Après l’Ordovicien, vient le Silurien, le troisième système du Phanérozoïque, décrit par le géologue écossais Roderick Murchison en 1839. Son nom vient de la tribu celtique des Silures ayant vécu au sud du Pays de Galles, où ce système a été défini. À cette époque, on considérait que les strates ordoviciennes en faisaient partie. L’Ordovicien a été défini en 1879 par Charles Lapworth. En France, les géologues ont longtemps continué à utiliser le terme de Gothlandien pour désigner le système silurien, d’après l’île suédoise de Gotland (ou Gothland), sur la mer Baltique. Elle est entièrement constituée de roches siluriennes. En France, celles-ci sont très rares et contiennent peu de fossiles. Elles se trouvent dans le Cotentin, le Massif Armoricain, les Pyrénées et le Languedoc. Ce qu’Albert de Lapparent appelle le Silurien dans son traité de 1893, c’est le Cambrien, l’Ordovicien et le Gothlandien.
Le Silurien, période de 24 millions d’années allant de 443 à 419 Ma, a été divisé en quatre séries que sont le Llandovery (de 443 à 433 Ma), le Wenlock (de 433 à 427 Ma), le Ludlow (de 427 à 423 Ma), définies au Pays de Galles, et le Pridoli (de 423 à 419 Ma), défini en Bohême – son nom est celui d’un bourg. La carte géologique du Pays de Galles montre que les strates de l’Ordovicien et du Silurien affleurent sur une grande partie de ce territoire et l’on y voit la ville de Llandovery, située à la limite entre les deux systèmes. Elle est définie par la radiation d’une famille de graptolites appelée les monograptidés, plus particulièrement de l’apparition parmi elle de l’espèce Parakidograptus acuminatus. Ces animaux ont beaucoup souffert de l’extinction de la fin de l’Ordovicien, mais ils ont retrouvé leur diversité durant le Silurien. L’apparition de Monograptus uniformis marque le début du système suivant, le Dévonien (de 419 à 359 Ma).
La paléogéographie du Silurien
Au début du Silurien, les continents Laurentia, Baltica et Siberia sont encore isolés, mais l’océan Iapetus poursuit sa subduction. À la fin de l’Ordovicien, un terrane (un micro-continent) détaché du Gondwana s’est arrimé à la Laurentia. Il en était séparé par la « mer de Tornquist ». Défini en 1982, il a été nommé d’après la péninsule d’Avalon, dans l’île de Terre-Neuve (Newfoundland) au large de l’Amérique du Nord. Il comprenait l’est de Terre-Neuve, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, les zones côtières de l’est des États-Unis, l’Angleterre et le Pays de Galles, le sud-est de l’Irlande, la Belgique et des parties de l’Allemagne septentrionale et du nord-ouest de la Pologne. La suture de la mer de Tornquist, c’est-à-dire la ligne le long de laquelle l’Avalonia s’est arrimé à la Baltica, est visible en Allemagne et en Pologne. Du côté méridional, l’Avalonia était séparé du Gondwana par l’océan Rhéique. Sa suture n’est pas clairement visible car elle a été brouillée par l’orogenèse hercynienne.
Au cours du Silurien, c’est donc le bloc Baltica-Avalonia qui s’est rapproché de la Laurentia. La collision de l’Avalonia et de la Laurentia s’est produite à la fin du Silurien et au début du Dévonien, avec l’assemblage des futures îles britanniques. La suture du Iapetus est visible en Irlande et en Écosse. Le territoire irlandais est majoritairement constitué de roches sédimentaires formées dans cet ancien océan. La marge laurentienne occupe le nord-ouest de l’île et la marge avalonienne n’apparaît que dans une zone très réduite, autour du port de Rosslare. Les montagnes qui se sont élevées sont dites calédoniennes, d’après le nom latin de l’Écosse, la Calédonie.
Un fait remarquable est que les territoires ainsi constitués sont traversés de longues failles qui s’étendent à travers Terre-Neuve, l’Irlande et l’Écosse. La plus visible est celle du Great Glen, entre les estuaires de Lorn et du Morey. Elle sert de frontière entre les Highlands du nord-ouest et les Monts Grampians – qui existent aussi en Irlande. Des lacs allongés la remplissent, dont le fameux loch Ness. La ligne de faille des Highlands (Highland Boundary Fault), au sud, entre l’estuaire de la Clyde et Stonehaven, sépare les Highlands des Lowlands. À leur tour, les Central Lowlands, au sud des Grampians, sont séparés des Southern Uplands, qui sont la partie la plus méridionale de l’Écosse, par la ligne de faille des Uplands (Southern Uplands Fault). Elle se poursuit jusqu’en Irlande, au sud de la Midland Valley. C’est là que se trouve la suture du Iapetus. Ces failles étaient originellement senestres parce que vers la fin de la collision, l’Avalonia s’est mis à glisser contre la Laurentia vers l’est. La collision n’a pas été frontale.
On peut également mentionner le célèbre chevauchement du Moine (Moine Thrust), tout au nord de l’Écosse, décrit par Ben Peach et John Horne en 1884. À Knockan Crag, des calcaires du Cambrien âgés d’environ 500 millions d’années sont surmontés de schistes âgés d’un milliard d’années. Ceux-ci appartient à un groupe de roches dites moiniennes constituées de schistes et de gneiss datés de 1400 à 740 Ma, métamorphisées il y a un milliard d’années. Le chevauchement du Moine proprement dit fait partie d’une zone de 190 km de long qui était le front de l’orogenèse calédonienne. Les roches moiniennes ont été poussées sur le bouclier hébridien, à l’extrême nord-ouest de l’Écosse, sur des dizaines de kilomètres. Juste au-dessus des calcaires cambriens, les schistes ont été transformés par le cisaillement qu’ils ont subi : ils sont devenus des mylonites. Ce phénomène est daté à 420 Ma.
De ces montagnes qui étaient sans doute aussi hautes que l’Himalaya, il ne reste plus que leurs racines. Elles étaient situées en zone équatoriale, si bien qu’elles recevaient d’abondantes pluies. L’érosion était intense. Durant le Dévonien, le continent formé par l’amalgamation de la Laurentia et de la Baltica-Avalonia, la Laurussia, a été recouvert de grès rouges produits par cette érosion. On les trouve jusque dans l’archipel du Svalbard, au nord de la Norvège. Ce territoire, qui faisait partie de la Baltica, a heurté la Laurentia du côté de l’actuel Groenland. D’impressionnants plissements sont visibles à l’est du Groenland, notamment dans le fjord du Roi Oscar.
La Laurussia ne doit pas être confondue avec la Laurasie, continent issu de la rupture de la Pangée durant le Mésozoïque. Pour les distinguer, il suffit de savoir que l’Asie n’existait pas durant le Paléozoïque. Il n’y avait que la Siberia, qui était isolée. Tous les autres micro-continents qui allaient plus tard s’agréger à la Siberia se trouvaient sur la marge gondwanienne, du côté de l’Australie, ou commençaient à dériver dans les océans.
La faune du Silurien
L’extinction de la fin de l’Ordovicien a été fatale à la faune cambrienne mais pas aux trilobites apparus après le Cambrien. La diversification des animaux du Silurien est faible par rapport à la grande diversification de l’Ordovicien, qui reste la plus importante de tout le Phanérozoïque. Au début du Silurien, la calotte glaciaire qui s’était installée sur le Gondwana régresse et le niveau des mers remonte. Des sédiments glaciaires sont connus jusqu’au Wenlock au Brésil. Ils disparaissent ensuite et le climat redevient globalement plus chaud. Les coraux tabulés et rugueux, mais aussi les algues et les stromatopores, construisent de grands récifs sur les plateaux continentaux intertropicaux, où la sédimentation détritique est faible. Jusqu’à l’édification de la chaîne calédonienne, il n’existe pas de longs fleuves comme le Mississippi ou le Nil, transportant des alluvions sur de grandes distances. La faune marine circule aisément d’un continent à l’autre, si bien qu’elle est cosmopolite, sauf en de rares endroits comme au nord de l’actuelle Mongolie.
Trois extinctions mineures ont été observées dans les mers : les événements Ireviken il y a 433 Ma, à la limite entre le Llandovery et le Wenlock, Mulde au début du Ludlow et Lau vers la fin de la même série. Ils doivent leurs noms à des localités du Gotland. On sait que la première a été causée par une anoxie des mers. Le deuxième comporte en fait trois brèves extinctions avec une chute et une remontée du niveau des mers d’au moins 16 mètres durant 30 000 ans. Lennart Jeppsson et Mikael Calner ont identifié en 2003 une petite glaciation qu’ils ont appelée Gannarve.
Les mollusques apparus durant l’Ordovicien continuent à peupler les zones côtières et les mers peu profondes. Les nautiloïdes géants, bien qu’affectés par la crise Ordovicien-Silurien, continuent à exister. Le genre Cameroceras s’éteint durant le Wenlock. De formes variés, les nautiloïdes ont des coquilles droites, incurvées ou spiralées apparues durant l’Ordovicien. Les animaux à coquilles du Silurien sont cependant des brachiopodes en grande majorité. On en connaît cinq ordres. Leur prédominance sera érodée au profit des mollusques à partir du Dévonien et prendra fin durant la crise Permien-Trias. Les crinoïdes, qui sont des échinodermes, se diversifient également beaucoup durant le Silurien. Ces animaux ressemblant à des plantes formaient des prairies sous-marines qui se sont transformées en couches de calcaire.
L’animal emblématique du Silurien est l’eurypterus, plus précisément l’espèce Eurypterus remipes, apparu durant le Wenlock. C’est un scorpion de mer découvert en 1818 dans l’État de New York et décrit en 1825. Il avait une longueur moyenne de 20 centimètres mais pouvait atteindre un mètre. C’est beaucoup mais les hommes n’auraient pas à le craindre s’il vivait toujours aujourd’hui. Contrairement à ce que son surnom laisse entendre, il n’avait probablement pas de venin, même si son corps se terminait par un appendice pointu. On pense qu’il était omnivore et qu’il attrapait de petites proies avec ses paires d’appendices antérieurs. Cependant, d’autres euryptérides plus grands sont apparus par la suite, comme l’espèce Pterygotus grandidentatus, atteignant 1,75 mètre, et Acutiramus bohemicus, dépassant les 2 mètres. Les euryptérides ont continué à grandir au début du Dévonien, jusqu’au moment où ils ont été concurrencés par les poissons.
Les « poissons sans mâchoire » ou agnathes étaient présents durant l’Ordovicien. Ils proliférèrent durant le Silurien. Premiers vertébrés pourvus d’un crâne, leur partie antérieure portait une carapace tandis que leur partie postérieure restait flexible pour leur permettre de se déplacer. Les hétérostracés apparurent il y a 438 Ma, durant le Llandovery. Ils avaient un grand bouclier céphalique osseux, une bouche située au-dessus de la tête et des écailles osseuses articulées recouvrant leur corps aplati. Un exemple est Pteraspis, trouvé en Belgique et en Angleterre. Les ostracodermes, les plus évolués des agnathes, sont apparus il y a 428 Ma, à la fin du Wenlock. Leur bouclier céphalique avait la forme d’un fer à cheval et se développait rapidement quand le poisson atteignait l’âge adulte. Certains avaient des nageoires pectorales et une nageoire dorsale. Les galéaspides, un peu plus anciens, n’avaient pas de nageoires et vivaient dans les eaux marines et douces de ce qui est maintenant le sud de la Chine, le Tibet et le Vietnam. Contrairement à tous ces poissons, les anaspides, comme Birkenia elegans trouvé dans le Lanarkshire en Écosse, ne possédaient pas de bouclier céphalique. Il était dépourvu de nageoires latérales et avait de 2 à 10 cm de long. Il devait se nourrir en filtrant l’eau.
Les premiers poissons à mâchoire datent de la toute fin du Silurien. Ce sont des placodermes, proches d’agnathes appelé les thélodontes. On peut citer Entelognathus primordialis découvert en 2013 dans la province chinoise du Yunnan, dont le nom de genre signifie « mâchoire complète ». Ce poisson de 20 centimètres de long, qui a été excellemment conservé, avait des plaques osseuses autour de la tête et de son front, comme les placodermes, mais sa mâchoire et sa structure faciale étaient différentes. C’était un arrangement complexe de petits os : l’os de la mâchoire inférieure, les deux os de la mâchoire supérieure et le maxillaire.
La conquête des terres émergées par les plantes
Des plantes encore primitives ont commencé à s’installer sur les terres pendant l’Ordovicien. On dispose de fossiles ressemblant à des spores d’hépatiques dont l’âge remonte à 473 Ma. Les premières preuves irréfutables de l’existence des plantes terrestres datent de la fin du Silurien. En 1976, John Douglas du Geological Survey of Victoria en Australie a trouvé les restes d’une flore portant le nom de la plante la mieux représentée : Baragwanathia. C’était une plante herbacée et vasculaire, c’est-à-dire qu’elle disposait de vaisseaux lignifiés conduisant la sève brute. Elle appartenait au groupe des ptéridophytes, comprenant les fougères, les prêles, les sélaginelles et les lycopodes. À cette découverte, s’ajoutent des restes de cuticules à stomates. La cuticule est une cire protégeant les plantes de la dessication. Les échanges de gaz avec l’extérieur se font par des stomates qui peuvent être fermées.
En 1980, D. Edwards du Trinity College de Dublin a annoncé la découverte de sporanges (les organes producteurs de spores) de plantes ressemblant à ceux du genre Cooksonia en Irlande, or ce genre avait été découvert dans les strates du Dévonien en 1937 et ces nouveaux sporanges étaient datés du Wenlock. De plus, les Cooksonia étaient des plantes vasculaires. On pouvait donc admettre qu’elles avaient existé dès le Silurien, il y a environ 427 Ma. Cela autorise à penser qu’il existait des paysages comme celui représenté par Richard Bisley. Ces prairies fournissaient le gîte et la nourriture à des arthropodes. Une sorte de mille-pattes appelé Pneumodesmus a été trouvé par un chasseur de fossiles amateur en 2004, près de Stonehaven (ville citée ci-dessus) en Écosse. Il a été daté à 428 Ma.
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