Le noyau de l’Europe est un vaste territoire s’étendant entre la péninsule scandinave, l’Ukraine et l’Oural. C’est le craton est-européen. Il comporte des roches remontant au deuxième éon de la Terre, l’Archéen (de 4 à 2,5 milliards d’années) et s’est constitué il y a un peu moins de deux milliards d’années. Depuis, il n’a subi que des changements mineurs. Avant la formation de la Pangée, c’était un continent isolé dans les eaux de l’océan mondial, que l’on appelle la Baltica. À la fin de l’Ordovicien (de 485 à 443 millions d’années), le micro-continent Avalonia s’est rattaché à lui, puis l’ensemble est entré en collision avec la Laurentia, qui comprenait le Groenland et l’Amérique du Nord. La Pangée, le dernier supercontinent, commençait alors à s’assembler.
Un craton est la partie stable d’un continent. C’est normalement une plaine, car toutes les montagnes ont été érodées. Ainsi, la Russie européenne (volgo-ouralienne) n’a quasiment pas de relief malgré son étendue : elle s’élève entre 50 et 250 mètres d’altitude. Si les roches précambriennes sont à l’affleurement, le craton est un bouclier, et si des sédiments de moins de 541 millions d’années les recouvrent, c’est une plate-forme. Le craton de l’Europe de l’Est résulte de l’assemblage de trois segments crustaux (ou sous-cratons) : la Fennoscandie, qui comprend une grande partie de la péninsule scandinave, la Finlande, les Pays Baltes et des territoires de la Russie du nord-ouest, la Volgo-Ouralie, entièrement russe, et la Sarmatie qui est russo-ukrainienne. L’assemblage s’est effectué durant l’Orosirien, une période allant de 2,05 à 1,80 milliard d’années.
La Volgo-Ouralie est une plate-forme. Elle est presque entièrement recouverte par des roches sédimentaires datant du Néoprotérozoïque (de 1000 à 541 millions d’années) et du Phanérozoïque (les 541 derniers millions d’années), qui est le dernier éon. Le socle cristallin, c’est-à-dire les roches plutoniques et métamorphiques plus anciennes, n’affleurent que du côté de l’Oural. Néanmoins, le haut potentiel pétrolier et gazier des sédiments ont poussé les Russes à faire des milliers de forages. Une dizaine d’entre eux ont atteint le socle cristallin et ont montré qu’il est principalement composé de roches métamorphisées il y a 2,7 milliards d’années dans les faciès amphibolite et granulite, soit à haute température. Le craton sarmate n’est que partiellement recouvert par des sédiments récents. Des roches de l’Archéen affleurent au sud de l’Ukraine, dans une zone appelée le bouclier ukrainien, et dans le massif de Voronej au nord, du côté russe. Ce dernier est un anticlinal (un bombement de la croûte) situé au sud-ouest de la ville de Voronej, qui s’étire sur 800 km dans la direction NE-SW.
Assemblage de la Fennoscandie
Quant à la Fennoscandie, c’est un large espace de roches précambriennes comprenant la Péninsule de Kola, presque toute la Suède, la mer Baltique, la Carélie (une région à cheval entre la Finlande et la Russie), les Pays Baltes et des territoires de la Russie du nord-ouest. Toutes ces roches sont à l’affleurement au nord-ouest d’une ligne allant de l’extrémité méridionale de la Suède à la mer Blanche, en passant par le golfe de Finlande, les lacs Ladoga et Onega. On appelle ce territoire le bouclier fennoscandien. Au sud-est de cette ligne, en revanche, les roches précambriennes sont recouvertes par des sédiments phanérozoïques, ce qui rend leur étude beaucoup plus difficile. On entre dans la plate-forme russe, qui comprend aussi les Pays Baltes.
L’étude du bouclier Fennoscandian est cependant complexe. On peut y distinguer trois provinces. Celle de la péninsule de Kola comprend des roches magmatiques et des gneiss (roches métamorphiques) datés de 3,2 à 2,5 milliards d’années, ainsi que des roches supracrustales datées de 3,2 à 2,75 milliards d’années. Contrairement aux premières, les secondes se sont formées en surface et n’ont pas séjourné dans les profondeurs de la croûte. Elles sont archéennes, mais il y a aussi quelques roches supracrustales du Paléoprotérozoïque (de 2,5 à 1,6 milliard d’années), dont l’âge est supérieur à 1,96 milliard d’années. La province carélienne est plus grande que la Carélie, puisqu’elle s’étend jusqu’à l’actuelle frontière norvégienne. Outre les roches magmatiques et les gneiss de l’Archéen, elle comprend des roches supracrutales âgées de 2,5 à 1,96 milliard d’années, ainsi que le complexe de granitoïdes de la Laponie centrale daté de 1,85 à 1,75 milliard d’années, entouré de roches supracrustales paléoprotérozoïques de plus de 1,96 milliard d’années. Ces deux provinces sont séparées par la ceinture bélomorienne.
D’après l’équipe de Raimo Lahtinen, qui a publié son étude en 2005, les cratons de Kola et de Carélie sont d’anciens micro-continents qui se sont soudés l’un à l’autre durant l’Orosirien, donnant lieu à l’orogène Laponie-Kola. Une orogenèse est une surrection de montagnes. Elle se produit toujours lors de la collision de deux continents, les montagnes étant du type Alpes ou Himalaya. Le petit craton de Norrbotten est venu se joindre à l’ensemble, du côté de la future Laponie. Il s’est ensuite produit un amalgamation de micro-continents et d’arcs insulaires (alignements de volcans sous-marins ou émergés sur une zone de subduction) durant tout l’Orosirien, qui ont constitué le domaine svécofennien autour de la mer Baltique. Il comprend toute la Suède, sauf une partie occidentale. Celle-ci, de même que la Norvège, résulte de deux évènements beaucoup plus récents : l’orogenèse sveconorvégienne, de 1 100 à 920 millions d’années, et l’orogenèse calédonienne, de 510 à 400 millions d’années. Cette dernière a été causée par la collision de la Baltica-Avalonia et de la Laurentia, les côtes orientales du Groenland devenant voisines de la Norvège.
Assemblage du craton est-européen
La Volgo-Ouralie et la Sarmatie sont entrées en collision il y a un peu plus de 2 milliards d’années, grâce à la subduction de l’océan qui les séparait. La plaque océanique s’est enfoncée sous la Sarmatie. Le magmatisme lié à cette subduction a laissé des roches d’âges compris entre 2,10 et 2,05 milliards d’années sur le bord actuellement occidental du craton sarmate, en contact avec la marge passive de la Volgo-Ouralie. Lors de la collision, une chaîne de montagnes s’est élevée autour de la zone de suture, aujourd’hui complètement érodée. Il en reste des roches métamorphiques, des migmatites (roches métamorphisées et partiellement fondues) et des granites datés de 2,05 à 2,02 milliards d’années.
Ce nouveau continent, la Volgo-Sarmatie, s’est accolé environ 200 millions d’années plus tard à la Fennoscandie, qui était plus petite que maintenant puisqu’il lui manquait sa partie occidentale. Cet événement a dû se produire il y a entre 1,82 et 1,75 milliard d’années et marque la naissance du craton est-européen. Les racines de la chaîne de montagnes qui est née de cette collision existent toujours, mais elles sont enterrées sous les sédiments. Sur la carte géologique de Svetlana V. Bogdanova et ses collègues, elles sont appelées Central Russian Collisional Belt, soit Ceinture collisionnelle de Russie centrale. Les carottages ont ramené des roches cette zone. Elle a également été étudiée par les méthodes de la géophysique, dont la gravimétrie et la réflexion sismique. Celle-ci fait apparaître des surfaces qui réfléchissent les ondes sismiques, que les géophysiciens essayent d’interpréter. Il s’avère qu’un rift, c’est-à-dire une déchirure de la croûte continentale, s’est ouvert dans la ceinture collisionnelle de Russie centrale. Il s’agit d’un rift avorté, car il n’est pas devenu un océan. Ces structures, qui sont nombreuses dans le craton est-européen, ont été appelées des aulacogènes (du grec aulax « sillon ») par Nikolaï Chatsky en 1961. Leurs âges vont de 1 600 à 800 millions d’années et elles sont recouvertes par des sédiments phanérozoïques.
Cet aulacogène dit de Russie centrale se raccorde au sud-ouest à la dépression de Volyn-Ortcha. Celle-ci se termine à la frontière occidentale du craton est-européen, appelée la ligne Teisseyre-Tornquist, du nom des deux scientifiques qui ont reconnu son existence. Le géologue Wawrzyniec Teisseyre (1860-1939) était polonais d’origine française et le géologue et paléontologue Alexander Tornquist (1868-1944) était allemand. Cette ligne presque droite traverse le Danemark, la Pologne en passant au sud de Varsovie, l’ouest de l’Ukraine, l’est de la Roumanie et aboutit à la mer Noire. Quand le craton est-européen s’est assemblé, cette ligne était une côte, parce que les territoires de l’Europe centrale et occidentale n’existaient pas encore. Au-delà, il y avait un océan, même s’il est possible que l’Amazonie et l’Afrique de l’Ouest se trouvaient à proximité. L’Orosirien est en effet la période durant laquelle le premier véritable continent s’est assemblé : la Columbia, aussi appelée la Nuna. Les chaînes de montagnes qui se sont élevées lors de l’assemblage du craton est-européen n’étaient donc pas les seules. Au total, il y a eu plus de vingt orogenèses, qui correspondent à autant de collisions, d’où le nom donné à cette période.
Il n’existe pas de nom pour désigner les orogenèses qui ont engendré le craton est-européen. Les géologues estiment que la croûte continentale s’est déchirée le long des zones de suture. Les dépressions ou rifts de Volyn-Ortcha et de Russie centrale correspondent donc à la zone où la Fennoscandie et la Volgo-Ouralie sont entrées en collision. On les appelle aussi la ceinture transcratonique.
L’aulacogène de Russie centrale
Cette coupe géologique a été effectuée à l’ouest de la ville de Rybinsk et de son réservoir d’eau douce, qui est située à environ 260 km au nord de Moscou. Trois carottages ont été effectués, l’un au nord du village de Molokovo, deux autres plus au sud, notés R-1 et R-3. Ils complètent un profil sismique de direction nord-sud numéroté 029302. On voit un fossé d’effondrement, appelé un graben, dont la profondeur atteint 3 000 à 3 500 mètres. En raison d’un étirement de la croûte continentale, il a été rempli par des sédiments. Les plus anciens, qui se sont déposés en milieu lacustre, donnent son âge : le Riphéen supérieur R3 dans la terminologie russe. Il correspond à peu près au Néoprotérozoïque. Ce fossé a donc moins d’un milliard d’années. Au sud, se trouve un horst, qui est une zone moins effondrée. Des sédiments du Vendien (de 600 à 535 millions d’années), en partie volcano-sédimentaires, figurent à ce niveau. Ils sont surmontés de sédiments du Paléozoïque (de 541 à 252 Ma), qui recouvrent toute la région. Celle-ci est une synéclise : une vaste cuvette créée par un abaissement du socle cristallin, dans laquelle une épaisse couche de sédiments s’est déposée. L’aulacogène de Russie centrale paraît en être l’axe. Tous les systèmes du Paléozoïque sont présents : le Cambrien Cm, l’Ordovicien O, le Silurien S, le Dévonien D, le Carbonifère et le Permien C-P. La sédimentation s’est ensuite interrompue et n’a repris qu’au Quaternaire Q.
De manière générale, dans l’aulacogène de Russie centrale, les roches sédimentaires sont des arkoses. Elles sont composées de grains de quartz et de feldspath, principalement cimentés par des argiles. Ces sédiments sont détritiques : ils sont été produits par l’érosion. Ils sont d’abord gris, puis bigarrés, puis rouges. On peut imaginer qu’au début du Riphéen supérieur, il y a un peu moins d’un milliard d’années, de grands fossés se sont creusés et ont été remplis d’eau douce, un peu comme le lac Baïkal. L’altération relativement rapide des roches cristallines environnantes les a désagrégées, donnant un sable quartzo-feldspathique que les cours d’eau ont apporté dans ces lacs. La surface des continents était totalement nue car les plantes et les animaux n’existaient pas encore. Il y avait cependant des organismes microscopiques ou visibles à l’œil nu comme l’énigmatique Chuaria circularis, également trouvé dans le Grand Canyon du Colorado. Leurs fossiles sont présents dans l’aulacogène de Russie centrale, entre 3 200 et 2 500 mètres de profondeur. La Columbia s’était alors disloquée et un autre supercontinent s’était constitué : la Rodinia.
Les souvenirs de la collision entre la Fennoscandie et la Volgo-Sarmatie se trouvent dans le socle cristallin. La couche de roches située entre 3 185 et 3 313 mètres de profondeur, dans le graben de Molokovo, est un mélange tectonique. Autrement dit, un assemblage de roches différentes reflétant un événement tectonique. Entre 3 185 et 3 210 mètres, ces roches sont des mylonites. Contenant généralement des cristaux de quartz comme les granites, elles ont été broyées de manière ductile dans une zone de cisaillement (glissement d’un compartiment rocheux l’un contre l’autre). Plus en profondeur, entre 3 210 et 3 313 mètres, s’étend une couche de blastomylonites. Les roches ont été intensément déformées et désagrégées, comme les mylonites, mais elles ont également connu une recristallisation et l’apparition de nouveaux minéraux. On trouve aussi des migmatites, qui représentent un stade de transformation moins poussé de ces roches. Elles sont parfois emballées dans des blastomylonites. Grâce à des cristaux de zircon, les géologues ont pu déterminer qu’elles ont dans les 2,49 milliards d’années. C’est la collision entre la Fennoscandie et la Volga-Ouralie, il y a environ 1,8 milliard d’années, qui les a migmatisées et blastomylonitisées. Cela s’est effectué dans les profondeurs des montagnes, puis le soulèvement de la croûte continentale et l’érosion ont mis ces roches à l’affleurement. Bien plus tard, les fossés constituant l’aulacogène de Russie centrale se sont creusés et les sables quartzo-feldspathiques du Riphéen supérieur s’y sont accumulés.
****************************************************************************************
Lahtinen, R., Korja, A., Nironen, M., Paleoproterozoic tectonic evolution. In: Lehtinen, M., Nurmi, P.A., Rämö, O.T. (Eds.), Precambrian Geology of Finland – Key to the Evolution of the Fennoscandian Shield. Elsevier B.V., Amsterdam, pp. 481–532, 2005.
S.V. Bogdanova et al., The East European Craton (Baltica) before and during the assembly of Rodinia, Precambrian Research, Volume 160, Issues 1–2, 5 January 2008.
N.P. Chamov, Tectono-Depositional History of the Central Russian Aulacogen
and Moscow Syneclise, Lithology and Mineral Resources, Vol. 52, No. 6, pp. 498–518, 2017.
Leave a Reply
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.