Histoire de la Terre et de la vie - Actualités géologiques

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La cause d’une extinction dans les mers du Silurien a été déterminée

Fossile de Pendeograptus fruticosus, un graptolite de l'Ordovicien inférieur, Victoria, Australie. Mark A. Wilson, domaine public.

Il est bien connu que la vie a subi cinq extinctions de masse durant le Phanérozoïque, l’éon qui s’étend du début du Cambrien, il y a 541 millions d’années, jusqu’à maintenant. Les deux plus importantes permettent un découpage de cet éon en trois ères, le Paléozoïque, le Mésozoïque et le Cénozoïque. Deux autres extinctions de masse se sont produites au cours du Paléozoïque, à la fin de l’Ordovicien et du Dévonien. Il y en a eu d’autres moins sévères, le Silurien ayant été particulièrement affectée. Ce système postérieur à l’Ordovicien et antérieur au Dévonien s’étend de 443 à 419 Ma, si bien qu’il a une durée relativement courte de 24 millions d’années. Les plantes poursuivaient leur installation sur terre et elles permettaient à des arthropodes d’y vivre. Les arachnides et les uniramés (myriapodes et insectes) sont apparus durant le Silurien. À cette époque, il n’existait pas encore de tétrapodes. Mais l’extinction dont il est question ici, appelé l’évènement Ireviken, n’a affecté que les mers.

Graptolites reconstitués

La Terre au Silurien

Il y vivait des créatures étranges flottant dans l’eau et vivant en colonies, appelées des graptolites. La base du Silurien correspond à l’expansion des graptolites monograptidés. Cette période est subdivisée en Llandovery, Wenlock, Ludlow, définis au Pays de Galles, et Pridoli, défini en Bohême. Les acanthodiens, aussi appelés « requins à épines », sont les premiers vertébrés à posséder des mâchoires. Ils sont apparus vers 420 Ma et partageaient des caractéristiques avec les chondrichthyens, les « poissons cartilagineux » comprenant les requins, et avec les ostéichthyens, les « poissons osseux ». Ils se sont éteints à la fin du Permien. Les placodermes, datant du Silurien supérieur, avaient également des mâchoires. Ils n’ont pas survécu à l’extinction de la fin du Dévonien.

En ce qui concerne la paléogéographie, deux continents, la Laurentia, comprenant l’Amérique du Nord et le Groenland, et un ensemble formé par la Baltica et l’Avalonia, sont entrés en collision durant le Ludlow (de 427 à 423 Ma), entraînant l’orogenèse calédonienne. La partie norvégienne de la Baltica fut poussée contre le Groenland. La ligne de suture traverse l’Écosse et l’Irlande, puis se prolonge vers Terre-Neuve. La collision de l’Avalonia avec l’Amérique du Nord a provoqué l’orogenèse acadienne au début du Dévonien. L’océan qui s’est refermé entre ces continents était le Iapetus. Ainsi, les animaux du Silurien ont pu voir l’une des plus hautes chaînes de montagnes du Phanérozoïque, dont de spectaculaires vestiges sont toujours visibles sur la côte est du Groenland. À l’ouest du globe, la masse continentale à moitié immergée est la Laurentia. Elle commence à s’écraser contre la Baltica. Le continent situé plus au nord est la Siberia.

Le supercontinent Gondwana recouvrait les hautes latitudes de l’hémisphère Sud. Durant l’Hirnantien (de 445 à 443 Ma), à la fin de l’Ordovicien, une grande calotte glaciaire s’est installée dessus et le niveau des mers a baissé. Cet événement est à l’origine de la première des cinq extinctions de masse. Les températures et le niveau des mers ont remonté au début du Silurien.

Une crise biologique

L’évènement Ireviken, du nom d’une localité de l’île de Gotland en Suède où il a pour la première fois été reconnu, n’est que la plus sévère des trois extinctions marines qui se sont produites durant le Silurien. Il se situe à la limite entre le Llandovery (de 443 à 433 Ma) et le Wenlock (de 433 à 427 Ma). Près de 80 % des espèces connues de conodontes ont disparu. Ces petits animaux apparus dès le Cambrien ressemblent à des aiguilles et ont laissé des sortes de dents très utilisées en stratigraphie. Les graptolites et les trilobites ont perdu environ 50 % de leurs espèces. Les acritarches (un important groupe de phytoplancton du Paléozoïque), les chitinozoaires (des microfossiles à paroi organique), les coraux et les brachiopodes ont également été affectés.

Si cette crise est décrite sans ambiguïté, sa cause restait à déterminer. Trois chercheurs de l’Université de Floride, Seth Young, Andrew Kleinberg et Jeremy Owens, s’y sont attelés et leur article a été publié dans la revue Earth an Planetary Sciences Letters. Ils ont utilisé trois indicateurs géochimiques pour connaître les conditions qui régnaient dans les mers : les isotopes stables du carbone et du soufre et le rapport iode/calcium. Les sites analysés sont un ravin des monts Roberts au centre du Nevada et la tranchée Newsom à l’ouest de Nashville dans le Tennessee.

Les monts Roberts ont été soulevés à partir du Dévonien supérieur par l’orogenèse Antler. Ils comportent des sédiments de l’Ordovicien, du Silurien et du Dévonien. Ceux que les chercheurs ont prélevés s’étaient déposés sur la marge occidentale de la Laurentia, en haut du talus continental, là où le terrain commençait à descendre vers les profondeurs de l’océan Panthalassa. Il y avait une montée d’eau riche en nutriments (upwelling) qui a entraîné la précipitation de silice micro-cristalline noire. Ces couches sont surmontées de dépôts de boue calcaire (mudstone et wackstone).

La tranchée Newsom a été creusée pour faire passer une route. Elle offre aux géologues une coupe artificielle. Les sédiments du Silurien s’y sont déposés sur une zone interne du plateau continental, qui était ouvert sur l’océan Rhéique. Celui-ci séparait la Laurentia du Gondwana. La sédimentation a été interrompue à la fin du Llandovery par une baisse du niveau de la mer. Elle a repris grâce à la remontée du niveau avec un dépôt de sable fin (silt), puis au début du Wenlock de boue calcaire comportant des grains de sable (packstone). Comme d’habitude, ces sédiments sont datés grâce aux fossiles qu’ils contiennent. Les restes de conodontes et de graptolites témoignent de l’évènement Ireviken.

L’équipe de Seth Young collectant des échantillons dans la tranchée Newsom. Université de Floride.

La leçon des indicateurs géochimiques

La mesure des isotopes du carbone est habituelle en géochimie. Il est constitué à 98,93 % de carbone 12 et à 1,07 % de carbone 13. Les organismes vivants ont une proportion plus basse de carbone 13 car la photosynthèse privilégie l’absorption de carbone 12. Par conséquent, le phytoplancton et les algues enrichissent l’eau en carbone 13. La précipitation de calcaire avec un taux élevé de carbone 13 est le signe d’un enfouissement de matière organique dans des sédiments argileux. C’est précisément ce que l’on observe durant l’évènement Ireviken. Quant au soufre, il a quatre isotopes stables, dont le soufre 32 à 94,9 % et le soufre 34 à 4,29 %. En milieu marin, les bactéries effectuant une dégradation anaérobie de la matière organique réduisent des ions sulfate SO42- en émettant du sulfure d’hydrogène H2S. Si du fer est présent, de la pyrite FeS2 cristallise, or le soufre qu’il contient a été appauvri en soufre 34. Parallèlement à l’augmentation du taux de carbone 13, on assiste à un enrichissement en soufre 34 du milieu marin, qui se lit dans les sédiments. Cela indique un enfouissement important de pyrite, en plus de la matière organique, dans un environnement euxinique : l’eau était privée d’oxygène et comportait du sulfure d’hydrogène, ce qui en faisait un milieu impropre à la vie.

L’iode est un indicateur géochimique d’utilisation récente. Dans une eau bien oxygénée, il est présent sous forme d’ions iodate IO₃⁻ qui sont aisément inclus dans les calcaires. En l’absence d’oxygène, les ions iodure I⁻ deviennent dominants. Les analyses ont indiqué une anoxie des eaux profondes sur le talus continental, loin des côtes occidentales de la Laurentia, avant, pendant et après le pic de carbone 13. Plus près des côtes, dans le futur Tennessee, l’oxygène reste présent dans l’eau jusqu’à l’arrivée du pic, après quoi l’anoxie se produit. Le scénario envisagé est donc celui d’une zone à minimum d’oxygène au bord du plateau continental, en haut du talus, et l’expansion de cette zone sur le plateau pendant une hausse du niveau des mers. C’est la cause de l’évènement Ireviken.

Les épisodes d’anoxie marine, voire d’euxinie, paraissent avoir été récurrents durant le Paléozoïque. On en observe à la fin du Cambrien et au début de l’Ordovicien. Ils ont joué durant les extinctions de masse de la fin du Dévonien et pendant la crise Permo-Trias. On connaît également des anoxies du Mésozoïque. L’humanité leur doit d’importants stocks de pétrole et de gaz, car la matière organique sédimentée à l’abri de l’oxygène peut se transformer en hydrocarbures.

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Seth A, Young et al., Geochemical evidence for expansion of marine euxinia during an early Silurian (Llandovery–Wenlock boundary) mass extinction, Earth and Planetary Sciences Letters 513, 187-197, 1 May 2019.

https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0012821X19301207

Communiqué de presse de l’Université de Floride :

https://news.fsu.edu/news/science-technology/2019/03/27/in-ancient-oceans-that-resembled-our-own-oxygen-loss-triggered-mass-extinction/

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