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Le forage profond de Kola

Le forage le plus profond qui ait effectué est l’œuvre des Soviétiques. Ils l’ont commencé en 1970 et l’ont arrêté en 1989. Le lieu choisi a été la péninsule de Kola, à quelques kilomètres de la Norvège et à 250 km au nord du Cercle polaire. C’est le cœur du bouclier fenno-scandinave, une zone stable de la croûte continentale constituée de roches remontant jusqu’à l’Archéen, il y a plus de 2,5 milliards d’années. En général, cette croûte est constituée d’une partie supérieure de 10 à 15 km d’épaisseur. Sous les roches sédimentaires, quand il y en a, on rencontre des granites et des gneiss de densité 2,7. Ces dernières sont des roches métamorphiques, transformées sous l’effet de la température et de la pression. Toutes sont composées de cristaux visibles à l’œil nu, c’est pourquoi elles sont qualifiées de roches cristallines. Il n’est pas obligatoire de faire des forages pour savoir de quoi est constituée la croûte supérieure, car des surrections de montagnes l’ont mise à jour en de nombreux endroits. Dessous, il y a une croûte inférieure dont les géophysiciens ont tenté de déterminer la nature en étudiant la propagation des ondes sismiques. La densité des roches, qui varie de 2,8 à 2,9, est celle du basalte. On a donc pensé que la croûte inférieure était basaltique. Elle apparaît en de rares endroits, mais ce n’est pas suffisant pour établir une généralité. Or le forage de Kola, aussi appelé SG-3, n’a pas rencontré de croûte basaltique. Il s’est arrêté à 12 226 mètres de profondeur. À cet endroit, l’épaisseur de la croûte continentale (supérieure et inférieure) est estimée à 35 000 mètres.

Géologie de la zone explorée

De manière plus précise, le forage a été fait sur une vaste structure géologique appelée la ceinture de roches vertes de Pechenga-Varzuga. Une telle ceinture est un ensemble de roches qui se sont constituées à la surface de la Terre, très anciennes et métamorphisées. Celle de Pechenga-Varzuga s’étend sur 1 200 km de long, parallèlement à la mer de Barents. Elle correspond à la suture entre deux terranes, c’est-à-dire deux morceaux de continents : celui de Sørvaranger-Murmansk au nord et celui d’Inari au sud. Dans le groupe de Pechenga, on voit une succession de roches volcaniques (basalte, andésite) et sédimentaires (grès, conglomérat) dont les âges vont de 2,33 à 1,97 milliards d’années. Il y a des basaltes en coussins : d’anciennes laves qui se sont épanchées sur un plancher océanique. On sait donc qu’un océan s’est fermé à cet endroit. Les grès et les conglomérats sont d’anciens sables et galets soudés. Ces formations sédimentaires se sont empilées sur 12 km d’épaisseur et ont toutes subi un métamorphisme. Il n’est pas nécessaire de les forer pour en prélever des échantillons, car elles ont été inclinées et érodées. C’est une situation fréquente. On peut préciser que dès cette époque très reculée, la vie foisonnait dans les océans et que des « blacks shales » ont été trouvés en haut de cette pile sédimentaire. Ce sont des argiles imprégnées de matière organique qui a pu se transformer en pétrole. À cette époque, un champ pétrolifère géant s’est constitué pas très loin de là, à l’ouest du lac Onega.

Pechenga est le nom d’un fleuve et d’une ville situés à l’extrémité occidentale de cette ceinture. La zone est connue pour son minerai de nickel. C’est là que le forage a été effectué. Sans surprise, jusqu’à 6 842 mètres, les roches rencontrées ont été celles du groupe de Pechenga. À 4 673 mètres, il y avait une importante faille. Elle sépare les formations de Zapolyarny et de Luchlompolo (du basalte métamorphisé). La formation la plus profonde était celle de Televi, avec du grès métamorphisé. Dessous, jusqu’à la profondeur maximale atteinte, se trouvaient les roches du socle cristallin archéen. C’était du gneiss avec quelques corps d’amphibolite et de roches ultrabasiques (comme les péridotites du manteau). Les gneiss sont toujours des roches qui ont été métamorphisées, mais on n’arrive parfois pas à deviner lesquelles. Cela peut être des granites, par exemple. Ces gneiss étaient composés de biotite et de plagioclase (un mica noir et un feldspath blanc). Ils contenaient parfois aussi des amphiboles, qui sont des minéraux sombres. Les autres minéraux étaient l’andalousite, le grenat et la staurodite. L’âge de ces roches a été estimé à 2,9 milliards d’années.

L’eau des profondeurs

Il est bien connu que certaines réactions métamorphiques libèrent de l’eau. Le forage de Kola en a donné une illustration spectaculaire. À partir de la faille de Luchlompolo, les roches ont toutes subi une microfracturation durant leur métamorphisme, ce qui permet à une eau fortement chargée en minéraux dissous de circuler. Quand les conditions sont favorables, cette eau permet la formation de gisements de minéraux : elle monte et les minéraux dissous précipitent en certains endroits, où ils se concentrent. Mais dans le groupe de Pechenga, l’eau ne peut pas monter à cause d’une couche de roches volcaniques imperméables de deux kilomètres d’épaisseur. Ces mêmes réactions métamorphiques ont libéré des gaz : de l’hélium, de l’hydrogène, de l’azote, du méthane et d’autres hydrocarbures, ainsi que du dioxyde de carbone. L’analyse isotopique de ce dernier gaz a démontré qu’il provient en partie de la matière organique contenue dans les roches sédimentaires. Attention cependant, ces réactions métamorphiques n’ont pas été provoquées par l’enfouissement des roches. Il fait chaud dans le puits de forage, avec 180 °C à 10 000 mètres, et la pression y est élevée, avec 2,7 tonnes par centimètre carré à la même profondeur. Mais ce n’est pas suffisant pour transformer une roche. Ce métamorphisme a été provoqué par une ancienne orogenèse (formation de montagnes). Elle a été datée entre 1,9 et 1,7 milliard d’années.

K.V. Lobanov et al., Correlation of Archean Rocks from the Kola Superdeep Borehole and Their Analogues from the Surface: Evidence from Structural–Petrological, Petrophysical, and Neutron Diffraction Data, Petrology, Vol. 10, No. 1, 2002, pp. 23–38. Translated from Petrologiya, Vol. 10, No. 1, 2002, pp. 30–45.

En 2001, les géologues ont démontré que les roches archéennes trouvées à plus de 6 842 mètres existent également en surface, au nord-est du site. Je mets la coupe géologique qu’ils ont déterminée. Les lettres SP et NP désignent respectivement les parties sud et nord du groupe de Pechenga. Le puits de forage (numéro 12) se trouve dans sa partie nord. On voit qu’il traverse des couches géologiques inclinées vers le sud-ouest. La grande ligne crénelée L représente la faille de Luchlompolo. Des intrusions de laves basiques (comme les basaltes) et ultrabasiques porteuses de nickel ont été indiquées en noir avec le numéro 5. Le forage les a rencontrées. Les roches archéennes portent le numéro 9.

Pourquoi ce forage ?

Toute la question est de savoir comment on arrive à connaître la structure de la croûte jusqu’à 15 km de profondeur sans faire partout des forages. Pour cela, on utilise toutes les données recueillies en surface ainsi que les données sismiques. Mais comme l’a montré le forage SG-3, il reste de l’incertitude. Voilà pourquoi il a fallu faire une analyse extrêmement poussée des roches cristallines récoltées dans le puits et en surface pour démontrer qu’elles sont bien apparentées.

Alors finalement, on a creusé un puits de plus de 12 km de profondeur pour trouver des roches qui traînent par terre, à une dizaine de kilomètres de là ? D’une certaine manière, oui, mais le forage avait tout de même un intérêt évident. Il a permis de voir la croûte continentale « vivante », de prendre sa température, de savoir quels effets la pression exerce sur elles (les roches montées du puits ont été décompactées, si bien que leur porosité et leur perméabilité ont augmenté), de connaître les fluides et les gaz qui circulent dedans. Les roches archéennes que la tectonique a poussées vers la surface sont « mortes ». Le forage a également permis de mieux comprendre la propagation des ondes sismiques dans les profondeurs de la croûte.

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