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Des précisions apportées sur la formation de la lithosphère continentale archéenne

Péridotite

Enclaves (ou xénolites) de lherzolite dans du basalte. L'échelle est en centimètres. San Carlos Indian Reservation, Arizona. Photo de Dan Snyder.

Les cratons archéens sont les plus anciens continents. Ils ont été formés il y a plus de 2,5 milliards d’années et sont restés à peu de choses près inchangés. Certains ont été recouverts de sédiments plus récents et sont appelés des plateformes. C’est le cas en Russie. D’autres, qu’on appelle les boucliers, n’ont pas de couverture sédimentaire et laissent par conséquent leurs anciennes roches à l’affleurement. La croûte continentale de ces cratons a une composition assez uniforme, avec des roches plutoniques (les TTG, tonalites, trondhjémite et granodiorite) plus ou moins métamorphisées, ainsi que des basaltes et des komatiites.

Tandis que les TTG sont plutoniques comme les granites, c’est-à-dire qu’elles proviennent de magmas ayant cristallisé à plusieurs kilomètres profondeur et ont été mises à l’affleurement par l’érosion, les basaltes et les komatiites sont des roches volcaniques. Ce sont des laves qui ont coulé à la surface de la Terre. Les komatiites ont une composition proche de celle du manteau terrestre, leur principal minéral étant l’olivine (ou péridot). Elles ont été émises à des températures dépassant les 1 600 °C, alors que la température des laves basaltiques sont d’environ 1 200 °C. Ces empilements de basaltes et de komatiites forment l’essentiel des ceintures de roches vertes archéennes, qui sont volcaniques et sédimentaires.

Structure d’un craton archéen. Il est constitué d’une croûte représentée en gris et d’un manteau lithosphérique sous-continental beaucoup plus profond, principalement en bleu. Les roches du manteau lithosphérique et celles de l’asthénosphère (en vert) sont toutes des péridotites, mais celle de la lithosphère sont relativement froides et rigides, tandis que celles de l’asthénosphère sont chaudes et ductiles. Des roches du Protérozoïque (de 2,5 milliards d’années à 541 millions d’années) sont venues s’ajouter au craton. A droite, il y a une chaîne de montagnes du Phanérozoïque (moins de 541 millions d’années). A gauche de la marge passive, s’étend un océan. D’après Stéphane Faure, Structure du craton nord-américain et champs de kimberlites, Consorem, 2005.

Le manteau lithosphérique sous-continental archéen

Dans ces cratons, la croûte continentale a 35 à 40 km d’épaisseur. Elle surmonte un manteau lithosphérique sous-continental (MLSC en abrégé) qui peut dépasser les 250 km de profondeur. C’est beaucoup, sachant que la base du manteau supérieur est à 660 km sous nos pieds. Jusqu’à 410 km, presque toutes les roches sont des péridotites. Les plus « riches » d’entre elles sont les lherzolites. Elles ont trois types de minéraux principaux : l’olivine (Mg,Fe)2SiO4, les orthopyroxènes (Mg,Fe)2Si2O6 et les clinopyroxènes (contenant des métaux alcalins). Les péridotites des MLSC sont majoritairement des harzburgites, qui ne comportent pas de clinopyroxènes. Elles paraissent avoir subi des fusions qui les ont appauvries en certains éléments. On les qualifie d’incompatibles car ils se concentrent dans le magma. Le potassium et l’uranium le sont, or le déclin radioactif du potassium 40 et de l’uranium 235 et 238 chauffe les roches. Puisque ces éléments ont quitté le MLSC, il s’est refroidi. Les cratons archéens ont ainsi des « quilles » profondes, froides et rigides qui résistent aux mouvements de convection du manteau supérieur.

On s’interroge beaucoup sur l’origine des roches de la croûte continentale archéenne, mais il faut également s’interroger sur celles du manteau lithosphérique sous-continental, bien qu’elles soient difficiles à examiner. Le forage le plus profond n’a atteint qu’une douzaine de kilomètres, bien au-dessus de la discontinuité de Mohorovicic (la limite entre la croûte et le manteau). Mais bien que les cratons archéens soient stables, ils ont connu des éruptions volcaniques d’un type très particulier, qui ont amené en surface des magmas originaires du MLSC. Ils sont devenus des roches appelés des kimberlites. Les minéraux qu’elles contiennent prouvent que ces magmas se sont formés à des profondeurs allant de 150 à 200 km. Parmi eux, il y a des diamants. Les kimberlites en sont la principale source. Ainsi, l’étude des cratons archéens a un intérêt économique majeur.

Des kimberlites contiennent des fragments rocheux appelés des xénolites, que le magma a arrachés aux parois de la cheminée. Il y a des péridotites à olivine, à orthopyroxène, parfois à clinopyroxène et à grenat pyrope. L’olivine est une « solution solide » de deux minéraux ; la forstérite Mg2SiO4, un silicate de magnésium qui fond à 1 900 °C à pression ambiante et qui est donc très réfractaire, et la fayalite Fe2SiO4, un silicate de fer qui fond à 1 400 °C. Celle des cratons archéens contient une forte proportion de forstérite, donc de magnésium. Quant à l’orthopyroxène, c’est une solution solide d’enstatite (magnésienne) et ferrosilite (ferreuse), avec une forte proportion d’enstatite. On définit le nombre Mg# pour l’ensemble la roche comme étant le rapport Mg/(Mg+Fe) multiplié par 100. Il est typiquement égal à 92,7 pour les cratons archéens alors qu’il est égal à 89,9 pour les tectons. Par ce terme, on désigne les cratons dont les roches du socle ont un âge compris entre 1 000 et 600 millions d’années. Ils datent du Néoprotérozoïque, avant le début du Cambrien.

Des harzburgites riches en silice produites à grande profondeur et des dunites pauvres en silice produites à faible profondeur

Une autre caractéristique des péridotites des cratons archéens est leur richesse en silice. À nombre Mg# constant, le rapport MgO/SiO2 est bas. Cela se traduit par une grande abondance d’orthopyroxène, aux dépens de l’olivine, Pour expliquer ces particularités, les géologues Emma L. Tomlinson du Trinity College de Dublin et Balz S. Kamber de la Queensland University of Technology ont combiné les données de 425 péridotites archéennes. Elles ont été extraites de kimberlites provenant du craton de Kaapvaal en Afrique du Sud, du craton de Sibérie, des cratons Rae et des Esclaves au Canada. Ce sont ajoutés 38 xénolites du craton de Tanzanie extraits d’ankaramite, un basalte à clinopyroxène dominant (phénocristaux d’augite), et de carbonatite, composée majoritairement de carbonate. Le seul volcan émettant actuellement de la carbonatite est l’Ol Doinyo Lengaï en Tanzanie. Enfin, 88 xénolites ont été prélevés dans des kimberlites et des basaltes alcalins du Groenland. Cette région fait partie du craton Nord-Atlantique, qui comprend également une partie du Labrador et de l’Écosse. Les âges de ces péridotites, calculés grâce au système rhénium-osmium, vont de 3,1 à 2,5 milliards d’années.

Magmatisme sous un craton archéen. La pression est donnée en gigapascals. Elle augmente d’environ 30 GPa par kilomètre, si bien que la base du manteau lithosphérique du craton est à 150 km de profondeur. A gauche, un panache arrive et provoque une fusion partielle (mais à un haut degré) de l’asthénosphère. Du magma komatiitique se constitue. Une partie arrive à la surface, où il se solidifie en une komatiite réfractaire (une roche très pauvre en silice). Sous le craton, il reste des harzburgites riches en silice. Ce sont les principales roches du manteau lithosphérique du craton. A droite, le craton est moins épais et du magma basaltique est produit. Sous le craton, il reste des dunites, qui sont des roches constituées presque uniquement d’olivine. D’après Tomlinson & Kamber 2021.

Les chercheurs ont également pris en compte les basaltes et les komatiites des cratons archéens. Ils sont la manifestation en surface d’un magmatisme qui s’est produit dans le manteau et qui a également engendré les harzburgites des MLSC archéens. La théorie proposée fait appel à des montées de roches chaudes venues des profondeurs du manteau, appelées des panaches. Elles existent encore aujourd’hui et sont responsables du volcanisme de point chaud comme celui de Hawaii et de La Réunion. Les péridotites fondent parce qu’elles subissent une décompression adiabatique (sans perte de chaleur). À une soixantaine de kilomètres sous terre, avec une température de 50 à 100 °C de plus que maintenant et une pression inférieure à 2 GPa, la fusion donnait un magma basaltique qui interagissait avec des harzburgites de l’asthénosphère (la partie chaude et ductile du manteau, sous la lithosphère). Il en résultait un surcroît de magma basaltique et des résidus constituées à plus de 90 % d’olivine, au rapport MgO/SiO2 élevé, donc pauvres en silice et riches en magnésium (avec un nombre Mg# atteignant 93). Ces roches sont appelées des dunites. Le magma atteignant la surface a formé des ceintures de roches vertes, sur lesquelles des sédiments se sont déposés.

À des profondeurs au moins deux fois plus grandes et à des températures de 1700 à 1800 °C, la fusion des roches des panaches donnait un magma komatiitique, dont la teneur en silice était semblable à celle des roches du manteau et plus faible que celle des basaltes. Dans les ceintures de roches vertes, les komatiites sont beaucoup moins abondantes que les basaltes, mais elles sont remarquables car elles sont propres à l’Archéen. Il y a moins de 2,5 milliards d’années, la Terre n’a produit qu’exceptionnellement des komatiites. À la base de la lithosphère, l’interaction du magma avec des harzburgites fortement réfractaires produisait un surcroît de magma komatiitique et des harzburgites résiduelles, riches en silice avec d’abondants orthopyroxènes, celles constituant l’essentiel des MLSC archéens.

Une explication qui ne fait pas appel à la tectonique des plaques

Le travail de Tomlinson et Kamber est de nature purement pétrologique : ils ont calculé ce que deviennent des associations de minéraux en fonction de la température et de la pression. Les contextes géodynamiques dans lesquels ce magmatisme s’est déroulé demandent à être précisés. On remarque que les basaltes et les komatiites ont été produits simultanément aux mêmes endroits. Ces laves se superposent dans les ceintures de roches vertes. Cela implique que l’épaisseur de la lithosphère était variable, les dunites se formant à faible profondeur. Il a fallu supposer que des panaches chauds montaient dans un manteau relativement froid. De nombreux cratons archéens ont été affectés par de courts épisodes de magmatisme, de quelques millions d’années, séparées par des périodes calmes de 50 à 150 millions d’années.

Les auteurs n’ont pas parlé de la formation de la croûte continentale archéenne, mais ils admettent qu’elle s’est effectuée en même que le MLSC. Elle ne doit donc rien à la subduction de plaques océaniques. Leur publication conforte des travaux antérieurs, comme celui du géologue William L. Griffin et de son équipe, qui reconsidérait dès 2003 que le MLSC archéen était constitué de résidus ou de cumulats de fusion de péridotites, dus à des retournements du manteau ou des mégapanaches. Cette théorie a été développée par le géologue québécois Jean H. Bédard, qui n’admet pas que la tectonique des plaques ait existé durant l’Archéen.

Pour connaître la théorie de Jean Bédard et savoir en particulier ce qu’est un retournement du manteau, voir l’article Le développement de la vie sur Terre a pu être entravé par des cataclysmes réguliers.

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Emma L. Tomlinson, Balz S. Kamber, Depth-dependent peridotite-melt interaction and the origin of variable silica in the cratonic mantle, Nature Communications, 17 February 2021.

https://www.nature.com/articles/s41467-021-21343-9

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