits polaires.
On le voit sur ce graphique, trois ères glaciaires se sont déroulées durant le Phanérozoïque. La première, celle de la fin de l’Ordovicien, il y a 445-443 millions d’années, est la plus courte. Une calotte glaciaire a recouvert une partie du supercontinent Gondwana, qui se trouvait autour du pôle Sud. Vient ensuite la glaciation gondwanienne. Elle a commencé durant le Carbonifère et s’est terminée durant le Permien, il y a de 330 à 270 millions d’années. Le Gondwana a de nouveau été affecté. La troisième est celle dans laquelle nous vivons. Le Quaternaire, commencé il y a 2,59 millions d’années, se caractérise par une succession de glaciations et de périodes interglaciaires, mais même durant ces dernières, l’Antarctique et le Groenland conservent leurs calottes glaciaires.
Cependant, la notion d’ère glaciaire ne doit pas être mal comprise. Les températures tropicales ont peu varié durant tout le Phanérozoïque. Il a toujours fait chaud dans les basses latitudes, mais durant les ères glaciaires, le gradient de température entre les pôles et l’équateur est plus élevé. C’est pourquoi d’immenses forêts marécageuses ont poussé sur la Pangée du Carbonifère. C’est aussi pourquoi l’Homo sapiens, apparu en Afrique en pleine ère glaciaire, possède des défenses naturelles contre la chaleur, comme la transpiration. Patrick Moore, ancien dirigeant de Greenpeace ayant versé dans le climato-dénialisme et devenu lobbyiste pour l’industrie nucléaire, minière et forestière, a raison de dire qu’il est une espèce tropicale, mais il oublie d’ajouter qu’il a des limites. Personne ne souhaite vivre sous une température de 45 °C. Les canicules tuent. Les êtres humains étant déjà soumis à rude épreuve dans des pays comme l’Inde et le Pakistan, autour du golfe Persique et de la mer Rouge, il ne faudra pas s’étonner que ces régions deviennent hostiles à la survie de l’espèce humaine dès 2050.
Les extinctions de masse n’existent pas
En vérité, les scientifiques interrogés par Durkin n’ont pas dit cela. C’est plutôt qu’ils ont complètement oublié d’en parler. La Terre n’a pas toujours été hospitalière durant ces centaines de millions d’années et la faute n’en revient pas uniquement aux glaciations. Il y a eu de nombreuses crises biologiques dont cinq extinctions de masse, la plus grave ayant été celle de la limite Permien-Trias il y a 252 millions d’années. Parmi les causes envisagées, figurent des grandes éruptions volcaniques et des impacts de bolides, c’est-à-dire d’astéroïdes ou d’autres corps célestes. Les éruptions peuvent libérer de gigantesques quantités de lave, formant des provinces magmatiques géantes appelées des trapps. Des gaz sont libérés dans l’atmosphère, dont du dioxyde de soufre SO2, formant des aérosols dans l’atmosphère et pouvant engendrer des pluies acides, et du dioxyde de carbone CO2, augmentant durablement l’effet de serre radiatif.
Cette courbe présentée par Scotese et al. en 2021 montre le lien entre les grandes éruptions volcaniques et les hausses des températures tropicales, lesquelles peuvent être liées à des crises biologiques. On voit bien la stabilité de ces températures sur le très long terme. Elles étaient les mêmes au début du Cambrien, lors de l’expansion du règne animal dans les mers, que maintenant. Les trapps de Kalkarindji (Kalk) en Australie sont datés à 510 millions d’années. La fin du Dévonien (de 419 à 359 Ma) est une période chaude durant laquelle une extinction de masse s’est produite, celle de la limite Frasnien-Famennien (évènement Kellwasser) il y a 372 millions d’années. Une autre extinction un peu moins grave (évènement Hangenberg) lui a succédé 13 millions d’années plus tard. Sur la Terre de cette époque, plusieurs provinces magmatiques peuvent expliquer ces températures élevées : les trapps de Viluy en Sibérie orientale (VR), ceux du bassin de la Madeleine au Canada, ceux de Pripyat-Dniepr-Donetsk (plateforme de l’Europe de l’Est EE) et ceux de la péninsule de Kola, liés aux précédents (KD1 et KD2).
Les trapps d’Emeishan en Chine du sud, il y a 258 millions d’années, sont associés à une petite crise biologique. Les plus grandes éruptions volcaniques de tout le Phanérozoïque, ayant donné naissance au trapps de Sibérie, sont responsables de la très grave extinction de masse Permien-Trias. Le magma a métamorphisé du charbon et du pétrole présents dans les sédiments et du charbon a brûlé à l’air libre. Les trapps de l’Atlantique central (CAMP en anglais) paraissent liés à l’extinction de masse de la fin du Trias il y a 201 millions d’années. Les trapps du Deccan, formés il y a 66 millions d’années, coïncident avec l’extinction de masse de la limite Crétacé-Paléogène, qui a mis fin au règne des dinosaures, mais un bolide s’est également écrasé sur Terre, formant le cratère de Chicxulub au Mexique. Il est possible qu’un bolide ait creusé un cratère encore plus monstrueux à la fin de l’Ordovicien, dans la région de Deniliquin en Australie. Il aurait causé l’extinction de masse de cette période, la première du Phanérozoïque. On tient ainsi tous les « Big Five ».
Comme le résume par exemple Grzegorz Racki, dans le livre Mass extinctions, Volcanism and Impacts : New Developments (The Geological Society of America, 2020) :
Dans les modèles récents de crises du système terrestre, la corrélation entre les principales extinctions de masse du Phanérozoïque et les grandes provinces magmatiques a été bien établie. Plus précisément, des émissions massives et pulsées de grandes quantités de CO2 volcanogène ont transformé l’atmosphère terrestre, entraînant un effet de serre excessif et un réchauffement climatique, combinés à un ralentissement de la circulation océanique, un manque d’oxygène et une acidification de l’eau de mer.
Les îlots de chaleur urbains biaisent le calcul des températures moyennes globales
La suite du documentaire remet en cause l’ampleur du réchauffement climatique actuel en parlant des îlots de chaleur urbains. Il donne la parole à l’astrophysicien et ingénieur spatial Willie Soon (Soon Wei-Hock de son vrai nom), qui est notoirement corrompu par les lobbys des énergies fossiles. Selon un article du New York Times du 21 février 2015, il a reçu en dix ans 1,2 million de dollars. Ce qu’il affirme, c’est que les températures montent dans les grandes agglomérations par le fait de l’activité humaine et qu’elles s’étendent, biaisant les relevés météorologiques. D’après les relevés effectués dans les campagnes et sur les océans, la hausse de la température moyenne globale (TMG) depuis le XIXe siècle serait inférieure à 1 °C.
C’est tout simplement faux. Les organismes chargés de calculer la TMG et son évolution depuis parfois 1850 ont étudié les îlots de chaleur urbains et ont trouvé qu’ils ne biaisent pas les résultats. On peut par exemple lire une étude de David E. Parker publiée le 15 juin 2006 par l’American Meteorological Society. Il travaille pour le Hadley Centre. Cette étude part du principe que les îlots de chaleur se forment par temps calme et sont dissipés par les vents. Le fait de choisir des jours calmes ou des jours venteux ne change presque pas les résultats. Parker a quand même trouvé une petite différence : « Une légère tendance des jours venteux à se réchauffer plus que les autres jours d’hiver en Eurasie est à l’opposé de celle attendue de l’urbanisation et est probablement une conséquence des changements de circulation atmosphérique. »
Par ailleurs, comme le montre l’un des graphiques ci-dessous, la hausse de la température moyenne des océans a bien été de 1 °C depuis 1850.
Cinq organismes calculent l’évolution de la TMG avec chacun sa propre méthode. Le premier d’entre eux est le Hadley Centre for Climate Prediction and Research. Il fait partie du Met Office, l’équivalent britannique de Météo France. L’agrégation des données continentales et océaniques donne des courbes appelées HadCRUT, auxquelles collabore la Climate Resarch Unit de l’Université d’East Anglia. Le deuxième organisme est le Goddard Institute for Space Studies (GISS) de la NASA, qui publie des courbes appelées GISTEMP. Le troisième est le National Climatic Data Center, dépendant de la NOAA, l’agence météorologique et océanographique des USA. Ses courbes sont les NOAAGlobalTemp. Le quatrième est l’agence météorologique japonaise. La dernière courbe qu’elle a obtenue s’appelle JRA-55 et couvre la période allant 1958 à 2023, soit 55 ans. Le cinquième est l’European Centre for Medium-Range Weather Forecast (ECMWF), c’est-à-dire le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme, une organisation intergouvernementale indépendante fondée en 1975 et financée par 35 pays. Ils sont tous européens sauf la Turquie, le Maroc et la Géorgie. Cette organisation est basée à Reading au Royaume-Uni, avec des sites annexes à Bonn et à Bologne. Sa dernière courbe, ERA5, va de 1940 à 2023.
Enfin, il y a Berkeley Earth, une organisation indépendante fondée au début des années 2010 par Richard et Elizabeth Muller, qui a publié ses premiers résultats en 2012. Son objectif était de tenir compte des critiques des climatosceptiques : la sélection des données, leur ajustement, le manque de stations de relevé des températures et l’effet des îlots de chaleur urbains. Les résultats ont été les mêmes que celui des autres organismes. Tous, chacun de leur côté et avec des méthodes différentes, trouvent que la TMG augmente de la même manière depuis au moins les années 1960. Il y a évidemment des incertitudes pour le XIXe siècle et le début du XXe, à cause du manque de stations. Berkeley Earth se distingue des autres organismes par sa plus grande transparence. Elle explique par exemple les méthodes mathématiques utilisées, mais ses articles ne sont compréhensibles que par les spécialistes.
Durkin a fait appel à une grosse pointure en la personne de Roy Spencer, de l’Université de l’Alabama à Huntsville (UAH). Il a été l’un des pionniers de la mesure des températures par satellites, ce dont la NASA l’a récompensé (avec John Christy) en 1991. Il est cependant évangéliste et signataire d’une déclaration en juillet 2006 attribuant des causes naturelles au réchauffement climatique actuel. Des documents issus de la mise en faillite de la compagnie de charbon Peabody Energy en 2016 ont révélé qu’il a reçu des financements, mais leurs montants et leurs dates de versement ne sont pas connus. Richard Lindzen et Willie Soon sont également cités et il est apparu de cette entreprise a beaucoup contribué à la négation du réchauffement climatique grâce à un réseau tentaculaire.
Selon Roy Spencer, les données fournies par les satellites montrent un réchauffement modéré, mais la société Remote Sensing Systems (RSS, « Système de télédétection »), fondée en 1974 par Frank Wentz et largement reconnue, n’est pas tout à fait d’accord avec lui. Au total, 15 satellites sont utilisés pour mesurer les températures atmosphériques depuis 1979. On peut voir les données RSS sur cette page Web, pour la basse troposphère (Lower Tropospheric Temperature TLT), sachant que les températures de la stratosphère baissent au lieu de monter et que cela traduit l’action du CO2 :
La tendance depuis 1980 est à une augmentation linéaire de 0,219 °C par décennie. Les fluctuations observées, en « dents de scie », sont dues à des variations internes du système climatique, notamment au phénomène cyclique El Niño découvert au large du Pérou. On sait maintenant que c’est une manifestation d’une oscillation qui concerne toutes les basses latitudes du Pacifique. Il est appelé ENSO : El Niño-Southern Oscillation.
En 2017, le climatologue Zeke Hausfather, employé par Berkeley Earth, a comparé pour Carbon Brief les courbes RSS TLT et GISTemp à partir de 1980 :
Il apparaît que les températures mesurées par satellites (en rouge) augmentent un peu plus rapidement que celles mesurées par les thermomètres à la surface de la Terre (en bleu).
Et pour terminer, voici une comparaison des données RSS et UAH :
Par rapport à la version 5 d’UAH (en violet), la version 6 (en noir) a révisé à la baisse les températures les plus récentes. L’écart entre RSS et UAH n’existe qu’à partir de l’an 2000 et n’atteint pas 0,2 °C.
On peut dire que Roy Spencer est le meilleur scientifique climatosceptique. Les arguments qu’il utilise sont complexes, si bien que les militants de base ne peuvent pas les comprendre et ne les utilisent pas. Leurs arguments sont souvent grossiers et parfois réfutés par Spencer lui-même. Il défend par exemple l’existence de l’effet de serre radiatif et explique sur son blog qu’il ne viole pas le second principe de la thermodynamique. Mais ses publications peinent à convaincre la communauté scientifique.
Ce sont des températures qui contrôlent la teneur en CO2 atmosphérique
La suite du documentaire, jusqu’à la trentième minute, donne des arguments grossièrement faux mais répétés comme des mantras par les militants climato-dénialistes depuis des années. Selon l’un d’eux, déjà présenté dans le film de 2007, c’est la hausse des températures qui provoque la hausse de la teneur en CO2 atmosphérique, et non l’inverse. Ils se basent sur les glaciations du Quaternaire et appliquent cette loi à la situation actuelle, ce qui est évidemment critiquable. Selon certains, la teneur en CO2 atmosphérique est passée de 280 à 420 ppmv (parties par million en volume) depuis que l’humanité utilise massivement les combustibles fossiles, non pas à cause des émissions de CO2, mais à cause d’une hausse des températures. Celle-ci, dont la cause reste à déterminer, aurait provoqué un dégazage de CO2 par les océans. En effet, selon la loi de Henry si souvent invoquée, plus l’eau est chaude, moins elle peut contenir de CO2 dissous. On sait bien que c’est faux : les océans ne libèrent pas de CO2 mais absorbent au contraire une partie du gaz carbonique que l’humanité émet, limitant ainsi le réchauffement climatique.
Mais lors du cycle des glaciations et des périodes interglaciaires, est-ce que ce sont bien les températures qui pilotent le CO2 ? En réalité, tout est piloté par un troisième acteur dont les intervenants du documentaire se gardent bien de parler, effectuant encore un mensonge par omission. Ce troisième acteur, c’est la variation des paramètres astronomiques de la Terre, selon une théorie élaborée par le mathématicien Milutin Milankovitch. Le mécanisme est compliqué mais il faut le connaître pour comprendre la manipulation effectuée.
Les variations des paramètres astronomiques changent les saisons. Dans l’hémisphère Nord, le rayonnement solaire diminue en été, si bien que les étés deviennent frais, et il augmente en hiver, ce qui rend les hivers plus doux. Cela permet des chutes de neige plus abondantes, car un air très froid ne peut pas contenir beaucoup de vapeur d’eau. La neige s’accumule par conséquent en hiver et ne fond pas totalement en été. Des calottes glaciaires se forment alors sur l’Amérique du Nord et les hautes latitudes de l’Eurasie. Devant elles, la forêt régresse au profit de la toundra. Cela augmente l’albédo de la Terre (son pouvoir réfléchissant) et accentue le refroidissement. Les océans absorbent plus de CO2, faisant diminuer l’effet de serre. La circulation thermohaline envoie vers l’océan profond des eaux de surface riches en CO2. De plus, l’extension des zones désertiques charge les vents de poussières. Ces aérosols qui voilent le ciel sont une caractéristique importante mais peu connue des glaciations, or ils comprennent des nutriments, dont du fer, qui nourrissent le phytoplancton. Sa consommation de CO2 s’accroît et la pompe biologique exporte du carbone vers l’océan profond, lequel peut en contenir beaucoup plus que l’atmosphère.
Ce sont également les variations des paramètres astronomiques qui entraînent la déglaciation. Toujours dans l’hémisphère Nord, des étés devenus plus chauds entraînent la fonte de la glace et des hivers devenus plus froids diminuent les chutes de neige. Des rétroactions positives s’enclenchent. Avec le retrait des calottes glaciaires, l’albédo de la Terre augmente, ce qui fait grimper les températures. Réchauffés, les océans se mettent à relâcher du CO2, accentuant le réchauffement sur toute la Terre. La hausse de la teneur en CO2 atmosphérique peut avoir un retard sur la hausse des températures comme le disent les climato-dénialistes, mais cela ne prouve pas que le réchauffement planétaire actuel n’est pas d’origine humaine.
Les niveaux de CO2 atmosphérique étaient autrefois plus élevés que maintenant et c’était beaucoup mieux pour la biosphère
Selon un mythe très répandu dans la communauté climatosceptique, la teneur en CO2 atmosphérique est tombée si bas durant le Quaternaire que cela aurait pu entraîner la fin de toute vie sur Terre. Les émissions de CO2 par l’humanité ont donc sauvé le monde. En effet, le CO2 est le gaz de la vie. Il est absorbé par les plantes, qui prélèvent le carbone grâce à la photosynthèse et rejettent de l’oxygène, et celui-ci permet aux animaux de respirer. Pas moins de quatre intervenants, Patrick Moore, William Happer, le géologue Matthew Wielicki et l’ingénieur Tom Nelson (qui n’est autre que le producteur du film de Durkin) affirment que la vie était en danger. D’après Moore, une baisse supplémentaire de 30 ppmv aurait été fatale. La teneur en CO2 atmosphérique serait en effet passée sous le seuil des 150 ppmv, en deçà duquel la photosynthèse ne peut plus se faire.
Mais ce seuil n’est valable que pour la photosynthèse des plantes en C3. La fixation du CO2 est assurée par une enzyme, la ribulose-biphosphate-carboxylase (ou rubisco) qui produit une première molécule à 3 atomes de carbone, l’acide phosphoglycérique. Tous les arbres appartiennent à cette catégorie, et 85 % des angiospermes (les plantes à fleurs), sous toutes les latitudes. Ils photorespirent également, c’est-à-dire qu’ils rejettent du CO2.
Il existe un autre type de plantes, dites en C4. Quatre atomes de carbone sont incorporés dans de l’acide oxalo-acétique grâce à une autre enzyme que la rubisco. Ces plantes rassemblent les graminées des régions tropicales (maïs, mil, sorgho, canne à sucre…) et les Chénopodiacées (épinards, par exemple). Elles ne photorespirent pas. 5 % des angiospermes et 41 % des graminées sont en C4. Elles sont moins gourmandes en CO2 que les plantes en C3 : elles n’ont besoin que de 10 ppmv. On voit ainsi que la teneur en CO2 peut passer sous le seuil de 150 ppmv sans danger pour la vie. D’après une étude de Matteo Willet et al. publiée en 2015, la concentration du CO2 était d’environ 100 ppmv il y a entre 3,2 et 2,4 millions d’années (fin du Pliocène et début du Pléistocène).
Et même si les plantes mouraient par insuffisance de CO2, ce ne serait pas la fin de la vie sur Terre, parce que le phytoplancton est un grand pourvoyeur d’oxygène et qu’il se portait très bien durant les glaciations. C’est d’ailleurs lui qui a fait apparaître ce gaz dans l’atmosphère terrestre, il y a entre 2,5 et 2,2 milliards d’années. En ce moment, l’atmosphère est composée à 21 % d’oxygène, de quoi tenir un bon moment si sa production s’arrêtait. En 2016, Daniel A. Stolper, de l’Université de Princeton, et quatre autres chercheurs, ont démontré que la teneur en O2 a baissé de seulement 0,7 % durant les 800 000 dernières années, parce que les puits d’oxygène étaient légèrement plus actifs que ses sources. Ces puits sont l’oxydation du carbone organique et de la pyrite (du sulfure de fer).
Durant le maximum de la dernière glaciation, celle de Würm, il y a environ 21 000 ans, les forêts ont beaucoup régressé et les continents se sont recouverts de savanes, de steppes et de toundras. Cependant, c’est le manque d’eau qui en était responsable, et non le manque de CO2. Pour preuve, des forêts poussaient sur la côte ouest de l’Amérique du Nord, à laquelle les courants océaniques apportaient de la pluie. D’immenses lacs y étaient présents, comme le lac Bonneville. La cause de cette sécheresse généralisée était la glaciation : plus l’air est froid, moins il peut contenir de vapeur d’eau.
Matthew Wielicki, un assistant professeur à l’université de l’Alabama dont les compétences en géologie ne sauraient être mises en doute, explique que la biodiversité était très grande durant les périodes où la teneur en CO2 était élevée. Il est vrai qu’elle a par moments dépassé les 1 000 ppmv. Il faisait donc chaud (car, oui, la température dépend de la concentration du CO2 !), et grâce à cela, l’atmosphère pouvait contenir beaucoup de vapeur d’eau. Les périodes chaudes sont globalement des périodes humides, sachant que la disposition des continents et des chaînes de montagnes influe sur les courants océaniques et la répartition des pluies.
Cependant, rien ne permet d’affirmer qu’il y a eu jusqu’à 7 000 ppmv de CO2 (soit 0,7 % de l’atmosphère en volume). Le documentaire utilise des vieilles études. Le modèle GEOCARB III, qui a vraiment fait autorité à son époque, a été présenté par Robert A. Berner et Zavareh Kothavala en 2001. Durkin fait aussi l’impasse sur les incertitudes, or elles sont grandes pour les périodes les plus reculées, avant le Carbonifère. Ce qui ressort avec certitude de ces études, c’est que les ères glaciaires gondwanienne et actuelle correspondent à des teneurs en CO2 inférieures à 500 ppmv.
Les paléotempératures sont mieux estimées que la concentration du CO2. On sait qu’au début de l’Ordovicien (le Trémadocien, de 485 à 477 Ma), il a fait très chaud sur Terre. La température moyenne des océans était de 15 °C supérieure à celle d’aujourd’hui, si bien qu’il y a eu des extinctions dans les zones tropicales et tempérées, trop exposées à cette chaleur. À cette époque, la vie s’était beaucoup développée, mais elle restait cantonnée dans les mers et de petites plantes commençaient seulement à conquérir la terre ferme. La récente découverte d’un site fossilifère à Cabrières dans l’Hérault montre que la biodiversité était riche à cet endroit, mais il se trouvait sur les marges du Gondwana, tout près du pôle Sud. C’était un environnement plus accueillant que les mers des basses et moyennes latitudes.
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