Histoire de la Terre et de la vie - Actualités géologiques

Actualité

La Terre a pu avoir autant d’eau que maintenant dès sa naissance

Une morceau d'environ 10 cm de la météorite Sahara 97096, une chondrite à enstatite. Muséum d'histoire naturelle / Christine Fieni, Laurette Piani.

La Terre est une planète presque entièrement constituée de roches et de métaux. Les roches sont essentiellement des silicates : des oxydes de silicium. Ils sont associés à des éléments (tous des cations) comme l’aluminium, le magnésium, le fer, le calcium, le potassium, le sodium, etc. Ainsi, le manteau supérieur comporte de l’olivine, qui est un silicate de magnésium et de fer, et des pyroxènes. Ces derniers sont également des silicates, mais ils ont une structure cristalline différente de l’olivine. On distingue les orthopyroxènes et les clinopyroxènes. Ces minéraux si abondants dans les profondeurs de notre planète ne sont guère connus. L’olivine est utilisée en joaillerie sous le nom de péridot. La pierre appelée le jade comprend de la jadéite, qui est un clinopyroxène, et de la néphrite, qui appartient à une autre famille de silicates : les amphiboles. Les roches du manteau supérieur, essentiellement composées d’olivine et de pyroxènes, devant leur couleur vert olive au premier minéral, sont des péridotites.

Assez rapidement après la naissance de la Terre il y a 4,57 milliards d’années, le fer, le nickel et d’autres éléments sont tombés en son centre, sous l’effet de leur propre poids, pour former le noyau métallique. Sa surface se trouve à 2 900 km sous nos pieds. Il est resté entièrement liquide jusqu’à une période assez récente : entre 1,3 et 1 milliard d’après une récente estimation basée sur les propriétés du fer porté aux températures et aux pressions régnant dans la partie externe du noyau. La cristallisation du noyau interne ou graine joue un rôle dans la production du champ magnétique terrestre, indispensable à la vie, mais ce champ existait déjà quand le noyau était totalement liquide.

Cristal d’enstatite du district de Kilosa, région de Morogoro, Tanzanie. Dimensions 1,5 x 1,2 cm. @ John Sobolewski.

Les chondrites, météorites primitives

L’étude de la composition globale de la Terre a conduit à penser qu’elle a été créée par agglomération des météorites d’un type primitif : des chondrites. En astrophysique, ce processus est appelé l’accrétion. Les chondrites comportent des sphérules d’un à plusieurs millimètres de diamètre, les chondres, pris dans une matrice (ou mésostase) d’aspect parfois bréchique. Ces chondres peuvent être eux-mêmes déformés ou cassés, ce qui montre que les chondrites sont des débris de corps plus grands mais bel et bien primitifs. Ils n’ont pas connu de différenciation entre manteau silicaté et noyau métallique. Les météorites de fer et les achondrites, dépourvues de chondres, sont des débris de planétésimaux ou d’astéroïdes différenciés.

Les chondres comprennent en premier lieu de l’olivine et en second lieu des pyroxènes, ainsi que des globules d’alliage fer-nickel et des sulfures. Il y a aussi une fraction de verre. Sa présence montre que les chondres ont été des gouttes de magma « flottant » dans l’espace, dont la cristallisation n’a pas été complète. Leur origine reste assez mystérieuse. La matrice comporte des grains très fins, beaucoup de globules d’alliage fer-nickel, des sulfures, de l’eau et des molécules organiques associées à des phyllosilicates hydratés : argiles et serpentine (un minéral produit sur Terre par l’altération de péridotites). On voit ainsi qu’une chondrite contient tous les éléments nécessaires pour former une planète tellurique.

Cristal de forstérite (olivine magnésienne dépourvue de fer) de l’île St John, Mer Rouge, Égypte. Dimensions 2.4 x 2 x .6 cm. @ Rob Lavinsky, iRocks.com – CC-BY-SA-3.0

La composition des chondrites varie toutefois avec la distance au Soleil. Celles qui proviennent d’une région du Système solaire située jusqu’à l’orbite de Mars contiennent plus de 90 % de chondres et ils ont tendance à être petits. On les appelle les chondrites à enstatite, du nom de leur principal minéral, un orthopyroxène. Les compositions isotopiques de l’azote, de l’oxygène, du titane, du chrome et du nickel rappellent celles de ces éléments sur la Terre et sur Mars. On admet donc que ces deux planètes se sont formées par accrétion de corps semblables. Les globules de métal et les sulfures de fer, de manganèse et de magnésium sont abondants. L’environnement était donc très réducteur, sans doute à cause de la présence d’hydrogène.

Le problème de l’origine de l’eau terrestre

Les chondrites à enstatite contiennent très peu d’eau : entre 0,05 et 0,1 %. Le problème est de savoir si ce faible taux est suffisant pour expliquer la petite quantité d’eau que contient notre planète. La masse des océans représente 0,023 % de sa masse totale, mais à cela, il faut ajouter l’eau du manteau terrestre, dont il est évidemment très difficile de connaître la quantité. On sait que les roches de la zone de transition, entre 410 et 660 km de profondeur, sont hydratées. Compte tenu de ce réservoir, la Terre pourrait contenir jusqu’à 0,1 % d’eau, voire jusqu’à 0,39 % selon l’estimation la plus haute (près de 17 fois la masse des océans). Dans le dernier cas, l’apport des chondrites à enstatite serait très insuffisant, d’autant plus que, lors de l’accrétion, une grande partie de cette eau a été perdue. Bien d’autres substances volatiles ont dû s’évaporer dans l’espace.

Quoi qu’il en soit, durant les premiers millions d’années de la Terre, ces substances ont dû monter vers la surface, d’autant plus facilement que le manteau n’était pas encore totalement solidifié. Un océan de magma a subsisté en surface jusqu’il y a 4,4 milliards d’années, et peut-être un autre, à la base du manteau, a-t-il duré encore plus longtemps. Il s’est produit un intense dégazage. Une épaisse atmosphère de vapeur d’eau, de dioxyde de carbone et d’autres gaz a recouvert la Terre. Encore maintenant, les volcans continuent à rejeter ces gaz. On y trouve de l’hélium 3, nécessairement présent dès le début de l’histoire de la Terre.

Des corps provenant d’au-delà de l’orbite de Mars ont pu apporter un complément d’eau sur la Terre. La ligne des glaces y est située. L’eau était présente à l’état solide lors de la formation du Système solaire, si bien qu’elle a pu participer à l’accrétion, avec d’autres composés volatils : dioxyde de carbone, méthane ou ammoniac. Les chondrites carbonées sont nées loin du Soleil. Elles ont peu de chondres, voire pas du tout. La matrice occupe plus de 30 % de ces météorites. Le fer y est oxydé, inclus dans les silicates. On sait que la Terre a subi d’abondantes chutes de météorites après la différenciation manteau-noyau et qu’elles ont apporté certains éléments, comme les platinoïdes, qui sont restés dans le manteau. Elles ont très bien pu apporter de l’eau. Ce flux de météorites est estimé à 0,45 % de la masse totale de la Terre.

Les comètes sont bien connues pour contenir de l’eau, mais elles n’ont pas pu apporter plus de 10 % de l’eau terrestre. C’est le rapport deutérium/hydrogène D/H qui permet de l’affirmer. Il est supérieur à 290 millionièmes pour les comètes, alors qu’il est de 155,7 millionièmes pour l’eau des océans. Les chondrites carbonées ont un rapport D/H à peu près égal à ce dernier. Il est donc possible qu’elles soient à l’origine de l’eau terrestre.

Les chondrites à enstatite témoignent d’un environnement plus riche en eau qu’on ne le pensait

Cette hypothèse vient d’être remise en question par une équipe du Centre de recherches pétrographiques et géochimiques du CNRS et de l’université de Lorraine, dirigée par Laurette Piani. Elle a mesuré la concentration en hydrogène et le rapport D/H dans treize chondrites à enstatite. Ce sont des météorites rares, puisqu’elles représentent seulement 2 % des chutes. Les scientifiques n’ont pas mesuré seulement les concentrations en eau. Ils ont cherché toutes les phases contenant de l’hydrogène. Il y en a dans la matrice, mais aussi dans la matière organique insoluble. Ils ont trouvé que la concentration en hydrogène des chondrites à enstatite permettait de former 3 à 4,5 fois la masse des océans. Mais si l’une de ces météorites, appelée Sahara 97096, a un caractère véritablement primitif, c’est plus de 14 fois la masse des océans qui pourrait être formée. Elle comporte 0,47 % d’eau. Ainsi, il n’est plus nécessaire de supposer un apport d’eau venu d’au-delà de la ligne des glaces, d’autant plus que le rapport D/H de l’hydrogène des chondrites à enstatite correspond au rapport D/H de l’eau du manteau terrestre.

Cependant, l’eau des océans a un rapport D/H légèrement supérieur à celui de l’eau du manteau. Les auteurs de l’étude ont expliqué cet enrichissement par un faible apport externe : 4 % de l’eau des océans pourrait provenir de chondrites carbonées du type Ivuna. Elles sont dépourvues de chondres et ont une composition très proche de la surface du Soleil. Cet apport a dû être assez tardif pour qu’il n’y ait pas eu d’homogénéisation entre le manteau et la surface de la Terre.

****************************************************************************************

Laurette Piani et al., Earth’s water may have been inherited from material
similar to enstatite chondrite meteorites, Science, 28 August 2020.

https://science.sciencemag.org/content/369/6507/1110

Leave a Reply