La plus grave extinction de masse que la Terre a connue au cours du dernier demi-milliard d’années a vu la disparition de plus de 81 % des espèces marines et des espèces terrestres, y compris d’insectes. Elle s’est produite il y a environ 252 millions d’années et marque le passage du Permien au Trias. Au même moment, des éruptions volcaniques ont laissé de volumineuses couches de cendres et de basalte dans ce qui est aujourd’hui la Sibérie : ce sont les trapps de Sibérie. La plupart des scientifiques les considèrent comme la cause de l’extinction. Ces soupçons ont été appuyés par la découverte de mercure très probablement d’origine volcanique dans des sédiments datant de la crise biologique. Il y a au moins une correspondance temporelle entre les deux évènements, mais il faut pouvoir expliquer comment les éruptions ont perturbé la biosphère. On pense que le dioxyde de carbone émis par les volcans aurait accru l’effet de serre radiatif et provoqué des changements climatiques de grande ampleur.
Avec ses 4 millions de kilomètres carrés d’affleurements de basalte, les trapps de Sibérie témoignent sans conteste de l’un des plus grands épisodes volcaniques de l’histoire de la Terre, mais d’autres éruptions se sont déroulées à la même époque et un problème de chronologie se pose. Selon certaines études, les éruptions sibériennes auraient commencé 300 000 ans avant l’extinction et auraient persisté 500 000 ans après, la principale phase de l’extinction s’étant déroulée dans un intervalle de temps de 61 ± 48 milliers d’années. Il est difficile d’être plus précis alors qu’il le faudrait. Les datations utilisées par les premières études avaient une précision de 1 %, qui correspond à un incertitude de 2 à 3 Ma (millions d’années). Depuis, les techniques de datation ont été améliorées, atteignent une précision de 0,1 %.
Dès 2014, des scientifiques chinois, sous la direction de He Bin, ont suggéré que la phase principale de l’extinction, alors datée à 252 ± 0,08 Ma, coïncide plutôt avec des éruptions volcaniques attestées en Chine du Sud. Alors que les trapps de Sibérie sont basaltiques, les cendres volcaniques chinoises sont felsiques, c’est-à-dire qu’elles sont riches en feldspaths et en silice. L’abondance de silice les rend très visqueuses, si bien que les éruptions sont explosives. Les plus puissantes émettent des coulées pyroclastiques qui deviennent des ignimbrites après leur dépôt. Ce sont des roches moins facilement érodées que les cendres ordinaires, qui se conservent donc mieux. Des éruptions aussi puissantes n’ont pas été observées au cours du XXe siècle et sont capables de créer des « hivers volcaniques ». Le supervolcan de Toba, qui a explosé il y a 74 000 ans, aurait même causé une brève glaciation et failli éliminer l’humanité.
Le territoire actuel de la Chine n’existait pas encore. Il est constitué de deux cratons (des continents très anciens), ceux de Chine du Nord et de Chine du Sud, ainsi que du bloc du Tarim. Leur assemblage ne s’est terminé que durant le Mésozoïque (de 252 à 66 Ma), grâce à la fermeture des océans qui les séparaient. Cela s’est fait par subduction des plaques océaniques : elles se sont lentement enfoncées dans le manteau supérieur de la Terre. À quelques dizaines de kilomètres de profondeur, elles se déshydratent en provoquant la fusion partielle de roches du manteau. Il en résulte la formation d’un arc de volcans situés sur la plaque chevauchante (celle sous laquelle la plaque océanique s’enfonce). Comme les laves qui arrivent près de la surface sont assez riches en silice, ces volcans sont explosifs. La subduction de la plaque australienne sous l’Indonésie explique la dernière éruption du supervolcan de Toba, comme toutes celles qui se produisent dans cette région. L’explosion du Tambora le 10 avril 1815 projeta une colonne plinienne jusqu’à 45 km d’altitude et priva l’Europe d’été en 1816 et 1817. Plus de 100 000 personnes furent tuées directement par cette éruption en Asie du Sud-Est, en partie par les 18 millions de tonnes de fluor émises par le volcan.
L’assemblage de la Chine a dû engendrer de telles catastrophes. He Bin pensait à la fermeture de l’océan Paléotéthys, qui séparait la Laurussia (comprenant l’Amérique du Nord et une partie de l’Europe) du Gondwana, en particulier les deux cratons de Chine du Nord et du Sud. Des couches de cendres volcaniques datées de la transition Permien-Trias sont omniprésentes en Chine du Sud. On en trouve sur le site de Meishan, dans la province du Zhejiang à l’est de la Chine, qui a servi à définir la base du Trias. Les strates comprennent du calcaire, mais également des cendres. Les couches de cendres deviennent plus nombreuses et épaisses quand on se dirige vers l’ouest, c’est-à-dire vers le Tibet. Cette constatation a poussé He Bin à conclure qu’un arc volcanique était situé dans les actuels monts Kunlun, qui servent actuellement de frontière entre le bassin du Tarim et le plateau tibétain. À la fin du Permien, ce plateau n’était pas encore présent et la chaîne des Kunlun plongeait directement dans les eaux de la Paléotéthys. Le plancher de cet océan était en subduction vers le nord, sous les Kunlun.
Cette théorie vient d’être reprise par une équipe de scientifiques chinois et américains, sous la direction de Zhang Hua, de l’Académie chinoise des Sciences à Nanjing. Ils ont analysé trois couches de cendres volcaniques dans la province du Yunnan, à proximité du Vietnam, et une dans la province du Sichuan, à l’est du Tibet. Elles ont été déposées dans un environnement côtier appartenant au micro-continent de Chine du Sud. Un réseau de rivières en tresses apportait des sédiments dans des marécages et des lacs peu profonds. Plus loin, derrière un chapelet d’îles, s’étendait un lagon saumâtre. La présence d’arbres du genre Gigantopteris (des ptéridospermales ou « fougères à graines »), montrait que climat était chaud et humide. Il y avait aussi des Equisetales (l’ordre des prêles), des Noeggerathiales et des Lepidodendrales.
Juste à la limite entre le Permien et le Trias, des cendres volcaniques ont recouvert la région. La formation Kayitou, qui a enregistré la crise, contient une couche de 80 cm à 6,65 m de sable volcanogénique où figurent des zones riches en cuivre et en charbon. Ce dernier provient de la combustion de plantes vivantes, mais il n’est pas possible de les identifier. Comme en Australie, des incendies de forêts ont dû se produire. Les conséquences ont été graves pour tout l’écosystème, car le sol dénudé a été exposé à l’érosion sous des pluies abondantes. Les Gigantopteris ont quasiment disparu. Des nouvelles plantes, dont Annalepis (un Lycophyte du Trias apparenté aux isoètes) et Peltaspermum sp. se sont installés.
Toutes les couches de cendres volcaniques analysées ont été fortement enrichies en cuivre. Des minéraux secondaires se sont formés au cours du temps, comme la malachite (un carbonate hydraté de cuivre de couleur verte) et la chalcocite (du sulfure de cuivre Cu2S). Les isotopes légers du cuivre y sont abondants. On trouve des inclusions de verre riches en cuivre et en sulfures, dont la composition chimique reflète celle d’un magma. Un pic de concentration en mercure est également observé. Tout ceci montre qu’une partie du cuivre provient du magma felsique éjecté par cette super-éruption. Zhang Hua et ses collaborateurs ont fourni des estimations : au moins 1,9 milliard de tonnes de cuivre auraient été émises. Pour eux, le volume du magma aurait été, grossièrement, de 10 000 à 20 000 kilomètres cubes. C’est largement plus que le supervolcan de Toba. Ils en ont déduit que des milliards de tonnes de dioxyde de soufre SO2 ont été injectées dans l’atmosphère, or ce gaz engendre très vite des aérosols qui absorbent la lumière du Soleil. La théorie d’un hiver volcanique revient donc avec de solides arguments.
Le refroidissement global aurait été supérieur à 4 °C. Cela correspond à une observation effectuée de longue date : le niveau de mers a baissé durant la crise, avant de remonter rapidement, avec des conséquences catastrophiques sur les animaux vivant à faible profondeur. Un réchauffement de grande ampleur aurait suivi ce refroidissement, aggravant la crise biologique.
Cette nouvelle étude n’a pas encore résolu le problème de l’extinction de masse de la fin du Permien. Des découvertes continueront à être présentées, mais l’idée d’un hiver volcanique mérite d’être retenue.
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Bin He et al., Triggers of Permo-Triassic boundary mass extinction in South China:
The Siberian Traps or Paleo-Tethys ignimbrite flare-up?, Lithos 204, 258–267, 2014.
Hua Zhang et al., Felsic volcanism as a factor driving the end-Permian
mass extinction, Science Advances, 17 November 2021.
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