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La concentration en oxygène de l’atmosphère au Paléozoïque révélée par des cristaux de halite

Halite de Pologne

Halite de Pologne. @ Piotr Sosnowski / Wikimedia Commons.

La concentration en oxygène est actuellement de 20,9 % dans l’air, mais il n’en a pas été toujours ainsi. Il y a un milliard d’années, au début d’une ère appelée le Néoprotérozoïque, ce gaz était peu présent, bien qu’il soit extrêmement difficile de donner des estimations. Sa concentration a dû augmenter, permettant l’apparition des premiers animaux. C’est à la fin de cette ère et au début du Cambrien, il y a 541 millions d’années, que la vie animale s’est vraiment développée. Il y avait de l’oxygène dans l’atmosphère, mais également dans les mers, où ces organismes vivaient.

La concentration en oxygène (ou pression partielle d’oxygène) aurait augmenté jusqu’à 35 % durant le Carbonifère (de 359 à 299 Ma), pour une raison simple à comprendre : beaucoup de veines de charbon se sont formées à cette époque. Durant la photosynthèse, les plantes captent du CO2, utilisent le carbone et relâchent l’oxygène. À leur mort, si elles sont enfouies sans pouvoir se décomposer, elles ne peuvent pas être oxydées et l’oxygène qu’elles ont libéré reste dans l’atmosphère. On attribue à cette forte oxygénation de l’atmosphère l’apparition d’arthropodes géants, comme la libellule Meganeura, qui avait un corps de 40 cm de long et 65 cm d’envergure. Le vol n’ayant alors été acquis que par les insectes, Meganeura était l’un des super-prédateurs de l’époque. Cependant, il existait toujours des libellules géantes à la fin du Permien (de 299 à 252 Ma), alors que la concentration d’oxygène avait baissé. Ce n’est pas le manque d’oxygène qui les a fait disparaître, mais la grande crise de la limite Permien-Trias.

Variation du taux d’oxygène durant le Phanérozoïque (du début du Cambrien il y a 541 Ma jusqu’à maintenant). Il y a un pic à la fin du Carbonifère et au début du Permien il y a environ 300 millions d’années, puis le taux d’oxygène a connu un chute continuelle jusqu’à la limite Trias-Jurassique il y a 201 millions d’années.

Robert A. Berner, Modeling atmospheric O2 over Phanerozoic time, Geochimica et Cosmochimica Acta, Vol. 65, No. 5, pp. 685– 694, 2001.

L’une des méthodes pour évaluer la concentration en oxygène consiste à évaluer la concentration en dioxyde de carbone, les deux gaz étant liés. Depuis une trentaine d’années, Robert A. Berner (1935-2015) s’est efforcé de décrire le cycle du carbone durant le dernier éon de la Terre, le Phanérozoïque, commencé il y a 541 millions d’années. Pour cela, il faut prendre en compte toutes les sources et tous les puits de CO2. Le modèle qu’il a mis au point et qu’il n’a jamais cessé d’améliorer s’appelle GEOCARB. Une deuxième version a été présentée en 1994, puis une troisième (GEOCARB III) en 2001, avec Zavareth Kothavala. La même année, Berner a publié une estimation de la concentration en oxygène pour tout le Phanérozoïque. Le soufre y intervient en plus du carbone. Son enfouissement sous forme de pyrite (sulfure de fer FeS2) dans les sédiments marins, à partir d’ions sulfate en solution dans l’eau de mer, est une source d’oxygène. Durant le Précambrien, presque tout le soufre enfoui l’était sous cette forme. L’altération de ces sédiments, quand ils sont mis à l’air libre par la tectonique des plaques, fait au contraire baisser la concentration en oxygène, à cause de l’oxydation de la pyrite et du carbone organique qu’ils contiennent. C’est dans ces publications que la concentration en oxygène est estimé à 35 % durant le Carbonifère. Elle aurait ensuite constamment baissé jusqu’à environ 15 %, à la fin du Trias il y a 201 millions d’années, avant de remonter.

Les pressions partielles d’oxygène durant le Paléozoïque d’après diverses publications. Le niveau actuel est indiqué par un segment rouge. Compilation d’Uwe Brand et al., 2021.

En 2006, Berner a présenté un nouveau modèle appelé GEOCARBSULF. D’après lui, la concentration en oxygène a présenté un pic à 30 % pendant le Permien, et la concentration a brutalement chuté à 15 % à la limite Permien-Trias il y a 252 millions d’années. Elle correspond à la plus grave de toutes les extinctions de masse du Phanérozoïque. Un autre pic d’oxygène, moins important que celui du Permien, a été trouvé à la limite Silurien-Dévonien il y a 416 millions d’années. Les améliorations apportées en 2014 par Dana Royer ont confirmé l’existence de ces deux pics. La courbe obtenue est en bleu dans le diagramme ci-dessus. Mais il y a eu beaucoup d’autres estimations, et comme on peut le voir, elles ne concordent pas.

Tout a changé en 2016 avec la découverte d’air dans des cristaux de halite, c’est-à-dire de chlorure du sodium (sel gemme ou sel de table), provenant du bassin d’Officier au sud-ouest de l’Australie. Elle a été effectuée par Nigel Blamey, Uwe Brand, Christophe Lécuyer et cinq autres scientifiques et présentée dans la revue Geology. Ces cristaux se sont formés dans une saumure de désert salé ou de lagon, en emprisonnant de l’air. Ils datent du Néoprotérozoïque, plus exactement du Tonien (de 1 000 à 720 Ma) : ils ont 815 ± 15 millions d’années. Cette époque est celle du supercontinent Rodinia, dont la dislocation a provoqué la première glaciation globale de la Terre, durant le Cryogénien (de 720 à 635 Ma). La vie n’était pas encore présente sur les terres émergées, sauf à l’état microbien. Certains micro-organismes, des archées, peuvent vivre dans un milieu extrêmement salé. Ils lui confèrent une coloration rouge. La saumure dont laquelle ces halites ont cristallisé devait avoir au moins 325 grammes de chlorure de sodium par litre, ce qui n’était pas mortel pour eux. Cependant, leur présence n’aurait pas changé la composition de l’air. Des bactéries comme Dunaliella produisent de l’oxygène mais elles ne peuvent pas vivre dans un tel environnement.

Concentration en oxygène durant le Tonien, le Cryogénien, l’Édiacarien (les trois système du NéoprotérozoÏque), le Cambrien et l’Ordovicien, d’après D.E. Canfield 2016, (hachures bleues), par L.R. Kump 2008 (courbe unidirectionnelle rouge) et par T.W. Lyons et al. 2014 (courbe bleue). Les résultats obtenus par Nigel Blamey et al. en 2016 sont en vert. D’après eux, la concentration en oxygène a montré plus tôt que prévu dans le Néoprotérozoïque.

Les scientifiques ont également analysé des halites modernes, d’une mine de sel du Nouveau-Mexique aux États-Unis et d’un lac australien, pour vérifier la capacité de ces minéraux à préserver la composition de l’air qu’ils emprisonnent.

Les 31 mesures de gaz qui ont été effectuées ont donné une concentration de 10,9 % en oxygène. Vers la fin du Tonien, il y en avait donc à peu près deux fois moins que maintenant, mais c’est plus que prévu. D’après les maigres indications dont les géologues disposaient, la concentration en oxygène n’avait commencé à monter que durant le Cryogénien, permettant le développement de la vie animale durant la période suivante, l’Édiacarien (de 635 à 541 Ma).

C. Inclusions fluides primaires dans une halite dans la formation Head Rapids de l’Ordovicien supérieur, dans le bassin de la baie d’Hudson. Leur forme rectangulaire est due à la structure cubique des cristaux de halite. Les mesures directes ont donné une pression partielle d’oxygène de 15,7 %. Le champ (i) comporte des inclusions modifiées par la diagenèse (durant la consolidation des sédiments) et le champ (ii) contient des inclusions formées par contamination avec de l’air durant le déplacement des frontières entre les grains de halite.
D. Inclusions fluides primaires et inclusions fluides avec des bulles de gaz (flèches i et ii) dans une halite de Salina dans le bassin du Michigan, remontant au Silurien supérieur. Ce gaz contient une concentration en oxygène plus élevée que la concentration actuelle.

En fait, on disposait déjà, depuis 1988, d’échantillons d’air du milieu du Crétacé, provenant de halites du Tibet. Elles ont donné une concentration en oxygène de 25,8 %, confirmant ce dont les géologues s’étaient doutés : il y avait plus d’oxygène durant le règne des dinosaures que maintenant. D’autres échantillons d’air plus récents, contenus dans de la halite ou de l’ambre, ont donné une concentration en oxygène proche de celle de maintenant et n’ont donc rien apporté de nouveau.

Uwe Brand, Nigel Blamey et Christophe Lécuyer ont poursuivi leurs recherches avec d’autres collègues. En 2021, ils ont présenté une série de mesures avec des halites datant de l’Édiacarien et du Paléozoïque (de 541 à 252 Ma). Ce sont les toutes premières qui aient été effectuées pour cette période et les résultats sont inattendus. Le pic d’oxygène à plus de 30 % du Permien a disparu. Au lieu de cela, un pic moins important a été observé durant le Silurien supérieur, déjà été pressenti par Berner en 2006.

Pression partielle d’oxygène à diverses époques du Paléozoïque d’après Uwe Brand et al., 2021. Les résultats sont indiqués en rouge (This study). LWL est la valeur de la pression partielle sous laquelle il ne peut pas y avoir de feu de forêt, ou plus largement de « feu sauvage » (wildfire). En 2004, I.J. Glasspool et al. ont mis en évidence un incendie datant du Silurien supérieur, à l’époque où les forêts n’existaient pas encore. Il n’y avait alors que de petites plantes vasculaires dépourvues de feuilles. Le charbon résultant de cet incendie a été retrouvé au Pays de Galles.

Il arrive que du méthane et du dioxyde de carbone soit piégés en même temps que l’air ou que ces gaz soient produits par la décomposition de matière organique présente dans le cristal. Dans ce cas, cela fait baisser la concentration en oxygène, mais une technique de calcul permet de retrouver la concentration originelle. Les halites utilisées proviennent de milieux marins et non marins, comme les Bahamas et le Pérou. Quand les scientifiques ont trouvé du dioxyde de carbone et du méthane dans les halites anciennes, ils ont appliqué cette correction.

Pour la fin de l’Édiacarien, les halites de Hongchunping en Chine, datées à 545 millions d’années, ont donné une concentration en oxygène de 17,4 % par mesure directe ou de 17,7 % après correction. Des halites du Pakistan ont donné 17,6 % par mesure directe, si bien que ces résultat semblent solides. La concentration en oxygène a ainsi augmenté depuis le Tonien, et cette hausse s’est poursuivie durant le Cambrien, pour atteindre environ 19,3 %. Durant l’Ordovicien (de 485 à 443 Ma) et le début du Silurien (de 443 à 419 Ma), le taux est resté stable à 15-16 %.

Pour le Silurien, ce sont les halites de Mallowa, dans le bassin de Canning en Australie, qui ont « parlé ». Des mesures directes ont donné 12,9 % et des mesures corrigées 14,3 %. Durant le Silurien supérieur, la concentration en oxygène a grimpé jusqu’à 21,6 %, soit plus que maintenant, d’après des mesures directes effectuées sur des halites du bassin du Michigan, entre les USA et le Canada. Les mesures corrigées ont donné 24,7 %, avec une incertitude plus grande. On peut retenir la valeur 23,2 ±1,9 % pour le Silurien supérieur. Pour le Dévonien (de 419 à 359 Ma), il n’y a pas d’estimation. Durant le Carbonifère et le Permien, la concentration en oxygène est retournée à des valeurs d’environ 16 %.

Les auteurs de l’étude considèrent ainsi que cette concentration a été stable durant tout le Paléozoïque, autour de 16,5 %, avec un pic durant le Silurien supérieur. Ce n’est donc pas grâce à une pression partielle très élevée d’oxygène que les arthropodes géants ont vu le jour durant le Carbonifère. La véritable raison était l’absence de concurrents, surtout dans les airs. La concurrence des tétrapodes, au fils du temps, a obligé les arthropodes à réduire leur taille.

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Nigel J.F. Blamey et al., Paradigm shift in determining Neoproterozoic atmospheric oxygen, Geology, v. 44; no. 8, August 2016.

Uwe Brand et al., Atmospheric oxygen of the Paleozoic, Earth-Science Reviews 216, 2021.

https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0012825221000593

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