Le Permien est une période qui s’étend, à la fin du Paléozoïque ou ère primaire, sur une période d’une cinquantaine de millions d’années, plus précisément de 299 à 252 Ma. La charte stratigraphique internationale la divise en trois séries, Cisuralien, Guadalupien et Lopingien (au lieu de le diviser en Permien inférieur, moyen et supérieur), et en huit étages, mais ces divisions ne sont pas adaptées à la France. Les deux derniers étages, le Wuchiapingien et le Changhsingien, constituant le Lopingien (de 260 à 252 Ma), conviennent plutôt à la Chine. C’est l’inconvénient d’une telle charte. Pour l’Europe, on parle plutôt de l’Autunien, du Saxonien et du Thuringien. L’Autunien va de 299 à 282 Ma et fait référence au bassin sédimentaire d’Autun en France. Le Saxonien, plus long puisqu’il va jusqu’à 256 Ma, a pour stratotype les sédiments de la Saxe en Allemagne. Le Thuringien, basé sur les calcaires dolomitiques de Thuringe en Allemagne, ne dure que 4 Ma.
L’histoire géologique d’un pays se lit dans ses roches, notamment dans ses roches sédimentaires, susceptibles de contenir des fossiles ou diverses traces d’organismes vivants. Or les affleurements de roches permiennes sont rares. C’est dû au fait que la France n’a pas été envahie par la mer et que la sédimentation se fait surtout dans la mer. Elle peut se faire en milieu fluviatile ou lacustre, comme on le verra, mais les surfaces couvertes sont limitées.
Pour comprendre la géographie de la France au Permien, il faut savoir que la chaîne hercynienne venait de se former, suite à la collision du Gondwana et de la Laurussia, avec quelques micro-continents coincés entre eux, comme l’Armorica. Les cartes de cette chaîne donnent donc une idée des reliefs qu’il y avait en France au début du Permien. On peut considérer que la collision était terminée, or quand une chaîne de montagnes s’élève, la croûte continentale s’épaissit de manière considérable. Elle peut dépasser les 70 km de profondeur, alors que l’épaisseur normale d’une croûte est de 30 km. L’érosion retire une partie de cette épaisseur excessive, mais d’autres phénomènes jouent. La croûte a été chauffée par la désintégration des éléments radioactifs qu’elle contient et s’étale à la manière d’une pâte.
Dans le cas de la chaîne hercynienne, cet étalement a été contrôlé par les mouvements du Gondwana et de la Laurussia. Cela a provoqué une remontée de roches crustales chaudes qui n’ont pas eu le temps de se refroidir, ainsi qu’une montée de l’asthénosphère, la partie du manteau chauffée à plus de 1 300 °C. Il en a résulté la fusion d’une grande quantité de roches de la croûte, qui a produit du magma riche en silice. Quand il n’a pas pu atteindre la surface, ce magma s’est cristallisé en granite. Ainsi s’expliquent les abondants granites hercyniens du Carbonifère. Au début du Permien, en certains endroits où la croûte a été très amincie, ce magma a pu atteindre la surface, créant des éruptions explosives à cause de sa viscosité. Un magma acide (avec plus de 65 % de silice) refroidit en surface devient une roche appelée la rhyolite. À cause de ce magmatisme, la France a connu durant le Permien des éruptions beaucoup plus dévastatrices que celles du Massif central durant le Quaternaire.
Cette évolution est dite post-varisque (de l’autre nom de la chaîne hercynienne) ou post-orogénique. Pour la comprendre, il faut prendre en compte le déplacement relatif du Gondwana et de la Laurussia. Ils ont effectué une convergence oblique : ils se sont rapprochés tout en glissant l’un contre l’autre. Cela a créé de nombreuses failles durant la phase post-orogénique, ainsi que 70 bassins résultant de ces failles. Ils sont indiqués en gris foncé sur la carte, la zone varisque étant en gris clair. L’océan Paléothétys est en blanc avec des vagues. Les eaux deltaïques de faible profondeurs sont en blanc avec des cercles. Elles recouvrent une partie de la Faille Nord-Pyrénéenne, GBFZ. Le Grand Sillon Houiller, GSH, coupe quasiment la France en deux. Elle s’achève sur le bassin de Bourbon-l’Archambault (500 km²), BU.
Plusieurs failles rayonnent à partir du Grand Sillon Houiller : celle du bassin de Lodève LO, du bassin de Saint-Étienne ST, du bassin de Montceau-les-Mines MO. La faille du Pays de Bray PBF court jusqu’au bassin de Saar-Nahe. Il y a encore le bassin d’Autun AU, lié à une faille qui n’a pas été représentée. Remarquez que la Corse et la Sardaigne sont collées contre la France et qu’une faille passe par le nord de la Sardaigne et le Massif des Maures-Tanneron. Celle-ci est en fait une zone de suture entre deux continents, et c’est son existence qui m’incite à croire que la Corse et la Sardaigne se trouvaient bien là durant le Permien, alors que d’autres géologues les situent plus à l’ouest. Bien que l’essentiel des terres émergées aient été rassemblées dans un supercontinent, la Pangée, la France était un pays côtier. De plus, au début du Permien, l’océan rhéique, représenté sur la carte, se trouvait non loin à l’ouest. Il allait se refermer.
Le bassin d’Autun, au nord du Massif central, est né au Stéphanien (de 304 à 299 Ma). Il a 30 km de long sur 15 km de large, et les sédiments atteignent 1 200 m d’épaisseur. Il est bordé au sud par une faille de direction est-ouest, le long de laquelle le socle granitique descend brusquement. Celui-ci remonte ensuite lentement vers le nord. Au début du Permien, c’était un grand lac bordé par une végétation luxuriante qui a laissé des morceaux de bois silicifiés et des feuilles en compression ou impression. Ces débris végétaux sont mêlés à des sédiments détritiques provenant des montagnes voisines, dont des argiles, des grès et des galets, les grès rouges de Curgy marquant la fin de l’Autunien. On y trouve une grande abondance de fougères, de Callipteris conferta, une ptéridospermaphyte (fougère à graine) et de Walchia piniformis, qui était un conifère comme son nom l’indique. Du charbon et du « schiste bitumineux » ont été exploités dès le XVIIIe siècle. On y trouve aussi du « boghead » ou charbon d’algues.
Pour compléter ce tableau, il faut ajouter que ces sédiments comprennent des cendres volcaniques. Les fossiles de poissons et d’amphibiens sont abondants. Ils sont exposés au Muséum d’histoire naturelle d’Autun. La pièce la plus remarquable n’est autre qu’un fragment de requin ! C’est le premier requin paléozoïque trouvé en France. Ce fossile a été trouvé par Louis Agassiz à Muse, dans le bassin, en 1833. Il l’a identifié comme un « Pygopterus bonnardi », c’est-à-die un Actinoptérygien (un poisson, pour parler plus simplement). En 1893, Henri-Émile Sauvage comprit que c’était un Élasmobranche, une sous-classe comprenant les requins et les raies. Une récente étude l’a classé parmi les xénacanthes, un ordre éteint de requins d’eau douce d’environ un mètre de long. Le modèle que je montre (Triodus sessilis) vient du Permien d’Allemagne. La partie en couleur correspond à celle qui a été trouvée dans le bassin d’Autun.
Le bassin de Lodève (150 km²) est du plus haut intérêt, puisqu’il comporte une série sédimentaire continue allant à la fin du Stéphanien à la fin du Permien, permettant de suivre les changements climatiques que la France a connus durant cette période. Les premiers sédiments sont transportés par des rivières. Il y a des sédiments gris et des argiles rendues noires par les dépôts organiques. Les premiers sont composés d’illite et de kaolinite, deux argiles, de quartz et de feldspath potassique provenant de granites érodés, de dolomite (carbonate de magnésium et de calcaire) et de carbone organique. Ils indiquent une forte altération des roches.
La zone est alors occupée par des plaines alluviales et des lacs eutrophiques, où l’excès de manière organique conduit à un manque d’oxygène. Le climat est semi-humide avec des pluies saisonnières. La végétation est composée à 85 % de conifères. Viennent ensuite les sédiments rouges, dans un environnement devenu fluviatile, il y a 289 ± 6 Ma. Il y a des rivières en tresses et des plaines d’inondation. La kaolinite et les feldspaths potassiques sont absents et un oxyde de fer, l’hématite, donne leur couleur rouge à ces sédiments. La cristallisation d’albite, un feldspath sodique, et d’analcime NaAl(SiO3)2·H2O, témoigne aussi d’une oxydation croissante. Or l’analcime est un produit d’altération d’échardes de verre volcanique acide, ce qui nous rappelle qu’au Permien, les volcans ne sont jamais très loin. Les sols peuvent se dessécher totalement, comme l’indiquent les fentes apparaissant sur des sols argileux et des calcisols, des sols comprenant des dépôts de calcaire. L’aridification se poursuit avec la disparition complète des sédiments gris, mais des rivières continuent à apporter des sédiments rouges. Il y a des plaines d’inondation avec des étangs remplis périodiquement, où l’on voit des traces de crustacés, les Laevicaudata et les Triopsidae, et de tétrapodes. Les restes de plantes sont rares.
L’aridité atteint son maximum avec les sédiments du lac du Salagou dans l’Hérault. Il pleut toujours, mais de manière épisodique et violente. Les sédiments ont enregistré des traces de pluie ! Des terriens creusés par des invertébrés peuvent être observés, notamment les Scoyenia. Attention, ce nom n’a pas été donné à des animaux, mais seulement à des traces appelées des ichnofossiles. Les Scoyenia sont typiques des milieux fluviatiles et lacustres. Plus tard, il y a 284 ± 4 Ma, les calcisols sont remplacés par des vertisols rouge-brun, en silt (sable très fin) argileux, et des couches centimétriques de silts à calcaire avec des fentes de dessication. Les derniers sont interprétés comme des dépôts d’inondations brèves et exceptionnelles. Il n’y a plus de racines de plantes ni de traces d’invertébrés comme Scoyenia. Les organismes aquatiques peuplent des chenaux temporairement remplis.
La situation s’améliore ensuite. La fin du Permien est marquée par des dépôts fluviatiles grossiers. Des rivières en tresses apportent des galets, ce qui implique que leur débit soit important, grâce à d’abondantes précipitations. Le paysage devient une plaine alluviale. Les arbres sont de retour et un nouveau tétrapode laisse ses empreintes. C’était un pélicosaure de 4 mètres de long semblable à Cotylorhynchus, dont les os ont été retrouvés dans des sédiments d’inondation. Cette ré-humidification de la France est attribuée à l’arrivée d’une mer en Allemagne, celle du Zeichstein, il y a environ 260 Ma.
Les éruptions volcaniques ont commencé en Corse et en Provence il y a environ 270 Ma. Les massifs du Cinto, jusqu’à la réserve de Scandola, et celui de l’Estérel, sont constitués de laves qui sont en majorité de la rhyolite. Pire, il y a des ignimbrites. Ce mot, qui signifie « pluie de feu », devrait faire frémir ! Les ignimbrites sont des écumes ou des mousses de magma émis à très haute température et à des vitesses dépassant les 720 km/h. Quand elle tombe, contrairement aux nuages de cendres habituels, elle forme une roche résistante à l’érosion qui se distingue difficilement de coulées de lave. On y trouve des ponces ou échardes de verre, mentionnées plus haut dans la présentation du bassin de Lodève.
Il ne se produit en moyenne qu’une seule éruption d’ignimbrite par siècle. La dernière était celle du volcan Katmaï en Alaska, du 6 au 8 juin 1912. Les volcanologues estiment que le mont Cinto a émis entre 1 500 et 2 500 km³ de produits volcaniques durant sa période d’activité, jusqu’à la fin du Permien. On pourrait objecter que ce massif ne devrait pas culminer à 2 710 m d’altitude. Depuis tout ce temps, il aurait dû être aplani par l’érosion. S’il se trouve actuellement à une telle hauteur, c’est grâce aux événements tectoniques qui ont accompagné la formation des Alpes. Enfin, des laves permo-carbonifères, dont des rhyolites, des dacites (un peu moins acides) et des ignimbrites, figurent dans les Pyrénées. Les premiers épisodes volcaniques sont dus au jeu de la Faille Nord-Pyrénéenne, le bloc ibérique se déplaçant vers le nord-ouest. Les Vosges du Nord et le centre de la Forêt-Noire possèdent également des rhyolites du début du Permien. C’est dire combien le volcanisme était répandu.
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