Sur les hauteurs de l’Oural septentrional, sept immenses rochers se dressent sur une crête dénudée à plus de 700 mètres d’altitude. Ils ont entre 30 et 42 mètres de haut. Dans la langue mansi, qui appartient à la famille finno-ougrienne, cette crête est appelée la « Petite montagne des idoles », Man Pupu Nyor. On désigne ces rochers comme les Sept géants de l’Oural. Ils se trouvent à 62°15’ de latitude Nord et 59°17’ de longitude Est, entre la rivière Ilych et le fleuve Petchora, à seulement quelques kilomètres à l’ouest de la frontière entre l’Europe et l’Asie. Ce territoire désertique est situé dans une réserve naturelle, dont l’accès ne peut se faire qu’avec un laissez-passer. Cela demande une longue et difficile randonnée, mais un voyage en hélicoptère est possible. Depuis 2007, ces rochers sont considérés comme l’une des sept merveilles de la Russie.
Leur première description en a été faite en allemand par A. Keyserling, en 1846. Depuis, de nombreux géologues sont venus les examiner, mais ils sont longtemps restés mystérieux. Leur datation est difficile car ce ne sont pas des roches magmatiques. Elles sont d’origine sédimentaire. Elles ne comportent cependant aucun fossile qui donnerait une indication de leur âge. Il n’est pas rare que l’érosion de roches sédimentaires laisse des vestiges en forme de colonnes. Celles de la forêt minérale de Zhangzhajie en Chine du Sud en sont d’autres exemples. Ce n’est pas cela qui pose problème, mais l’âge et l’origine des sédiments qui le constituent.
Une analyse d’échantillons prélevés à la base des rochers a été effectuée en 2017, sous la direction de la géologue russe Anna Soboleva. Il s’agit de quartzite à mica. Une quartzite est composée en grande partie de grains de quartz soudés, si bien qu’elle a une couleur claire. Dans le cas présent, le quartz constitue 83 à 92 % du volume de la roche. On observe une alternance de bandes blanches en quartz pur de 0 à 20 mm de large et de bandes sombres n’excédant pas 2 mm de large. Les secondes comprennent de l’hématite (un oxyde de fer), une variété de mica appelée la muscovite et quelques minéraux accessoires : du zircon, de la tourmaline, de la chlorite, de l’apatite et de la fluorite. Les cristaux de muscovite, incolores ou verdâtres, se présentent en paillettes. Ils sont également désignés sous le nom de séricite à cause de l’aspect soyeux qu’ils donnent à la roche.
Ce quartzite à mica est un ancien grès qui a été légèrement métamorphisé. Sa stratification a été partiellement remplacée par une schistosité : un feuilletage dû à la transformation qu’il a subie. Ces roches sont celles de la crête, affleurant tout autour des Sept géants. Elles appartiennent à la formation Tel’posskaya notée O1tp sur la carte géologique ci-dessous, qui tient son nom de la rivière Tel’pos. Elles sont détritiques, c’est-à-dire qu’elles sont formées de débris de roches antérieures, détruites par l’érosion. La base de la formation était composée de pierres cimentées provenant forcément de montagnes situées dans les environs. Elles constituaient ce qu’on appelle un conglomérat. Les cristaux de zircon proviennent aussi de ces anciennes roches et ont l’avantage de pouvoir être datés. Les plus jeunes remontent au Cambrien (de 541 à 485 Ma). L’un d’eux date du début de l’Ordovicien (de 485 à 443 Ma). Cela implique que les roches sédimentaires de Man Pupu Nyor se sont constituées durant l’Ordovicien inférieur.
L’Oural n’existait pas encore à cette époque : cette chaîne de montagnes s’est élevée durant le Permien (de 299 à 252 Ma). Au cours du Trias (de 252 à 251 Ma), du volcanisme s’est produit tandis que l’érosion attaquait les montagnes. Pendant le Jurassique (de 201 à 145 Ma), la chaîne a été rajeunie. L’érosion l’a ensuite transformée en une pénéplaine. La formation des Alpes et de l’Himalaya a entraîné sa renaissance durant le Pliocène (de 5,3 à 2,6 Ma) et le Quaternaire (durant les derniers 2,6 millions d’années), une grande partie de l’Eurasie ayant été affectée par ces événements géologiques majeurs : de nouveaux sommets se sont élevés. Le plus haut s’élève aujourd’hui à 1 894 mètres d’altitude.
Les Sept géants ont bien été sculptés par l’érosion, mais certainement pas à la fin du Jurassique, quand l’Oural a commencé à être arasée. Ils n’auraient pas survécu durant 145 millions d’années. Pendant le Quaternaire, d’épaisses calottes glaciaires ont recouvert le nord de l’Europe et de la Sibérie et ont exercé une forte érosion, sans équivalent depuis le Jurassique puisque le climat était assez chaud. Actuellement, il n’y a plus de calotte glaciaire sur l’Eurasie. Il fait certes froid en hiver dans la région de Man Pupu Nyor, mais aucun glacier n’y est présent. Les Sept géants doivent sans doute leur existence à un soulèvement récent de leur crête, qui a exposé sa surface à l’érosion.
Il existe un réseau de failles décrochantes, qui sont visibles sur la carte géologique : ce sont les segments de droites noires numérotés 9. La croûte continentale est découpée en blocs qui ont coulissé les uns contre les autres le long de ces failles. Les Sept géants sont indiqués par trois triangles noirs numérotés 11. Autour d’eux, les anciennes roches devaient être fracturées d’une manière qui a contribué à leur donner leur forme. À cela, s’ajoutent de légères variations de composition minéralogique. Les roches des Sept géants étaient plus résistantes à l’érosion que les roches alentours.
Au nord-ouest de la formation Tel’posskaya, d’autres roches de l’Ordovicien sont présentes. La formation Khydeiskaya O2hd, plus récente, date de l’Ordovicien moyen. La frontière entre l’Europe et l’Asie, numérotée 10, traverse la formation riphéenne Sablegorskaya du Riphéen supérieur et du Vendien inférieur R3 –V1sb. Le Riphéen (de 1 650 à 650 Ma) et le Vendien (de 650 à 545 Ma) sont des divisions des temps géologiques utilisées en Russie. La seconde correspond à peu près à l’Édiacarien de la charte stratigraphique internationale. Toutes ces roches sont d’origine sédimentaire. Des roches magmatiques sont indiquées en noir : le complexe gabbroïque de Parnuk vV1p datant du Vendien inférieur et le complexe granitique de Saklaimsor O2-3sk datant de l’Ordovicien moyen et supérieur. Elles sont toutes des roches plutoniques qui se sont formées à des milliers de mètres sous la surface et ont été mises à l’affleurement par l’érosion. Le fleuve Petchora (Печoра) coule ici vers le sud, mais il se dirige ensuite vers la mer de Barents, qui borde la Russie au nord.
L’orogenèse ouralienne a résulté de la collision de la Laurussia, qui comportait une grande partie de l’Europe actuelle, le Groenland et l’Amérique du Nord, avec le continent Kazakhstania et le craton de Sibérie. C’est ainsi que s’est constitué le territoire de la future Eurasie. L’Oural est une zone de suture marquant la fermeture d’un océan dit Paléo-ouralien.
Les roches de Man Pupu Nyor et des formations environnantes racontent une histoire antérieure que l’on ne connaît pas encore de manière satisfaisante. Durant le Vendien, l’Europe était encore incomplète. Elle était réduite à la Baltica, un paléocontinent comprenant la péninsule scandinave, les pays baltes et la mer Baltique, ainsi que le nord-ouest de la Russie (péninsule de Kola comprise), la Biélorussie et le Nord de l’Ukraine. D’après Anna Soboleva, la Baltica est entrée en collision avec un autre continent, l’Arctica, durant le Cambrien. Des montagnes dites pré-ouraliennes et timaniennes se sont élevées. Leur érosion a produit d’abondants sédiments, mais ceux provenant de l’érosion de l’Oural les ont par la suite presque totalement recouverts. La ville de Perm’ a été bâtie dessus et a donné son nom au Permien. Les sédiments pré-ouraliens et timaniens affleurent néanmoins dans l’Oural. Ce sont probablement eux qui ont constitué, après un léger métamorphisme, la formation Tel’posskaya et donc les Sept géants de l’Oural.
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А.А. Соболева, В.А. Салдин, П.П. Юхтанов, Дж.К. Возраст нижнепалеозойских пород останцов выветривания хр. Маньпупунер (Северный Урал), Бюл. Моск. о-ва испытателей природы. отд. геол. 2017. т. 92, вып. 2.
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