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Des chenaux de rivières inversés sur Mars

Une ride sinueuse sur Elysium Planitia, au nord du cratère Gale. Image fournie le 31 janvier 2021. NASA/JPL/UArizona.

Pendant que les rovers explorent les paysages martiens et que Perseverance commence à chercher des traces de vie dans le cratère Jezero, les sondes en orbite autour de Mars continuent à fournir des images à haute résolution de sa surface. Mars Reconnaissance Orbiter est arrivé sur place en 2006 afin d’effectuer une cartographie. Elle est équipée du télescope HiRISE (High-Resolution Imaging Science Experiment) et du spectromètre CRISM (Compact Reconnaissance Imaging Spetrometer), qui opère dans les domaines de la lumière et de l’infrarouge proche et dont la résolution est de 30 centimètres par pixel. La caméra de contexte CTX a une résolution de 5 à 6,5 mètres par pixel.

Modèle d’élévation digital des chenaux inversés à l’est de Tempe Terra élaboré grâce aux instruments CTX et HiRISE. D’après Liu Zhenghao et al., 2021.

Mars aurait dû être glacée vers la fin du Noachien

Ces instruments ont permis de démontrer que de l’eau a coulé sur Mars durant la plus ancienne période géologique de Mars : le Noachien. Elle s’est terminée il y a entre 3,7 et 3,5 milliards d’années et a été suivie par l’Hespérien. Les terrains du Noachien ont la caractéristique remarquable de contenir des argiles. Ce sont des minéraux hydratés qui résultent de l’altération de roches par de l’eau liquide. On y voit également des réseaux de vallées, des cônes alluviaux et des deltas. Les réseaux de vallées s’étendent parfois sur des centaines de kilomètres et sont du type dendritique. Des pluies ou des chutes de neige sont probablement responsables de leur formation. Quand ils rencontrent des cratères d’impact, qui sont nombreux dans les terrains noachiens, ils les transforment en des lacs. C’est le cas du cratère Gale, exploré par le rover Curiosity à partir de 2012. L’écoulement de l’eau l’a érodé pendant une durée limitée. Elle a laissé des accumulations des pierres appelées des conglomérats. Le cratère Jezero, où s’est posé le rover Perseverance en 2021, était également un lac.

Pourtant, durant le Noachien, Mars n’était pas forcément une planète au climat chaud, permettant la présence permanente d’eau liquide, car le Soleil était moins lumineux que maintenant. Actuellement, sa constante solaire est de 589 W/m² : une surface d’un mètre carré exposée perpendiculairement aux rayons du Soleil reçoit 589 watts. C’est 0,431 fois la valeur de la constante solaire terrestre. Le dioxyde de carbone qui compose 96 % de l’atmosphère de Mars crée un effet de serre faible, qui réchauffe la planète de seulement 8 °C, parce que la pression atmosphérique au sol n’est qu’en moyenne de 610 pascals. La température moyenne de sa surface est de – 55 °C. On comprend que l’eau liquide ne puisse pas exister sur Mars. Il y a 3,8 milliards d’années, le Soleil rayonnait 0,75 fois la puissance actuelle. L’effet de serre devait réchauffer la planète de 65 °C pour y permettre l’existence d’eau liquide. La première hypothèse que l’on puisse formuler est que l’atmosphère était plus dense que maintenant et contenait donc plus de CO2, mais comme l’a montré Robin Wordsworth en 2016, ça ne fonctionne pas. La présence d’eau liquide sur Mars il y a plus de 3,5 milliards d’années n’est donc pas comprise.

Il est possible que ces rivières et ces lacs n’aient existé que de manière transitoire. On remarque que les lacs ouverts étaient plus nombreux que les lacs fermés, ce qui exclut que le climat ait été très humide. Dans le cratère Gale, l’eau a effectué peu d’altération chimique. Les observations qui ont été effectuées en orbite vont dans le même sens. L’eau qui a érodé les terrains de la fin du Noachien de l’Hespérien n’a pas dû couler très longtemps.

Des inversions de reliefs plutôt que des formations glaciaires

Une étude publiée dans la revue Earth and Planetary Science Letters sous la direction de Liu Zhenghao apporte de nouvelles données. Elle décrit des rides sinueuses à l’est de Tempe Terra, à la limite entre les hauts plateaux méridionaux et les basses plaines de l’hémisphère Nord. Les secondes sont relativement récentes car peu cratérisées. La différence entre les terrains est appelée la dichotomie crustale. Ces rides sont fréquentes à la limite entre les plateaux et les plaines et certaines ont été interprétées comme des eskers. De telles formations sont observées sur Terre. Ce terme est d’origine irlandaise. Il s’agit de rides pouvant atteindre plusieurs dizaines de kilomètres de long, constituées de sables et de graviers. Elles remplissaient autrefois des tunnels sous-glaciaires, là où des calottes glaciaires existaient.

Coupes géologique des deux rides selon les segments [CC’] et [DD’] indiqués sur la première figure. Les roches de couverture déposées dans les chenaux sont en jaune. Les minéraux hydratés sous en bleu foncés.

Une autre interprétation a été proposée en 2013 par l’équipe de Roman A. DiBiase : ces rides pourraient aussi être d’anciens chenaux de rivières inversés. Elle seraient ainsi d’origine fluviale et non glaciaire. Sur Terre, les inversions de reliefs existent, mais pas grâce à des cours d’eau. Le plateau de Gergovie, dans la plaine de la Limagne, en fournit un exemple. De la lave basaltique a coulé au fond d’une vallée composée de roches sédimentaires. Par la suite, l’érosion a retiré ces roches, mais le basalte est resté parce qu’il est plus résistant. Sur Mars, la région étudiée était Aeolis Dorsa, à l’est du cratère Gale, lequel est à cheval entre les hauts plateaux et les basses plaines. Dans cette région, de l’eau s’écoulait des plateaux vers les plaines, qui étaient peut-être recouvertes d’un océan.

La région étudiée par l’équipe de Liu Zhenghao se trouve également à la limite de la dichotomie. Deux rides sinueuses parallèles ont 30 à 35 km de long et de 50 à 60 m de haut. Le comptage des cratères leur a donné un âge d’environ 3,6 milliards d’années. Juste à côté, on voit un plateau circulaire qui est manifestement un cratère inversé. Cela rend probable que les rides soient elles aussi des reliefs inversés. Le spectromètre CRISM est venu appuyer cette hypothèse, en montrant la présence de minéraux hydratés sur les deux pentes de la ride méridionale. Ils absorbent les infrarouges dans les longueurs d’onde 1,4 µm, 1,9µm et 2,3 µm, à cause de la présence de molécules d’eau ou d’ions hydroxyle. Ce sont probablement des smectites. Ce terme désigne une catégorie d’argiles, dont la saponite et la nontronite sont des exemples. Ainsi, de l’eau liquide a bel et bien exercé une altération chimique.

Formation probable des rides. Des rivières ont laissé des rubans de sédiments (en jaune) dans une couche de minéraux hydratés (en bleu sombre). L’érosion a retiré ces sédiments, sauf sous les rubans, qui sont devenus les couvertures des rides.

Les argiles sont présentes en dehors des rides. Les chercheurs ont alors supposé qu’elles ont été déposées sur la plaine par des inondations. Puisqu’elles ne se trouvent pas en amont, il est probable qu’elles se soient formées sur place comme celles du cratère Gale. Il se peut que la plaine ait été recouverte par des sédiments d’origine éolienne et qu’en coulant dessus, les rivières les aient retravaillés. Ce devait être des rivières à méandres. Dans leurs chenaux, elles laissaient des sédiments durs, puis elles changeaient de cours. Au fil du temps, ces sédiments sont devenus des rubans emballés dans une épaisse couche d’argiles recouvrant la plaine. L’érosion l’a ensuite retirée, mais deux rubans parallèles ont subsisté. Ils constituent les couvertures des rides. Sous celle de la ride méridionale, des argiles sont restées. Comme la ride septentrionales est moins élevée, il n’y a pas d’argiles sous les roches de couverture.

Cette sédimentation a pris du temps, mais comme on ignore encore presque tout de la géologie de Mars, il est délicat de faire des estimations. L’activité fluviale s’est peut-être prolongée pendant des dizaines de milliers d’années. Si Mars était vraiment une planète glacée à la fin du Noachien, cela suppose que des épisodes de réchauffement se soient produits, grâce à du volcanisme, des impacts de météorites ou des variations de l’obliquité (l’inclinaison de son axe de rotation).

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Liu Zhenghao et al., Inverted channel belts and floodplain clays to the East of Tempe Terra, Mars: Implications for persistent fluvial activity on early Mars, Earth and Planetary Science Letters 562, 15 May 2021.

https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0012821X21001138

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