Histoire de la Terre et de la vie - Actualités géologiques

Actualité

Crises biologiques et activité volcanique à la fin du Permien

Représentation de la crise Permien-Trias. @ PaleoFactory / Université La Sapienza de Rome.

La plus grave crise que la vie a connue depuis le début du Cambrien s’est produite à la fin du Permien il y a environ 252 millions d’années. À présent, il est unanimement admis qu’elle a été provoquée par les trapps de Sibérie, de grandes éruptions volcaniques qui ont eu lieu au nord de ce qui était la Pangée. Elles y ont laissé de grandes coulées de laves, mais aussi des dépôts de coulées pyroclastiques. La vie dans les mers a été considérablement affectée. Des animaux emblématiques du Paléozoïque, comme les trilobites et les coraux rugueux et tabulés, ont disparu. Les brachiopodes, des animaux à coquilles semblables aux bivalves mais constituant un embranchement à part, ont beaucoup régressé. Sur Terre, mêmes les insectes ont été affectés, mais des scientifiques ont remis en cause l’existence d’une extinction de masse parmi les végétaux.

Les trapps de Sibérie n’ont pas été les seuls phénomènes volcaniques de grande ampleur de la fin du Permien. Les trapps d’Emeishan (le mont Emei), dans l’actuelle Chine du Sud, ont également perturbé le système climatique de cette époque. Les coulées basaltiques recouvrent une surface de 250 000 km² sur un à deux kilomètres d’épaisseur. De plus en plus, il apparaît que les phénomènes volcaniques de grande ampleur – formation de trapps sur les continents et de plateaux océaniques – sont des causes d’extinction. La crise de la fin du Crétacé est à part, car la chute d’un astéroïde de grande dimension et ses effets sont prouvés, même si des éruptions volcaniques se sont produites et ont édifié les trapps du Deccan.

Du volcanisme en Chine du Sud puis en Sibérie

Le Permien est divisé en trois séries : le Cisuralien, le Guadalupien (de 272,9 à 259,1 Ma) et le Lopingien (de 259,1 à 251,90 Ma). Ces âges sont généralement donnés avec une incertitude de ± 0,5 Ma. Le Guadalupien, nommé d’après les Guadalupe Mountains au Texas, comporte deux coupures à 268,8 et à 265,1 Ma. Elles le divisent en trois étages, que sont le Roadien, le Wordien et le Capitanien, C’est à la fin du Capitanien, vers 262 Ma, que les trapps d’Emeishan commencent à s’édifier. Des ignimbrites ont permis de dater la fin de ces éruptions à 259,1 Ma, ce qui correspond à la limite Guadalupien-Lopingien.

Paléographie du Changhsinien. Le supercontinent Pangée s’est formé mais le bloc de Chine du Sud SCB reste à part. L’océan Paléo-Téthys se ferme tandis que la Néo-Téthys s’ouvre. La Pangée est entourée par l’océan Panthalassa. Selon Wang Wenqian et al., 2020.

En 2020, des scientifiques travaillant en Chine, sous la direction de Wang Wenqian, ont déterminé l’évolution des températures des eaux superficielles jusqu’à la fin du Permien en utilisant des fossiles de brachiopodes. Les isotopes de l’oxygène des cristaux de calcite de leurs coquilles fournissent des indications sur les températures des mers. Elles ont augmenté à la fin du Capitanien et sont restées élevées au tout début du Lopingien. Une extinction des coraux rugueux s’est produite à ce moment, parce qu’ils étaient les animaux benthiques les plus sensibles aux températures. Les fusulines (des foraminifères géants) et les bivalves, plus résistants, ont périclité plus tard. Cette extinction est dite de la fin du Guadalupien, parfois de la limite Guadalupien-Lopingien.

Voir Comment évaluer les températures des temps géologiques

Fusuline du genre Triticites du Permien de l’Iowa. C’était un foraminifère (un protozoaire) géant. Mark A. Wilson. domaine public.

Le premier étage du Lopingien, le Wuchiapingien, va de 259,1 à 254,14 Ma (soit un laps de temps de 5 millions d’années), la fin étant définie avec une meilleure précision que le début. Elle correspond dans les anciennes mers de Chine du Sud à une période froide, probablement due à l’altération des basaltes des trapps d’Emeishan. Ce processus est un puits de CO2 atmosphérique, alors que les éruptions volcaniques en sont une source. Le refroidissement s’est poursuivi jusqu’à la fin du Wuchiapingien. Le deuxième étage du Lopingien, le Changhsingien, va de 254,14 à 251,90 Ma. D’une durée d’environ 2,2 millions d’années, il est marqué par un réchauffement, enregistré par les brachiopodes, qui coïncide avec les premières éruptions pyroclastiques en Sibérie. Il est plus court mais plus ample que celui de la fin du Capitanien. Les plus hautes valeurs sont atteintes il y a 251,90 Ma, à la limite Permien-Trias, ce qui coïncide avec l’extinction de masse. Elle a été datée entre 251,94 et 251,88 Ma. Elle aurait donc duré dans les soixante mille ans, en tout cas moins de cent mille ans.

Émission de carbone organique dans l’atmosphère, hausse des températures et acidification des eaux superficielles

Selon S.D. Burgess, J.D. Muirhead et S.A. Bowring, qui expliquent l’extinction marine par du magmatisme profond, la première phase des éruptions s’est déroulée avant 252,24 Ma, soit 340 000 ans avant la limite Permien-Trias, avec des coulées pyroclastiques suivies d’effusions de lave. Les deux tiers des trapps se sont alors constituées. La deuxième phase a eu lieu entre 251,91 et 251,43 Ma, à peu près durant cinquante mille ans. Ne pouvant plus gagner la surface, le magma s’est propagé dans des sills (des intrusions parallèles aux strates), où se trouvaient des strates d’évaporites et de carbonates du bassin sédimentaire de la Toungouska qu’il a métamorphisée. Il en a résulté une forte émission de gaz à effet de serre, dont du méthane et du dioxyde de carbone. Cette phase appartient au tout premier étage du Trias, l’Indusien, qui dure seulement 700 000 ans. Sa fin est située à 251,2 Ma. Durant une troisième phase, jusqu’il y a 251,35 Ma, le magma a continué à se propager dans des sills mais il a de nouveau atteint la surface, provoquant de nouvelles éruptions volcaniques. À cela, il faut ajouter que le bassin de la Toungouska comporte aussi beaucoup de matière organique, dont des hydrocarbures et du charbon. On a pu démontrer que du charbon a été brûlé lors des éruptions.

Une étude publiée en 2020 dans Nature Geoscience, sous la direction de Hana Jurikova, est basée comme celle de Wang Wenqian sur des coquilles de brachiopodes. Sa nouveauté repose sur l’utilisation des isotopes du bore. Ils donnent une indication sur le pH de l’eau dans laquelle ces animaux ont vécu, ce qui permet d’estimer la concentration en CO2 atmosphérique : plus elle est élevée et plus le pH de l’eau de mer est bas. On dit qu’une hausse de la concentration provoque une acidification des océans superficiels, ce qui ne signifie pas qu’elles deviennent acides. Depuis de l’ère industrielle jusqu’en 2004, le pH des eaux superficielles est passé de 8,25 à 8,14 : il a diminué mais les eaux sont restées basiques. Les fossiles de brachiopodes utilisés proviennent des Alpes italiennes. Ces animaux ont vécu sur un plateau continental de l’ancien océan Téthys. Pour comparaison, les chercheurs également pris quelques fossiles de brachiopodes de Chine du Sud. Ils ont aussi mesuré les isotopes de l’oxygène et du carbone.

Des fossiles de brachiopodes du genre Comelicania, comme ceux utilisés par Hana Jurikova.

Il est apparu que la crise Permien-Trias est liée dans les mers à une diminution du rapport 13C/12C entre les concentrations en carbone 13 et en carbone 12, les deux isotopes stables du carbone. Les géochimistes ont l’habitude d’appeler ce genre d’évènement une excursion isotopique. Du carbone léger (pauvre en carbone 13) a donc été massivement injecté dans l’atmosphère. En même temps, les isotopes du bore indiquent que le pH des eaux superficielles est passé de 8 à 7,5 pendant environ 20 000 ans, et les isotopes de l’oxygène montrent que leur température a beaucoup augmenté.

Le déroulement de la crise Permien-Trias

D’après l’ensemble des données disponibles, avant l’excursion isotopique, environ 9 600 Gt (gigatonnes) de carbone ont été injectées sous forme de CO2 dans l’atmosphère durant une période de 35 000 ans. Le taux d’émission moyen était par conséquent de 0,27 Gt de carbone par an. Cela correspond à la première phase définie par Burgess, Muirhead et Bowring. La composition isotopique du CO2 émis montre qu’il provenait du manteau terrestre. Au début de l’excursion isotopique, le taux d’émission est passé à 0,70 GtC/an, soit dix fois le taux d’émission de CO2 par tous les volcans actuels – mais le dixième des émissions actuelles dues à la l’utilisation des combustibles fossiles. Il s’est maintenu à cette valeur durant une période de 44 000 ans avant de décroître. Ces fortes émissions de CO2 sont dues à la combustion de la matière organique et correspondent à la deuxième phase. Elle est située juste avant la limite Permien-Trias. La matière organique a la particularité d’avoir un faible rapport 13C/12C, car elle doit son existence à la photosynthèse, qui sélectionne le carbone 12 aux dépens du carbone 13. C’est pourquoi le CO2 émis avait un carbone allégé.

Carte des trapps de Sibérie selon Andy Saunders & Marc Reichow, 2009. Les affleurements de basalte et de tuf volcanique sont en vert. Les sills (intrusions) sont indiqués en vert clair. A l’ouest du craton sibérien, du basalte est recouvert par les sédiments.

Au bout de 44 000 ans, la quantité de carbone allégé émise dans l’atmosphère a atteint les 48 000 Gt. C’est beaucoup, sachant qu’au début de l’ère industrielle, il y avait 589 Gt de carbone. Mais bien entendu, toute cette quantité ne s’est pas accumulée dans l’atmosphère. Au fur et à mesure de son émission, le dioxyde de carbone s’est dissous dans l’océan superficiel, puis le carbone a été transféré dans les profondeurs grâce à l’activité biologique. L’altération des roches silicatées (granites et basalte) et du calcaire, consommatrice de CO2, a agi durant toute la formation des trapps de Sibérie. Elle a été amplifiée par l’élévation de la concentration en CO2 atmosphérique.

La concentration en CO2 durant le Permien supérieur devait être comprise entre 500 et 800 ppm – contre 280 ppm avant l’ère industrielle. À partir de l’excursion isotopique et le déclenchement de l’extinction marine, elle a grimpé jusqu’à un maximum de 4 400 ppm. La baisse du taux d’émission de CO2 l’a ensuite fait chuter. Selon une autre estimation citée dans une étude consacrée aux conséquences terrestres de la crise, son maximum était d’environ 3 500 ppm, Les forêts australiennes ont été dévastées par des incendies, bien avant le début de l’extinction marine. L’acidification et les températures de l’océan superficiel ont atteint leur niveau le plus élevé à la fin de cette période de forte émission de CO2. Ces pics correspondent à la limite Permien-Trias. Dans la Téthys, la température initiale était de 22 °C. Elle était à 24 °C au début de l’excursion isotopique et elle est montée jusqu’à 31 °C avant de décroître. Au début du Trias, les volcans de Sibérie ont continué à émettre du CO2 provenant de la combustion de matière organique, mais moins que durant le paroxysme de la crise. La concentration en CO2 atmosphérique est restée au niveau assez élevé de 1 500 ppm.

Rochers de basalte en Sibérie, vestiges des éruptions volcaniques de la limite Permien-Trias.

Après le début de l’excursion isotopique, l’acidification des eaux superficielles et leur réchauffement ont décimé les constructeurs de récifs, qui étaient probablement plus sensibles que les coraux modernes à ce genre de perturbation. Au début du Trias, les eaux profondes sont devenues anoxiques. Elles le sont restées jusqu’à la fin de la crise, 500 000 ans après l’excursion isotopique. Une brève période d’euxinie a également pu se produire comme c’est actuellement le cas dans la Mer Noire, dont les eaux profondes sont anoxiques et empoisonnées par du sulfure d’hydrogène. Les eaux superficielles n’ont subi qu’une légère anoxie au plus fort de la crise. Cependant, les plateaux continentaux de la Téthys et les zones d’upwelling (de remontée d’eaux profondes) de l’océan Panthalassa ont pu être empoisonnées par du sulfure d’hydrogène, à cause de la faible teneur en oxygène des eaux profondes ascendantes et de leur teneur élevée en nutriments. Avec un manque de disponibilité des nitrates, cette situation a conduit à un anéantissement des espèces vivant fixées sur le plancher marin, nombreuses durant le Paléozoïque. Les animaux marins ne pouvaient plus vivre qu’à la surface des eaux.

Jusque 500 000 ans après le début de l’excursion isotopique, 96 000 Gt de carbone allégé ont été émises dans l’atmosphère. Avec le carbone originaire du manteau terrestre, émis durant la première phase des éruptions, le total est de 105 600 Gt. Cela représente trois fois plus que le total des émissions de CO2 durant la crise Cénomanien-Turonien il y a 94 millions d’années. Celle-ci est très loin d’avoir eu des conséquences aussi dévastatrices, malgré une anoxie avérée des océans. On peut également effectuer une comparaison avec le maximum thermique Paléocène-Éocène il y a 56 millions d’années, durant lequel 12 200 Gt de carbone ont été émises dans l’atmosphère. C’est la province magmatique d’Atlantique du Nord qui en serait responsable. La limite Paléocène-Éocène n’est pas connue pour correspondre à une extinction de masse.

Des chiffres donnés ici, il faut surtout retenir leurs ordres de grandeur. Ainsi, la durée de la crise marine a été évaluée soit à 65 000 ans, mais avec une marge d’erreur importante, soit à 50 000 ans, soit à 44 000 ans. On peut retenir une durée de quelques dizaines de milliers d’années. De toute façon, cet événement n’a pas eu de limites précises. Les calculs des variations du pH à partir des isotopes du bore nécessitent une modélisation des océans, selon une méthode habituelle en géochimie. Les océans ont été divisés en six boîtes (des réservoirs en langage plus commun) considérées comme homogènes : la Panthalassa et la Téthys, elles-mêmes constituées d’eaux de surface jusqu’à 100 m de profondeur, d’eaux intermédiaires de 100 m à 1 300 m et d’eaux profondes de 1 300 m jusqu’au plancher océanique. On considère les transferts de matière entre ces boîtes.

***************************************************************************************

Wang Wenqian et al., A high-resolution Middle to Late Permian paleotemperature curve reconstructed using oxygen isotopes of well-preserved brachiopod shells, Earth and Planetary Science Letters 540, 15 June 2020.

https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0012821X20301886

Hana Jurikova et al., Permian–Triassic mass extinction pulses driven by
major marine carbon cycle perturbations, Nature Geoscience, 19 October 2020.

https://www.nature.com/articles/s41561-020-00646-4

Leave a Reply