Histoire de la Terre et de la vie - Actualités géologiques

Monde

Le sill de Palisades dans le New Jersey

Éboulement du sill de Palisades. Photo de Bill Menke.
https://www.nytimes.com/2012/06/21/nyregion/along-the-hudson-a-rare-fallen-slab-jolts-a-landscape-of-towering-cliffs.html

La photo montre une falaise, le sill de Palisades, qui surmonte la rive droite de la rivière Hudson sur 95 km. Celle-ci constitue une frontière naturelle entre les États du New Jersey et de New York. On ne le croirait pas en la voyant, mais cette zone est l’une des plus urbanisées des USA. Manhattan se trouve au sud de la falaise, sur la rive gauche de la rivière. La photo a été prise face à l’est. Elle montre un éboulement qui s’est produit le 12 mai 2012. Comme toutes les falaises, elle est soumise à l’érosion. Grâce à cet événement, on peut voir la couleur de la roche non altérée : elle est gris clair. Remarquez que le pied de la falaise est entièrement recouverts par des éboulis anciens, mais qu’ils sont dissimulés par la végétation.

Diabase du sill de Palisades. Photo de Michael P. Klementz.
http://earthphysicsteaching.homestead.com/Diabase.html

Pour comprendre ce qu’est le sill de Palisades, il faut élargir son point de vue et remonter dans le temps, jusqu’à l’époque de la Pangée. Durant le Permien, l’Amérique du Nord est collée contre l’Afrique, la région de New York se trouvant à la frontière entre le Maroc et le Sahara espagnol. Le Permien est une période d’érosion pour les Appalaches, au nord desquelles cette région est située. Durant le Trias, une distension réactive une faille qui existait avant même la surrection des Appalaches : la faille de Ramapo. Elle est représentée à gauche sur la coupe géologique. Cette distension, prélude à l’ouverture de l’Atlantique central, fait glisser et s’enfoncer le bloc oriental sur une profondeur de neuf kilomètres. Le bassin de Newark se crée alors. Il est situé dans le New Jersey, à l’ouest du sill de Palisades. À mesure qu’il s’enfonce, il se remplit de sédiments détritiques, produits par l’érosion des hauteurs avoisinantes, qui se déposent sur le socle de gneiss et de schistes. Des argiles, des silts et des sables créent la formation de Stockton, datée de 237 à 207 ± 5 Ma. Elle est intercalée avec la formation de Lockatong, considérée comme lacustre ou littorale. La formation de Passaic, datée de 225 à 190 ± 5 Ma, est composée de grains globalement plus fins, mais elle comporte des lits de grès et de conglomérats, qui sont des sables et des galets cimentés. Ces sédiments sont teintés en rouge par des oxydes de fer, grâce à un climat subtropical humide. Des lits exposés à l’air libre ont des rides de courant (comme ceux observés sur les plages), des fentes de dessiccation et des empreintes de dinosaures. Très peu de fossiles ont été trouvés.

Coupe géologique de l’U.S. Geological Survey.

C’est dans ces roches que des intrusions de magma se produisent. La région est un rift. La croûte continentale se déchire, mais cela n’aboutira pas à la formation d’un océan. Ce rift deviendra inactif. L’Atlantique est en train de s’ouvrir plus à l’est. Quand du magma s’introduit entre des strates de roches sédimentaires, il devient un sill. Celui de Palisades a environ 340 mètres d’épaisseur et a été daté de 201 Ma, soit presque à la limite entre le Trias et le Jurassique. Il doit son nom au fait que la roche en cours de refroidissement s’est craquelée en formant des prismes réguliers. À cause de sa température élevée, le magma a provoqué un métamorphisme thermique des sédiments composant le plancher et le toit du sill. Une partie de ces sédiments, qui sont riches en quartz, a fondu, provoquant un enrichissement du magma en silice. Cette contamination d’un magma par des roches de la croûte continentale est fréquente. En moyenne, les roches du sill contiennent 54,6 % de silice, ce qui les fait tomber dans la catégorie des andésites basaltiques. Originellement, le magma avait la composition d’un basalte tholéiitique, la roche qui constitue le plancher des océans. Du magma est arrivé en surface lors d’éruptions volcaniques et forme actuellement les monts Orange, Preakness et Hook, indiqués sur la coupe géologique. Ces coulées de basaltes sont intercalées avec des roches sédimentaires, les formations de Feltville, Towaco et Boonton. Comme ces roches sont moins résistances à l’érosion que les basaltes, ceux-ci apparaissent en surplomb. C’est également ce qui est arrivé au sill de Palisades. Évidemment, on ne peut en voir qu’une partie.

Un magma ne se solidifie pas d’un seul coup, comme de l’eau qui se transforme en glace. Si le refroidissement est assez lent, comme cela s’est produit avec le sill de Palissades, des cristaux apparaissent et « nagent » dans le liquide. Celui-ci était animé d’une convection importante, évaluée à 5 millimètres par seconde, qui l’homogénéisait. Il y avait une forte dissipation de chaleur au plancher et au toit du sill, grâce à la différence de température entre le magma et les roches encaissantes. Des minéraux y ont cristallisé en formant une « bordure figée » : de l’augite (un clinopyroxène), de l’orthopyroxène, du plagioclase, ainsi que des quantités variables d’olivine. Ce sont des minéraux qui apparaissent normalement dans un magma basaltique. Entre ces cristaux, il resté un liquide interstitiel qui a été solidifié. La bordure figée est épaisse de dix mètres au plancher et d’un mètre au toit. Les cristaux ont continué à s’accumuler en bas et en haut du sill et la solidification s’est terminée dans l’horizon-sandwich, entre 290 et 305 m au-dessus du plancher. On estime que ce processus a duré un millier d’années. La taille des cristaux va de 50 µm près des bordures à 1 mm dans l’horizon-sandwich.

La composition des roches varie du plancher à l’horizon-sandwich. Toutes contiennent du plagioclase, des pyroxènes et des oxydes de fer et de titane. Dans la formation de plancher, de 9 à 290 m, il y a une couche à olivine de 9 à 19 m, puis une couche pauvre en olivine de 19 à 256 m. L’apatite apparaît au-dessus de 134 m, la biotite (mica noir) au-dessus de 165 m, le zircon et la titanite au-dessus de 228 m. Ces cristaux de zircon ont permis la datation du sill. De l’eau très chaude a circulé dans des fissures de la roche après sa solidification, provoquant une transformation des minéraux. L’altération hydrothermale est devenue importante à partir de 256 m, marquant fortement l’horizon-sandwich. Ainsi, les pyroxènes ont été remplacés par des amphiboles et le plagioclase a été séricité (la séricite est un mica). L’horizon-sandwich comporte des poches de granophyres avec des cristaux de quartz et de feldspath alcalin. C’est le résultat de la cristallisation fractionnée, qui a produit un liquide plus riche en silice que le magma originel. Il avait plus de 62 % de silice. À cause de ces variations de composition, je ne peux pas dire quelle est la roche photographiée en gros plan. Elle est présentée comme une dolérite, mais la vraie dolérite est une roche filonienne basaltique et est plus sombre. L’altération (chloritisation et serpentinisation) lui donne une couleur verdâtre. Elle est alors qualifiée de diabase.

La cristallisation fractionnée et l’altération hydrothermale ne suffisent pas à expliquer ces variations pétrologiques. Il faut supposer que quatre injections successives de magma se sont produites. La seconde injection a eu lieu après la formation de la bordure figée inférieure. La couche à olivine s’est déposée directement dessus. Après la quatrième injection, le sill s’est comporté comme un système fermé.

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