Histoire de la Terre et de la vie - Actualités géologiques

Débunkage

Pas de vestige de l’Atlantide près des îles de Bimini

Les rochers de Bimini (source : bizfiles.net)

Dans l’archipel des Bahamas, près des îles de Bimini, il existe une formation rocheuse qui semble avoir été construite par l’Homme : des blocs parallélépipédiques aux angles plus ou moins arrondis sont disposés de manière régulière sur 800 mètres de long, comme les pavés d’une route. Ils reposent sous une profondeur d’eau de seulement 7 mètres, si bien qu’ils étaient sûrement émergés durant la dernière glaciation. Quand elle était à son maximum, le niveau des mers était 120 mètres plus bas que maintenant. Elle s’est terminée il y a 11 700 ans, mais les mers n’ont atteint leur niveau actuel que quelques millénaires plus tard.

Bimini
Vue aérienne des îles de Bimini. Photo Panoramio, 2011.
Bimini
Carte des îles Bimini d’après Harrison, 1971. Les emplacements des blocs et des cylindres sont indiqués par des flèches. La bathymérie est en brasses anglaises (1 brasse = 1,86 m).

Ces blocs ont été découverts dans les années 1960. Leur invention a été revendiquée par Mino G. Turolla. En 1969 , le zoologue J. Manson Valentine a publié dans la revue Muse News, du Musée de la Sciences de Miami, un article intitulé « Énigmes archéologiques de Floride et des Bahamas occidentales », où cette formation géologique est qualifiée de mur et non de route. Quelques mois plus tard, dans leur ouvrage Atlantis, Robert Ferro et Michael Grumley ont présenté ces blocs comme un vestige de l’Atlantide. Ils étaient inspirés par le médium américain Edgar Cayce (1877-1945), qui pensait que cette civilisation disparue s’était étendue du golfe du Mexique jusqu’à la Méditerranée et qu’elle avait été définitivement détruite vers l’an 10 600 avant notre ère. Il avait désigné Bimini comme un lieu atlante et avait prédit qu’il referait surface dans les années 1960. La fondation qu’il a créée, l’A.R.E., a financé les recherches du professeur d’anglais David Zink, qui a publié un livre en 1978 pour défendre l’origine atlante des blocs : Les pierres de l’Atlantide. Le Los Angeles Times l’a décrit comme un « recueil involontairement comique de pseudo-science ».

Route de Bimini

Dès 1971, W. Harrison, qui officiait à Virginia Beach, la ville où l’A.R.E. avait été fondée, a présenté dans la revue Nature une première réfutation de cette théorie, mais cela n’a pas fait renoncer ses partisans. Le géologue Eugene A. Shinn a publié plusieurs articles sur la question, jusqu’en 2009. Il était particulièrement bien placé pour étudier le problème, car la sédimentation carbonatée dans les eaux chaudes et peu profondes était son domaine de compétence. Ayant obtenu un diplôme de zoologie avant de faire son doctorat dans les sciences de la Terre, il connaissait parfaitement les récifs de coraux vivants. Toute sa carrière a été effectuée en Floride.

Les archéologues ont aussi leur mot à dire, mais pour une civilisation aussi grandiose que l’Atlantide, il n’y a pas grand-chose à voir. Aucun artefact n’a été trouvé sur la « route de Bimini », ni dans les alentours, ni sur les îles de Bimini, ni dans la totalité des Bahamas. Où sont les édifices majestueux que les Atlantes auraient bâtis, leurs palais, leurs temples, leurs hippodromes et leurs casernes ? Où sont les sépultures ? Platon dans le Critias, avait donné une profusion de détails :

Alentour, on avait élevé des maisons et planté les arbres qui se plaisent au bord des eaux. Il y avait pour le bain des bassins découverts et d’autres fermés pour l’hiver ; il y en avait pour les rois et pour les particuliers ; d’autres séparés pour les femmes, d’autres aussi pour les chevaux et les bêtes de somme ; chacun d’eux était disposé et décoré suivant sa destination. Au sortir de ces bains, une partie de l’eau allait arroser le bois de Neptune, où la fertilité du terrain produisait des arbres d’une hauteur et d’une beauté surprenante ; le reste se rendait dans les digues extérieures par des aqueducs pratiques sur les ponts. Sur ces digues qui formaient des îles, il y avait des temples consacrés à un grand nombre de dieux, des jardins, des gymnases dans l’une, des hippodromes dans l’autre. Il y avait surtout au milieu de la plus grande de ces îles un vaste hippodrome d’un stade de large, et quant à la longueur la carrière livrée aux chevaux faisait tout le tour de l’île. Des deux côtés s’élevaient des casernes pour le gros de l’armée ; les troupes sur lesquelles on comptait davantage avaient leurs quartiers dans la digue la plus petite et la plus voisine de l’Acropolis ; enfin une élite dévouée demeurait dans l’Acropolis même, autour de leurs rois. Les bassins étaient couverts de trirèmes et garnis avec un ordre parfait des instruments et des provisions nécessaires. Telles étaient les dispositions autour du palais des rois. (Traduction de Victor Cousin)

Peut-on raisonnablement supposer que tout ait disparu sauf une route ou un mur de 800 mètres de long ? Des cylindres ont été trouvés à l’ouest de l’île de Bimini Sud. Leurs dimensions sont d’environ 70 cm de long et 50 cm de diamètre. Ils ont été interprétés comme des fragments de colonnes. En réalité, comme l’a expliqué Harrison, ce sont des barils de ciment Portland « semés » par un navire, peut-être lors d’un naufrage. En analysant ce ciment, Bryant Mather a trouvé qu’il est hydraté et qu’il date d’environ 1800. Il y a aussi deux cylindres de marbre probablement venus de l’État américain de Géorgie. De tels matériaux n’existent pas dans les Bahamas. Il est intéressant de noter que ces cylindres ont été recouverts d’une croûte de quelques millimètres de calcaire, qui donne une idée de la vitesse de la sédimentation carbonatée.

Bahamas
Les bancs des Bahamas apparaissent en bleu clair sur cette photo satellite. Les îles de Bimini sont visibles au nord-ouest du Grand Banc, du côté de la Floride, entourées par un cercle rouge. L’île du Sud est à 83 km de Miami. La grande île en bas est Cuba.

Les Bahamas sont d’excellents exemples de plateformes carbonatées. Ce sont des marges continentales faiblement immergées sur lesquelles du carbonate de calcium CaCO3 sédimente. Il se présente sous la forme de deux minéraux de même formule chimique : la calcite et l’aragonite. Le premier est le constituant principal du calcaire, qui est une roche toujours claire, voire blanche. Il peut précipiter de manière purement chimique dans les eaux ayant une concentration suffisante en ions carbonate et calcium. Cela se produit dans les lagons, au fond desquels une boue de microcristaux de calcite se dépose. Les oolithes sont des grains sphériques de 0,5 à 2 mm de diamètre, constitués d’un nucléus (un débris de quartz, par exemple) enveloppé de calcite, d’aragonite ou plus rarement d’autres minéraux. Leur accumulation donne un sable blanc. Certains coraux (des cnidaires en langage scientifique) se fixent sur un support et secrètent un squelette calcaire. Comme ils vivent en colonies, ils édifient un récif corallien.

Sable oolithique prélevé au bord du Grand Lac salé près de Salt Lake City. La largeur de champ est 5,5 mm. Microphotographie d’Alain Couette.

Les Bahamas se trouvent sur la plaque lithosphérique nord-américaine. Il y a une autre plaque à proximité, celle des Caraïbes, dont la subduction provoque des phénomènes violents : volcanisme explosif et séismes. Les îles des Petites Antilles sont toutes volcaniques. De nature complètement différente, celles des Bahamas sont calmes. Les seules catastrophes naturelles que leurs habitants doivent craindre sont les cyclones. Si l’Atlantide avait été bâtie dans cette zone, elle n’aurait pas pu être détruite par une éruption volcanique.

Ces îles sont les parties actuellement émergées de grands plateaux calcaires que l’on appelle des bancs. Les îles Bimini sont situées à l’extrémité nord-ouest du Grand Banc, qui est corallien. La sédimentation a commencé dès le Crétacé inférieur, peut-être même durant le Jurassique il y a plus de 145 millions d’années. Les récifs coralliens se sont développés sur une croûte continentale, sous une faible profondeur d’eau afin d’utiliser la lumière du Soleil. Ils vivent en symbiose avec des algues. Cette croûte s’est enfoncée à mesure que les couches de calcaire s’accumulaient : c’est la subsidence. Comme l’épaisseur des sédiments dépasse actuellement les 4 500 mètres, la croûte s’est enfoncée avec une vitesse moyenne de 3,6 centimètres par millénaire. La subsidence a créé le canyon qui sépare le Grand Banc du Petit Banc, plus au nord, dont la profondeur atteint les 5 000 mètres, ainsi que le détroit de Floride.

Le Grand Banc des Bahamas n’est que très faiblement immergé. Sa profondeur ne dépasse pas les 25 mètres. À l’est des îles Bimini, sur plusieurs kilomètres, l’eau est tellement peu profonde que si des monuments antiques avaient été construits à cet endroit, leurs ruines seraient visibles. En revanche, le sol descend rapidement à l’ouest des îles, puisque c’est le rebord occidental du plateau. La « route » de Bimini et les cylindres se trouvent de ce côté. C’est évidemment par là, c’est-à-dire par le détroit de Floride, que les navires abordent les îles. Durant les dernières glaciations, le Grand Banc était totalement émergé. Il était recouvert par du sable oolithique, à partir duquel le vent façonnait des dunes. Les îles de Bimini ne sont rien d’autre que des dunes dépassant 10 mètres de haut Les oolithes naissent à quelques centaines de mètres du plateau, mais sont apportés dessus par les courants.

Zones de formation des grès de plage. d’après Vousdoukas et al., 2007.

Shinn a démontré que les blocs de la « route » sont des grès de plage. Par définition, les grès sont des sables cimentés par de l’argile, du carbonate de calcium ou de la silice. Les sables les plus courants sont composés de grains de quartz et parfois de feldspaths, mais sur Bimini, les grains sont des oolithes et des fragments de coquilles. Les anglophones parlent de beach-rocks « roches de plage ». Ces roches apparaissent dans la zone intertidale, sur des plages alternativement couvertes et découvertes par la marée – l’estran. Les grains de sable sont cimentés par de la calcite ou de l’aragonite, dont la précipitation est facilitée par les retraits de la mer et l’évaporation de l’eau interstitielle. Le phénomène se produit dans les régions tropicales à subtropicales, parfois sous un climat tempéré. Il est bien représenté dans les Caraïbes : Bahamas, Barbade, Floride, Virgin Island…

Formation des grès de plage d’après Shinn, 2009.

Dans le cas de la « route » de Bimini, ce sont des cristaux aciculaires (en forme d’aiguilles) d’aragonite qui ont cimenté les grains de sable (a). La formation des grès peut faciliter la progradation, c’est-à-dire l’avancée du sable vers la mer (b). Il recouvre alors les grès et s’expose à son tour à une cimentation, ce qui engendre une nouvelle couche de grès. Lorsque l’approvisionnement en sable est interrompu ou que le niveau de la mer augmente, l’érosion du sable met à l’affleurement le grès précédemment constitué (c). L’exposition au Soleil et à une alternance constante d’humidification et de séchage fissurent la couche de grès comme une route en ciment, d’autant plus facilement qu’elle est posée sur du sable (d). La taille des blocs est contrôlée par l’épaisseur de la couche. Ils sont abrasés par le sable que la mer transporte, ce qui leur donne la forme de coussins. Les blocs de Bimini présentent une stratification inclinée toujours dans la même direction, ce qui montre s’ils se sont formés sur place. Ils n’ont pas été transportés.

Ce phénomène entièrement naturel est capable de produire des « routes pavées » parallèles à l’actuelle ligne du rivage, comme celle de Bimini, et même plusieurs « routes » parallèles. D’autres ont été découvertes au large de la Floride, dont une à 90 mètres de profondeur. La cimentation du grès est très rapide, si bien qu’il comporte des bouteilles cassées (de Coca, parfois) et d’autres artefacts humains. Des grès de plage des îles du Pacifique ont incorporé des douilles et des squelettes de soldats de la Seconde Guerre mondiale. En 1980, Marshal McKusick et Eugene Shinn ont présenté des datations au carbone 14 de fragments de coquilles extraits des blocs de Bimini et ont trouvé des âges s’échelonnant entre 2 745 et 3 510 ans. Cela implique que les blocs sont plus jeunes. Ils sont en tout cas plus jeunes que l’Atlantide, si cette civilisation a plus de dix millénaires, comme l’affirme Cayce (alors que Platon en a fait un rival d’Athènes).

Tous les grès de plage, quand ils ont pu être datés, n’ont que quelques millénaires.

Loggerhead road, Dry Tortugas.



La « route de Loggerhead » dans les Îles Sèches des Tortues (Dry Tortugas), archipel des Keys, Floride. Elle a été révélée par l’ouragan Katrina en 2005. Les blocs ont un à deux mètres de long.

Tous ces arguments suffisent à prouver l’origine naturelle de la « route » de Bimini, mais les partisans de Cayce ne se laisseront jamais convaincre. De même que les partisans de la Terre plate, des arbres géants ou les climatosceptiques, il veulent imposer leurs idées et n’ont que faire de la réalité. En 2006, le psychologue G. Little a accusé Shinn de faire partie d’une conspiration gouvernementale ayant pour but de cacher l’origine des blocs.

Voir Tout ce que la nature ne peut pas faire II : pavements et dallages sur Le site d’Irna. On y voit notamment des fracturations naturelles de roches sédimentaires (diaclases) qui les découpent en parallélépipèdes.

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W. Harrison, Atlantis Undiscovered, Nature , vol. 230, 2 April 1971.

M. McKusick, E.A. Shinn, Bahamian Atlantis reconsidered, Nature, vol. 287, 4 septembre 1980.

M.I. Vousdoukas et al., Beachrock occurrence, characteristics, formation mechanisms and impacts, Earth-Science Reviews 85, November 2007.

Eugene A. Shinn, The mystique of beachrock, International Association of Sedimentologists Spec. Publ. 41, 19–28, 2009.

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