Histoire de la Terre et de la vie - Actualités géologiques

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Une Pompéi végétale de Mongolie-Intérieure révèle une lignée sœur des gymnospermes

Noeggerathiale

Un fossile incomplet de Paratingia, où la partie fertile de la tige et les pseudostrobiles ont été préservés.

L’apparition de la graine a été une étape majeure dans l’évolution des plantes, car elle permet une reproduction affranchie de l’eau et donc la colonisation de milieux secs. Elle contient l’embryon, mais également des réserves de glucides, de lipides et de protéines qui lui permettent de commencer à se développer. Les plantes à graines sont appelées les spermatophytes. Les deux principales familles en sont actuellement les gymnospermes, des plantes à graines nues comprenant les conifères, et les angiospermes ou plantes à fleurs. On peut dire que le Mésozoïque a été l’ère des conifères, des végétaux reconnaissables à leurs cônes ou strobiles, qui sont leurs organes reproducteurs. Durant le Jurassique, les grands dinosaures sauropodes se nourrissaient de feuilles de conifères.

Les spermatophytes sont apparus il y a environ 395 millions d’années, durant le Dévonien moyen. Elles descendent des progymnospermes, qui avaient du bois de gymnosperme mais se reproduisaient par spores. Elle comprenait les Aneurophytales du Dévonien et les rares Protopityales du Carbonifère inférieur de l’Europe, ainsi que les Archaeopteridales qui étaient les plantes dominantes des forêts du Dévonien, les premières que la Terre ait connues. L’Archaeopteris, identifié en 1960 par Charles Beck, associait des feuilles porteuses de sporanges (les organes producteurs des spores) semblables aux frondes des fougères à un tronc et des branches en bois de gymnosperme. À ces groupes, il faut ajouter un cône énigmatique fossilisé durant le Carbonifère (de 359 à 299 Ma), appelé Cecropsis. Une famille constituée de 50 espèces, les Noeggerathiales, appréciant les climats tropicaux, a longtemps eu une position controversée. Elle est apparue il y a 325 millions d’années. L’étude d’une « Pompéi végétale » de Mongolie-Intérieure a permis de la rattacher aux progymnospermes et d’en faire par conséquent des sœurs des spermatophytes. Elle a été présentée en mars 2021 dans les Proceedings of National Academy of Sciences des USA.

Position actuelle et position au début du Permien de la forêt fossilisée de Wuda. Elle constitue la flore 2, entre deux veines de charbon (coal). D’après Wang Jun et al., 2021.

Cette forêt fossilisée, étudiée déjà depuis de nombreuses années, avait été décrite en 2012 dans la même revue. Parmi les auteurs, figuraient Wang Jun, de l’Institut de géologie et de paléontologie de Nanjing, et Hermann Pfefferkorn de l’Université de Pennsylvanie. Ce site se trouve sur la rive gauche du Fleuve Jaune, à un endroit où il coule vers le nord, près de la ville de Wuda. La zone, située entre le désert du Badain Jaran et celui des Ordos, est aride, mais le Fleuve Jaune permet la pratique de l’agriculture. La forêt fossilisée a été datée à 298 millions d’années, soit au tout début du Permien (de 299 à 252 Ma). À cette époque, le territoire de la Chine ne s’était pas encore constitué. La forêt poussait au nord-est du craton de Chine du Nord, qui était un micro-continent situé entre les océans Paléotéthys et Panthalassa. Il était dans des latitudes tropicales, d’après la reconstitution du mouvement des plaques lithosphériques mais aussi d’après sa végétation.

L’environnement de cette forêt était une plaine deltaïque et les racines des végétaux plongeaient dans de la tourbe. Des volcans situés à proximité faisaient parfois tomber des cendres qui apportaient des nutriments dans ce milieu appauvri. Elles étaient indispensables aux Neoggerathiales, mais elles pouvaient également causer leur perte. Un jour, une violente éruption a brusquement enseveli la forêt sous un mètre de cendres. Après compaction, cette épaisseur a été réduite à 66 centimètres. Dedans, les végétaux ont été exceptionnellement bien préservés. L’appellation de Pompéi végétale est d’autant plus justifiée que des végétaux de Pompéi et d’Herculanum ont été fossilisés de la même manière. Ces cendres apparaissent comme une couche claire entre des veines de charbon constituée de débris végétaux beaucoup moins bien conservés, comportant des lits millimétriques de cendres. Sa surface est d’environ 20 km².

Une reconstitution de la forêt a été effectuée. Les arbres de l’étage supérieur (A) sont des Sigillaires qui portent des faisceaux de cônes sous leurs touffes de feuilles étroites. Elles étaient apparentées aux actuels Lycopodes et Sélaginelles. Les plantes de cette famille, les Lycophytes, sont dotées de vaisseaux conducteurs mais sans véritables feuilles. La forêt de niveau inférieur était composée de plusieurs espèces de fougères arborescentes Marattiales (B) caractérisées par un manteau brun de racines dans la partie inférieure du tronc et des feuilles mortes pendantes. La forêt de niveau inférieur comprenait aussi des plantes de la famille des Noeggerathiales, dont Tingia (H) et Paratingia (D) représenté ici par cinq individus. Les autres arbres plus petits étaient les gymnospermes Pterophyllum (C) et Taeniopteris (G) apparentés aux cycas – qui ne sont pas des conifères. Une couche de plantes herbacées n’existait que dans certaines zones et est représentée au premier plan à droite avec Sphenophyllum (F), apparenté aux prêles (ce sont des Sphenophytes), et Nemejcopteris feminaeformis (I), un représentant de la famille éteinte de fougères Zygopteridacées. Une espèce de Sphenopteris (E) apparaît comme une plante grimpante sur deux manteaux de racines de fougères arborescentes. Ce sont des « fougères à graines » ou ptéridospermales.

L’holotype, c’est-à-dire le fossile de référence, de Paratingia wuhaia. Il comprend une tige à laquelle sont rattachés des feuilles et des pseudostrobiles.

Cette publication effectuée, Wang Jun, Hermann Pfefferkorn et d’autres scientifiques ont continué à étudier les Noeggerathiales. À partir des fossiles du genre Paratingia, ils ont défini l’espèce Paratingia wuhaia. Cet arbre n’était guère plus grand qu’un homme, avec au maximum 2 mètres de hauteur. En haut de sa tige d’environ 5 cm de diamètre, il y avait une couronne apicale porteuse des feuilles, une zone fertile porteuse des pseudo-strobiles et d’autres feuilles au sommet. Elles étaient pennées, c’est-à-dire composées de plusieurs folioles, avec une longueur de 50 cm. Les pseudostrobiles, dont le nombre atteignait peut-être 200, avaient une cinquantaine de centimètres de long . Ressemblant à des cônes, ils portaient en fait des rangées de sporanges. Il en existait de deux sortes, qui différaient par leur taille (environ 35 et 800 micromètres) et qui étaient mâles et femelles. On parle d’hétérosporie. C’est une caractéristique propre aux Noeggerathiales. Le fait que Paratingia wuhaia produisait du bois de gymnosperme montre que c’était une progymnosperme, et donc que tous les Noeggerathiales l’étaient aussi.

Reconstitution de Paratingia wuhaia par Ren Yugao et Tang Sijia.

Ceci étant, les progymnospermes constituaient un groupe paraphylétique : elles ne descendaient pas d’un ancêtre commun. Les Aneurophytales étaient homosporées tandis qu’Archaeopteris était hétérosporé. Les pseudostrobiles hétérosporés des Noeaggerathiales étaient des feuilles modifiées et très perfectionnées, qui s’approchaient par leur sophistication des cônes des gymnospermes. Il s’agit d’une convergence évolutive : les cônes et les pseudostrobiles mettaient les organes fertiles à l’abri des herbivores. Malgré leurs qualités, les Neoggerathiales n’ont pas survécu à la crise Permien-Trias, il y a 252 millions d’années. Elles ont été victimes de la régression de leurs habitats. Quant aux autres progymnospermes, elles paraissent avoir disparu 60 millions d’années plus tôt, durant le Carbonifère.

Une feuille de Paratingia wuhaia.

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Wang Jun et al., Ancient noeggerathialean reveals the seed plant sister group diversified alongside the primary seed plant radiation, PNAS, March 16, 2021.

https://www.pnas.org/content/118/11/e2013442118.short

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