Histoire de la Terre et de la vie - Actualités géologiques

Actualité

Des fossiles cambriens exceptionnellement bien préservés dans la province chinoise du Hubei

Fossile de Leanchoilia illecebrosa, un animal de la faune de Chengjiang également présent dans celle de Qingjiang. Sa longueur est de 19 mm.

La radiation cambrienne, c’est-à-dire l’augmentation explosive du nombre d’espèces durant le Cambrien (de 541 à 485 Ma) est bien documenté grâce aux schistes de Burgess, dans les Montagnes Rocheuses canadiennes. Il s’agit un Lagerstätte comme on dit en allemand : un gisement de fossiles à préservation exceptionnelle. Découvert par Charles Doolittle Walcott en 1909, il a été daté à 505 Ma. Un autre Lagerstätte tout aussi riche a découvert dans les années 1980 en Chine, dans la province méridionale du Yunnan, près du village de Chengjiang. Il remonte à environ 522 Ma, si bien qu’il est plus ancien que les schistes de Burgess. Des scientifiques chinois viennent d’en décrire un second, situé à 1050 km au nord-est de Chengjiang : celui de Qingjiang, dans la province du Hubei. Il a été daté à environ 518 Ma.

Il est intéressant de connaître les relations entre ces deux sites. S’ils sont actuellement situés dans des zones montagneuses, ce n’était pas le cas durant le Cambrien. Ils se trouvaient alors sous la mer et la Chine n’existait pas encore. Elle est en effet constituée de trois cratons, c’est-à-dire de trois vieilles plaques lithosphériques, qui ont été assemblées après le Cambrien : le bloc de Chine du Sud, le craton de Chine du Nord et le bloc du Tarim. Ce dernier correspond à une immense cuvette située au nord des hauts-plateaux tibétains. Le bloc de Chine du Sud est lui-même formé de deux « terranes » assemblés durant le Néoprotérozoïque (de 1000 à 541 Ma) : celui du Yangzi jiang au nord-ouest et de celui de Cathaysia au sud-est.

Un vétulicolien par Nobu Tamura.

Les sites de Chengjiang et de Qingjiang se trouvent tous les deux sur le bloc de Chine du Sud, mais en des lieux opposés, le premier au sud-ouest et le second au nord-est. On l’appelle aussi la plateforme du Yangzi – jiang signifiant « rivière, fleuve » en chinois. La sédimentation a commencé dès le Néoprotérozoïque, si bien que l’explosion cambrienne y a été enregistrée. Le site de Doushantuo (province du Guizhou, district de Weng’an, au nord-est de la capitale Guiyang) comporte un Lagerstätte qui a livré des fossiles postérieurs à la glaciation de Gaskiers, vers 585 Ma, et interprétés comme des organismes pluricellulaires. La plateforme du Yangzi a également conversé des « petits fossiles à coquille » du tout début du Cambrien : les premiers animaux présentant un squelette minéralisé, d’au plus quelques millimètres de long.

Le site fossilifère de Qingjiang se trouve sur une berge de la rivière Danshui, près de son confluent avec la rivière Qing. Prenant sa source à la pointe du Hubei, celle-ci va se jeter dans le Yangzi jiang ou Fleuve Bleu, qui est l’axe nourricier de la Chine du Sud. Les roches qui ont été étudiées sont celles de Shuijingtou. Leur premières strates ont de 5 à 20 mètres d’épaisseur et sont composées d’argiles avec des nodules de carbonate. Viennent ensuite 20 à 50 mètres de siltite noire, un sédiment détritique à grains plus fins que ceux du sable. Deux couches d’argiles à calcaire y sont intercalées, chacune de deux mètres d’épaisseur. Ce sont ces argiles qui comportent des fossiles d’une qualité exceptionnelle. Au moment où les scientifiques ont présenté leurs découvertes, après quatre saisons de fouilles, 4351 spécimens avaient été collectés. Ils représentent 101 taxons d’animaux, dont 18 plans d’organisation, et huit formes d’algues où l’on distingue certains détails, comme des sporanges.

Parmi ces animaux, les kinorhynches (ou dragons de boue) et les vers priapuliens, vivaient dans les sédiments. Ils existent toujours. D’autres étaient fixés sur le fond marin, comme les éponges et les brachiopodes, ou se déplaçaient dessus, comme les lobopodiens et les hyolithes. Ces derniers avaient une coquille en forme de cône et une sorte de couvercle. Ils faisaient partie des premiers animaux produisant un squelette externe minéralisé. Les lobopodiens, des vers à pattes, ont une importance majeure car ils sont probablement les ancêtres des arthropodes. Ils ressemblent aux actuels « vers de velours » ou péripates, formant le groupe des onychophores, mais ceux-ci vivent sur terre et leur lien de parenté avec les lobopodiens n’est pas prouvé. Le représentant le plus célèbre de ces vers à pattes est Hallucigenia sparsa, découvert par Walcott puis réétudié et renommé par Simon Conway Morris en 1977. En plus d’avoir sept ou huit paires de pattes lobées, terminées par des griffes, cet animal avait sept paires d’épines sur le dos.

Un représentant de la famille des naraoiidés. Photo de Robert Gaines.

Les vétulicoliens, également présent dans la faune de Qingjiang, nageaient sur le fond marin. Depuis 2014, ils sont considérés comme un sous-embranchement des cordés, auxquels les vertébrés appartiennent. Il y avait des arthropodes, dont la classe de prédateurs megacheira. Leanchoilia, l’un des plus abondants arthropodes de la faune de Chengjiang, figurant aussi dans les schistes du Burgess, était présent. Il avait un bouclier céphalique et un tronc doté de onze segments ainsi de que treize paires d’appendices biramés. Cependant, 53 % des taxons de ce site n’ont été observés nulle part ailleurs et les animaux à corps mous prédominent. Des cténophores et des cnidaires, dont des méduses, ont été préservés. Ce sont les seuls animaux, avec les éponges, qui ne soient pas bilatériens. À cela, s’ajoutent des formes larvaires ou juvéniles, difficiles à identifier.

Des animaux emblématiques de la faune de Chenjiang sont absents du site de Qinjiang, tel que l’arthropode Kunmingella, dont le nom provient de la capitale du Yunnan, Kunming. L’explication proposée est que le milieu était différent de celui de Chengjiang, car plus éloigné de la côte. La comparaison des deux sites donne par conséquent une idée de l’adaptation de la faune cambrienne à son environnement. Mais les animaux de Qinjiang n’ont sans doute pas été enfouis là où ils vécu : ils ont dû être emportés par une avalanche de boue qui a assuré leur fossilisation dans un lieu anoxique.

**************************************************************************************

Fu Dongjing et al., The Qingjiang biota – A Burgess Shale-type fossil Lagerstätte from the early Cambrian of South China, Science, 363, 1338–1342, 2019.

Article de BBC News

Leave a Reply