En 1990, Hồ Khanh, un jeune homme à la recherche de bois rare dans le massif montagneux de Kẻ Bàng au Vietnam fut pris dans un violent orage. Il dut chercher en hâte une falaise où s’abriter des trombes d’eau. Il en trouva une à la base de laquelle il trouva une entrée d’où provenait un vent puissant, et où l’entendait couler une lointaine rivière. Après avoir quitté ce lieu, il n’y revint qu’en 2009, pour aider une équipe de scientifiques qui cherchait des grottes dans ce massif. Elle comportait Howard et Deborah Limbert, de l’Association britannique de spéléologie, et des membres de la Faculté de géographie de Hà Nội, la capitale du Vietnam. Hồ Khanh ne retrouva pas tout de suite l’endroit où il s’était rendu une vingtaine d’années plus tôt, mais il y parvint. Cette grotte, appelée Hang Sơn Ðoòng (où hang signfie « grotte »), a vite été reconnue comme l’une des plus grandes du monde.
Le massif de Kẻ Bàng, aride et escarpé, ne comprend ni source ni habitation. Son altitude moyenne est de 900 mètres. Il fait partie du parc national de Phong Nha – Kẻ Bàng, situé dans la province de Quảng Bình au centre du Vietnam. Son chef-lieu est la ville de Ðồng Hới, indiquée sur la carte au-dessus des tunnels de Vinh Moc. À cet endroit, la cordillière annamitique (Trường Sơn en vietnamien) sert de frontière entre le Vietnam et le Laos. Les gens de la région sont de l’ethnie Bru – Vân Kiều, d’où vient le mot đoòng. Le parc national doit sa particularité au fait qu’il comprend 2 000 km² de terrain calcaire, qui se prolonge sur une superficie équivalente au Laos. Le relief est donc karstique. Avec son prolongement laotien, c’est le deuxième plus grand territoire karstique au monde. Il résulte de la dissolution du calcaire par les eaux de pluie. Les rivières coulent rarement en surface, mais plutôt dans des grottes et des passages souterrains qu’elles ont creusés. On dénombre près de 300 grottes dont la plus célèbre, avant la découverte de Hang Sơn Ðoòng, était celle de Phong Nha. Les touristes peuvent la visiter en barque.
Ces couches de calcaire se sont déposées à la fin du Paléozoïque, il y a plus de 252 millions d’années, quand ce territoire était sous la mer. L’Asie n’existait pas encore : elle est constituée de petits continents qui se sont agglomérés à la Sibérie. L’un d’eux est le bloc indochinois, comprenant le Cambodge, le Laos et une grande partie du Vietnam et de la Thaïlande. Au nord, il s’arrêtait dans la province de Thanh Hóa. Alors que la plupart des continents étaient réunis au sein de la Pangée, le bloc indochinois était entouré par les eaux des océans Paléotéthys (remplacées par celle de la Mésotéthys) et Pacifique, et il était plus ou moins immergé selon les époques. Situé à l’équateur durant le Dévonien (de 419 à 359 Ma), il a dérivé vers le nord jusqu’à 30° de latitude. Il était donc soumis à un climat intertropical.
La grotte de Sơn Ðoòng traverse deux formations calcaires. La plus ancienne est celle de Phong Nha, exposée à l’entrée de la grotte de ce nom où elle atteint 100 mètres d’épaisseur. Ce calcaire, composé de débris d’organismes vivants, est dit bioclastique. Des coraux, les Rugosa, ont permis de le dater du début du Carbonifère (de 359 à 299 Ma). Il comprend aussi des intercalations d’argiles brun-rouge. La formation de Phong Nha est surmontée par celle de Bắc Sơn, qui atteint 1 000 mètres d’épaisseur. C’est également du calcaire bioclastique. Elle affleure au nord de la province de Quảng Bình, dans les provinces de Hà Tinh et de Nghệ An, soit jusqu’au nord de l’ancien bloc indochinois. Les fossiles datent du Viséen (de 347 à 331 Ma) au milieu du Permien (de 299 à 252 Ma). Il y a également des crinoïdes ou lys de mer et des coraux tabulés ou Tabulata.
La fin du Permien est marquée par une extinction de masse au cours de laquelle ces coraux disparaissent. Au début du Trias (de 252 à 201 Ma), le bloc indochinois entre en collision avec celui de Chine du Sud, entraînant la surrection de montagnes : c’est l’orogenèse indosinienne. Des plissements affectent les couches de calcaire, entraînant une inclinaison de 20° à 30° vers le nord. On observe également un léger métamorphisme et des veines de calcite. Il s’agit de fractures de la roche dans lesquelles de la calcite a cristallisé.
La collision de l’Inde avec l’Asie durant l’Éocène (de 56 à 34 Ma) a eu des répercussions dans une grande partie de ce continent. La péninsule indochinoise a en particulier été poussée vers le sud-est. Le fleuve Rouge, Sông Hồng en vietnamien, qui arrose Hà Nội, coule le long d’une faille orientée NW-SE causée par cette extrusion. Elle est décrochante : les deux compartiments glissent horizontalement contre l’autre. D’autres failles de même direction existent au nord et au centre du Vietnam. Il y a environ 23 millions d’années, au début du Miocène, des failles de direction N-S sont apparues en les recoupant. La grotte de Sơn Ðoòng s’étire en ligne droite sur au moins 5 kilomètres, guidée par l’une de ces failles. Il ne s’agit pas d’une simple fracture de la roche. Du calcaire pris entre les deux compartiments a été broyé. Il s’est formé une nouvelle roche appelée une brèche, constituée de débris cimentés. D’après la datation de sédiments, la grotte remonte au Pliocène (de 5,3 à 2,6 Ma).
Le caractère massif des couches de calcaire explique que le plafond de la grotte ne se soit effondré qu’en deux endroits. Dans le langage géologique, ces trous sont des dolines. La plus petite, surnommée Watch Out for Dinosaurs « Faire attention aux dinosaures », est certainement due à une faiblesse locale de la roche. Elle a 110 mètres de diamètre à la base. La seconde, Garden of Edam, située plus au nord, se trouve au croisement la faille principale avec une faille plus ancienne de direction NW-SE. Elle a 163 mètres de diamètre. Des arbres ont poussé sur les éboulis et un véritable microclimat y règne, avec la présence occasionnelle de nuages.
Les dimensions de la grotte sont gargantuesques. Sur une section de 3 kilomètres, elle atteint 200 mètres de haut et 175 mètres de large. L’entrée y est cependant difficile. D’autres grottes du massif de Kẻ Bàng sont tout aussi impressionnantes, comme Hang Én, qui est beaucoup moins longue mais dont une entrée a 120 mètres de haut sur 140 mètres de large. Elle est située en amont de Hang Sơn Ðoòng.
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