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Le pluton de granite de Baga-Gazriin Chuluu dans le Gobi central

Paysage de Baga-Gazriin Chuluu. Photo de Mijid Uyanga.

Paysage de Baga-Gazriin Chuluu. Photo de Mijid Uyanga.

Dans la province mongole de Dundgovi, dont le nom signifie « Gobi central », se dresse une colline de granite qui est sa principale attraction touristique. Son nom est Baga-Gazriin Chuluu, ce qui se traduit par « Pierre de la petite terre ». Elle se trouve à 230 km au sud d’Ulaanbaatar (Oulan-Bator). On s’y rend grâce à une route reliant cette ville à Mandalgovi, la capitale de cette province. C’est un avantage, puisque les routes sont rares dans ce vaste pays faiblement peuplé. Sur place, les touristes peuvent se loger dans un camp de yourtes.

Cette colline est ce que l’on appelle un pluton de granite : une poche qui était autrefois souterraine, que les forces tectoniques ont élevée au-dessus du niveau de la mer et que l’érosion a mise à jour. Ces plutons sont très nombreux sur les continents mais ils ne sont souvent pas visibles. La végétation les dissimule. L’avantage du Gobi est d’être un territoire semi-aride où toutes les roches affleurent. Vu de l’espace, comme avec cette image de Google Maps, le pluton apparaît de manière évidente comme un tache claire. D’ouest en est, il a presque 12 kilomètres de long. Sa surface est de 120 km². D’anciens cours d’eau y ont creusé des multiples gorges, dont la plus grande, qui est une zone herbeuse, apparaît comme une bande verte. Il s’élève jusqu’à 1 768 mètres d’altitude, alors que l’altitude de la plaine environnante varie entre 1 500 et 1 600 mètres. Ses coordonnées sont 46° 12’ N et 106° E.

Diaclases dans le granite. Photo de Mijid Uyanga.

L’étude de ce pluton fournit des renseignements sur le passé de la Mongolie, mais il est également utile à toute personne intéressée par la géologie. Il fournit une parfaite illustration de l’altération des granites. La roche est découpée par un réseau de fissures appelées des diaclases. Leur régularité paraît étonnante mais elle est parfaitement naturelle. L’eau s’insinue dedans et dissout partiellement les feldspaths, qui sont les principaux minéraux des granites et lui donnent ses couleurs claires. L’orthose, un feldspath potassique, se transforme en kaolinite (une argile) et en substances dissoutes, dont des ions potassium. Les grains de quartz, en revanche, résistent très bien à l’altération. Le mélange d’argile et de grains est une arène granitique. La poursuite de l’altération élargit les fissures et aboutit à la formation d’un amoncellement de blocs plus ou moins arrondis appelé un chaos granitique.

Katarzyna Machowiak et al., Late Triassic 40Ar–39Ar ages of the Baga-Gazryn Chuluu granites
(Central Mongolia), Journal of Geosciences 57, 173–188, 2012.

Cette carte géologique a été dressée par des géologues russes et mongols en 1971, quand la Mongolie était un pays satellite de l’URSS. Elle a été complétée en 2012 par des géologues polonais, conduits par Katarzyna Machowiak. Les granites affleurant sont majoritairement à grains gros et moyens. Ceux à grains moyens sont porphyriques : ils contiennent de grands cristaux de feldspath. Au sud, il y a des granites à grains fins. Le pluton est intrusif dans un complexe volcano-sédimentaire datant du Permien (de 299 à 252 Ma). Les roches sédimentaires sont essentiellement des grès. Le volcanisme est représenté par des ignimbrites, présentes notamment au sud-ouest du pluton. Elles témoignent d’éruptions très violentes.

Photo de Mijid Uyanga.

Les feldspaths potassiques, qui représentent 35 à 50 % de la roche en volume, sont surtout de l’orthose. Viennent ensuite 25 à 40 % de quartz. Les feldspaths plagioclases (calco-sodiques) sont majoritairement de l’albite, un minéral qui doit son nom à sa couleur blanche. Il y en a de 3 à 10 % en volume. Ces granites sont à deux micas : de la biotite (mica noir, maximum 5 %) et de la muscovite (mica blanc, maximum 3 %). Les grands cristaux des granites porphyriques sont des perthites, c’est-à-dire des enchevêtrements d’orthose et d’albite. Ces minéraux peuvent être mélangés à haute température : ils forment une solution solide. Quand la température descend vers 700 °C, ils se séparent, l’albite formant des lamelles dans l’orthose. Les minéraux accessoires de ces granites sont le zircon (silicate de zirconium) et la monazite (des phosphates de cérium, néodyme, lanthane…). Ces cristaux microscopiques de moins de 50 µm de long sont inclus dans de la biotite.

Perthite. Lamelles d'albite dans un cristal de feldspath potassique.
Perthite. Ce cristal a été photographié au microscope pétrographique. L’albite s’est exsolvée en lamelles jaunes dans le feldspath potassique, qui apparaît en orange. La plus grande dimension est de 0,4 mm.
Zinnwaldite
Zinnwaldite provenant de Zinnwald, Erzgebirge , Bohême (6 × 6 cm). @ Didier Descouens / Wikimedia Commons / CC BY-SA 4.0.

La carte géologique signale la présence de greisens. Ce sont des zones où les granites ont été transformés par la circulation de fluides aqueux acides dans des fissures. Il s’est produit des échanges d’ions sodium Na⁺ et hydronium H₃O⁺. En réagissant avec ces derniers, l’orthose et l’albite ont donné de la muscovite et du quartz, les ions sodium de l’albite étant lessivés. Les greisens de Baga-Gazriin Chuluu se présentent sous la forme de veines et de petites lentilles ou enclaves. Le quartz et la muscovite y apparaissent, ainsi que de nombreux minéraux, comme le topaze et la fluorite, ou encore la biotite et un autre mica contenant du lithium, la zinnwaldite. La greisenisation est un exemple de métasomatose : la transformation d’une roche par des fluides.

Photo de Mijid Uyanga.

On définit plusieurs types de granites. Les types S et I sont produits par des orogenèses : des formations de montagnes. Le type A est au contraire anorogénite. Le mont Eej-Khairkhan, au sud-ouest de la Mongolie, est de ce type. Il date du début du Permien et n’a pas de réseau de diaclases comme le pluton de Baga-Gazriin Chuluu, si bien que son érosion s’est effectuée de manière différente. Compte-tenu des éléments majeurs, mais aussi des éléments en traces (gallium, zirconium, niobium, cérium, yttrium…), les géologues ont trouvé que les granites de Baga-Gazriin Chuluu sont de type A, même si des minéraux caractéristiques, comme les amphiboles et pyroxènes sodiques, en sont absents. Néanmoins, il est alcalin comme tous les granites de type A : les plagioclases y sont très peu présents.

Ce granite s’est formé par la solidification d’un magma à faible profondeur dans la croûte continentale. Les zircons indiquent cependant une température d’environ 800 °C, ce qui est assez élevé pour une telle profondeur. Ils ont été produits par cristallisation d’un magma totalement fondu, ne comprenant pas de restes de roches, et pauvre en eau. Les zircons sont très utilisés pour dater les roches dans lesquelles ils sont présents, mais avec moins de 50 µm de long, ceux de Baga-Gazriin Chuluu sont trop petits. Ces granites ont cependant pu être datés grâce à leurs cristaux de biotite. Ils ont été pris loin des greisens, pour s’assurer qu’ils n’aient pas été altérés. La datation argon-argon consiste à bombarder ces cristaux de neutrons afin de transmuter leur potassium 39 (isotope majoritaire et stable du potassium) en argon 39, qui s’ajoute à l’argon 40 déjà présent. Les géologues ont trouvé que les granites à grains fins et moyens ont cristallisé il y a environ 210 millions d’années et que les granites à gros grains ont environ 201 millions d’années. Ils datent ainsi de la fin du Trias (de 252 à 201 Ma).

Katarzyna Machowiak, Ibid. Pour des explications sur la Siberia, voir Les colonnes de la Lena.

Il est alors possible de lier ce pluton aux évènements du Mésozoïque. Durant le Trias, l’Asie était en cours de formation. Il existait un océan dont les vestiges, représentés en gris sombre sur cette carte géologique, s’étendent de l’ouest de la Mongolie jusqu’à la mer d’Okhotsk. On l’appelle l’océan Mongol-Okhotsk. Les vestiges en question comprennent l’ophiolite d’Adaatsag, situé à proximité de Baga-Gazriin Chuluu : c’est un lambeau de plaque océanique. Il y a également des turbidites, qui sont des sédiments déposés de manière turbulente, par écoulement gravitaire sur une pente, dans un milieu sous-marin. Cet océan a achevé de se fermer durant le Jurassique (de 201 à 145 Ma), par subduction de sa lithosphère. À l’ouest, cela s’est fait durant le Trias.

Durant la fermeture, la croûte continentale étant soumise à un régime compressif. Il est ensuite devenu extensif. C’est dans ce contexte que la croûte a fondu et qu’une poche de magma s’est constituée sous la future province de Dundgovi. Il en existe bien d’autres ailleurs. Il est possible que le manteau ait joué un rôle, mais seulement en apportant de la chaleur. On ne décèle pas de trace de fusion de ses roches. Ce magma s’est solidifié plus tard en devenant le granite de Baga-Gazriin Chuluu. Il n’a été mis à jour que durant le Cénozoïque, plus de 150 millions d’années plus tard, grâce à la collision de l’Inde avec l’Asie, au soulèvement du territoire de la Mongolie et à l’érosion qui s’en est suivie.

Voir Géologie de la Mongolie septentrionale

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