La Lune est constellée de cratères dont on pourrait penser qu’ils ont été créés par des chutes continues de météorites depuis sa création, il y a plus de 4,456 milliards d’années. Cet âge est celui des plus vieilles roches que les missions Apollo ont rapportées sur Terre : de l’anorthosite constituant la première croûte. Ce que ces missions nous ont également appris, c’est que ces chutes de météorites sont anciennes. Elles se sont pour l’essentiel produites entre 3,92 et 3,85 Ga (milliards d’années). Le plus ancien de ces cratères est la mer des Nectars, Mare Nectaris en latin. Il s’agit d’un bassin d’environ 340 km de long rempli de basalte plus sombre que l’anorthosite de la première croûte. Cette période géologique lunaire est appelée le Nectarien.
Pourquoi la Lune est constellée de cratères
La Terre est née il y a 4,567 Ga par accrétion de corps semblables à des météorites appelées des chondrites à enstatite. Cet âge est en fait celui des plus anciens minéraux du Système solaire, trouvés dans des chondrites carbonées. Le bombardement de météorites que la Lune, et donc aussi la Terre, a connu durant le Nectarien, pourrait n’être que la fin de ce processus d’accrétion, les cratères plus anciens que la mer des Nectars n’ayant pas été conservés. Toutefois, cela impliquerait un bombardement continuel pendant 717 millions d’années, ce qui n’est pas vraisemblable. La quantité de matériaux tombés sur la Terre et son satellite serait trop importante. Une autre possibilité est que peu de temps après l’accrétion de la Terre, les chutes de météorites se sont raréfiées, mais qu’elles ont repris il y a 3,92 Ga, soit 647 millions d’années après la cristallisation des plus anciens minéraux. Dans la suite de cet article, cet événement sera désigné comme le temps zéro.
Dans ce cas, on parle d’un bombardement météoritique tardif. Il est expliqué par le modèle de Nice, selon lequel les planètes géantes ont migré quand Jupiter et Saturne sont entrées en situation de résonance : le rapport entre les périodes orbitales de ces deux planètes a atteint la valeur de 2. Neptune a alors déstabilisé un disque de planétésimaux qui se trouvait au-delà de son ancienne orbite. Une partie de ceux-ci ont migré vers le Système solaire interne. La Terre et la Lune ont été frappées, ainsi que Mercure, Vénus et Mars, mais la Terre et Vénus n’ont pas conservé de traces de ces impacts. Sur notre planète, la tectonique des plaques, l’érosion et la sédimentation les ont effacées. Le volcanisme de Vénus l’a totalement resurfacée il y a environ 700 millions d’années.
Des observations effectuées par des scientifiques japonais, publiées la revue Earth and Planetary Science Letters, vient semer le trouble, car elles montrent que l’astéroïde Vesta n’a pas non plus conservé de traces du bombardement météoritique tardif. Il n’y a pourtant, sur cet astre, ni tectonique des plaques, ni volcanisme. Il gravite à environ 2,3 unités astronomique du Soleil (soit 2,3 fois la distance Soleil-Terre) et son diamètre équatorial dépasse les 540 km. La sonde Dawn l’a observé de près en 2011 et 2012 et des météorites proviennent sans doute de lui. Les eucrites, notamment, ont une composition basaltique. Elles sont différentes des chondrites, qui sont des météorites primitives, parce que Vesta a connu un différenciation entre un noyau métallique et un manteau silicaté, de même que la Terre et les autres planètes du Système solaire interne. Il s’est recouvert d’une croûte basaltique, dont les eucrites sont des fragments éjectés lors d’impacts.
Datations de la météorite de Juvinas, fragment de la croûte de Vesta
Les différences avec les basaltes terrestres sont minimes. Une eucrite tombée près de Juvinas en Ardèche, le 15 juin 1821, comprend des cristaux de clinopyroxènes (pigeonite et augite) et de feldspath plagioclase. Les minéraux secondaires sont la chromite, l’ilménite, le zircon (silicate de zirconium), l’apatite et la merrillite. Les deux derniers sont des phosphates. La présence de zircon est inhabituelle dans du basalte mais elle est précieuse car elle permet une datation assez fiable par radiochronologie. Dans une étude publiée en 2013, les âges obtenus par la méthode plomb-plomb (expliquée ci-dessous) ont été de 4 545 ± 15 Ma (millions d’années), soit 27 ± 15 Ma après le temps zéro. Ces âges, rappelons-le, ne sont pas ceux de la formation de Vesta, mais de sa croûte basaltique, qui a été extraite du manteau silicaté après la différenciation de l’astéroïde.
Par suite du bombardement qu’il a subi, ses roches de surface ont été transformées en des brèches : ce sont des agglomérats de fragments. Il en est de même des roches lunaires. Les brèches monomictes et polymictes sont composées de fragments d’origines respectivement semblables et différentes. La météorite de Juvinas, dont la masse initiale connue était de 91 kg, est une brèche monomicte. Les cristaux sont entourés d’une matrice poreuse et il existe des zones recristallisées. En langage géologique, c’est du métamorphisme : à cause d’augmentations de température ou de pression, de nouveaux minéraux se sont formés. Mais tandis que le métamorphisme sur Terre est essentiellement dû à la tectonique des plaques (orogenèses, subduction), il a été causé sur Vesta par des impacts à l’origine de ses cratères.
Il est très important de préciser les diverses méthodes de datation utilisées, parce qu’elles ne donnent pas les mêmes résultats et que ces différences sont dues aux épisodes de métamorphisme. La méthode utilisée avec ces zircons repose sur la désintégration radioactive en plomb des noyaux d’uranium qui ont été incorporés dans le minéral lors de sa cristallisation, à la place des noyaux de zirconium. Comme le zircon n’incorpore pas de plomb, tous les atomes de plomb que l’on y trouve proviennent de la désintégration de l’uranium. Par une suite de réactions nucléaires, l’uranium 238 se transforme en plomb 206 avec une demi-vie de 4,47 Ga et l’uranium 237 se transforme en plomb 207 avec une demi-vie de 704 Ma. En géologie, on mesure habituellement les rapports 238U/206Pb et 235U/207Pb. Si les zircons n’ont pas perdu de plomb, ces mesures donnent des âges concordants. Cette méthode de datation est dite uranium-plomb.
En utilisant le fait que le rapport 235U/238U est actuellement égal à 138 partout dans le Système solaire, on peut ignorer les concentrations en uranium. On mesure alors les rapports 206Pb/204Pb et 207Pb/204Pb dans plusieurs échantillons, sachant que la concentration en plomb 204 ne varie pas dans le temps. C’est la méthode plomb-plomb, couramment utilisée pour dater les météorites. En 1996, une datation utilisant les cristaux de plagioclase et de pyroxène de la météorite de Juvinas a donné un âge de 4 320,9 ± 1,7 Ma (soit à peu près 246 Ma après le temps zéro). Cet âge trop faible résulterait d’un épisode de bréchification de la météorite, qui aurait remis à zéro l’horloge U-Pb grâce à une migration des atomes de plomb.
Les cristaux d’apatite Ca5(PO4)3(OH,Cl,F) et de merrillite Ca9NaMg(PO4)7 ont des propriétés similaires aux zircons. Ils incorporent des atomes d’uranium qui se transforment ensuite en plomb, si bien qu’ils peuvent également servir de chronomètres. Les chercheurs japonais ont effectué une série de datations avec ces minéraux, qui ont complété les datations effectuées antérieurement. Avec la météorite de Juvinas, les merrillites ont fourni un âge de 4 143 ± 12,5 Ma beaucoup plus récent que les apatites (4 516,9 ± 10,4 Ma, environ 50 Ma après le temps zéro), ce qui est un peu difficile à expliquer. Il s’est produit un événement thermique, environ 424 Ma après le temps zéro, qui a remis à zéro l’horloge U-Pb dans les merrillites mais pas dans les apatites. Les premières sont proches des cristaux de tridymite, qui est un polymorphe de haute température de la silice : de 870 à 1 470 °C à une atmosphère. Ensemble, les merrillites et les tridymites auraient enregistré le souvenir d’un impact. Le quartz, également présent dans la météorite, est un polymorphe de basse température. Ces cristaux paraissent associés aux apatites. Ils seraient par conséquent des reliques de l’époque antérieure à cet événement thermique.
Datations des météorites Camel Donga, Stannern et Agoult
Deux autres eucrites bréchifiées ont été examinées : Camel Donga, une brèche polymicte trouvée en Australie en 1984, et Stannern, une brèche monomicte tombée dans l’actuelle république tchèque en 1801. La première a clairement été très métamorphisée. Elle a la particularité d’avoir 2 % de fer métallique, qui pourrait résulter de la décomposition des sulfures et silicates de fer durant un épisode thermique. Cette roche aurait cristallisé il y a 4,564 Ga (3 Ma après le temps zéro) et aurait connu un métamorphisme à haute température il y a 4,53 Ga (37 Ma après le temps zéro). Les apatites ont fourni deux âges. Le premier, de 4,49 Ga, pourrait correspondre à la fin du refroidissement : les minéraux n’échangent plus d’atomes avec l’extérieur et deviennent des systèmes fermés. Le second, d’environ 4,37 Ga (197 Ma après le temps zéro), serait dû à un deuxième événement thermique qui a perturbé de manière incomplète le système U-Pb. Quant à la météorite Stannern, sa cristallisation de cette roche a été datée à 4,563 Ma (7 Ma après le temps zéro). Un événement métamorphique daté à 4,130 ± 12,5 Ma a été décelé à la fois dans les apatites et dans les merrillites, peut-être parce que le chauffage a été plus homogène que dans la météorite de Juvinas.
Une eucrite trouvée au Maroc en 2000, celle dite Agoult, n’a pas été bréchifiée. Elle a seulement subi une recristallisation, lors d’un métamorphisme s’est produit quelques millions d’années après sa formation, il y a environ 4 555 Ma (12 Ma après le temps zéro), et qui a été suivi d’un lent refroidissement. Ce basalte devait se trouver en profondeur dans la croûte de Vesta. La datation argon-argon lui a conféré un âge de 4 496 ± 8 Ma soit environ 70 Ma après le temps zéro, ce qui pourrait correspondre à la fin du refroidissement. Cette méthode repose sur la transformation par radioactivité bêta du potassium 40 en argon 40 (et aussi en calcium 40). On analyse soit la totalité de la roche, soit les feldspaths, puisque le potassium se concentre dans ces minéraux.
Cette même méthode paraît « rajeunir » les météorites. D’après elle, l’âge de la météorite de Juvinas est seulement de 4 Ga et celui de la météorite Stannern serait compris entre 4,5 et 3,6 Ga. Les chercheurs estiment que le système K-Ar de cette dernière a été très perturbé, peut-être à cause de l’évènement métamorphique qui s’est produit il y a 4,13 Ga. En revanche, la datation argon-argon aurait fourni un âge correct de 3,75 Ga pour la météorite Camel Donga. Cet événement l’a bréchifiée et n’a remis que l’horloge K-Ar à zéro.
En résumé, les dates obtenues dépendent de la méthode utilisée et des minéraux analysés, parce que les différentes parties de la roche n’ont pas enregistré les mêmes évènements, et pas de la même manière. Les résultats sont à prendre avec prudence. Une date fournie par la méthode argon-argon peut être totalement fausse. Mais dans la plupart des cas, les dates correspondent à la cristallisation de la roche, à un événement métamorphique ultérieur ou à un refroidissement. Beaucoup d’évènements se sont produits quelques millions d’années après le temps zéro, ce qui paraît naturel puisque, après l’accrétion initiale, les collisions restaient fréquentes. Mais il y a eu des impacts pendant une période que l’on pensait être relativement calme : il y a 4,37 Ga (Camel Donga), 4,14 Ga (Juvinas) et 4,13 Ga (Stannern). Quant au bombardement météoritique tardif, ces eucrites paraissent ne l’avoir pas connu.
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Mizuho Koike et al., Evidence for early asteroidal collisions prior to 4.15 Ga from basaltic eucrite phosphate U–Pb chronology, Earth and Planetary Science Letters 549, 2020.
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