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Monde

Le mont Eej-Khairkhan et le volcanisme du Permien en Mongolie

Eej-Khairkhan

Le mont Eej-Khairkhan vu de l'Altaï. Photo de Pavel Hanzi / Panoramio.

Le désert de Gobi est un vaste territoire situé dans le sud de la Mongolie et dans la province chinoise de Mongolie-Intérieure. Son nom, qui devrait plutôt se prononcer Gov, désigne une cuvette semi-aride. Ce désert rencontre l’extrémité orientale de la longue chaîne de montagnes de l’Altaï dans la province de Govi-Altai, au sud-ouest de la Mongolie. À elle seule, elle représente un quart du territoire de la France métropolitaine mais sa population n’atteint pas les 60 000 habitants. Des nomades y vivent en élevant des animaux que les pâturages clairsemés arrivent à nourrir, dont des chameaux de Bactriane. Deux sommets y dépassent les 3 700 mètres d’altitude.

Une réserve naturelle

À l’ouest du village de Tsogt, constitué de quelques bâtiments et de yourtes entourées de palissades, une rivière quitte l’Altaï pour se diriger droit vers le sud, dans la vallée aride de Zakhui-Zarman, dont l’altitude descend de 1 500 à 1 120 mètres d’altitude. Au loin, on aperçoit une montagne solitaire (ou plutôt un massif montagneux) atteignant 2 274 mètres d’altitude appelée Eej-Khairkhan ou Khatan-Khairkhan. Les Mongols appliquent le mot khairkhan à de nombreuses montagnes pour exprimer leur caractère divin. Comme adjectif, il signifie « miséricordieux ». Le mot eej signifie « mère » et khatan se traduit par « princesse, impératrice ». Pour arriver à la situer sur une carte, le mieux est de donner ses coordonnées : elle est à 44°56’ de latitude Nord et 96°12’ de longitude Est. C’est une île de granite presque complètement dénudé, qui est pourtant un refuge pour certaines espèces.

Des pics de granite. Photo Mijid Uyanga.

En 1992, ce massif est devenu une réserve naturelle de 22 475 hectares. Elle est habitée par la très discrète panthère des neiges, plus connue pour vivre dans l’Himalaya, le Karakoram et l’Hindu Kush, mais également présente dans les Kunlun (au nord du Tibet), les Tian Shan et l’Altaï. Elle se nourrit de bouquetins (Capra ibex) qui sont présent dans le parc. On y trouve également des argalis (Ovis ammon) : des mouflons imposants dont le poids atteint 120 kg. Il y a aussi un lézard géant. Une centaine d’espèces de plantes est dénombrée. Le climat est celui d’une steppe froide avec 68 millimètres de précipitations annuelles. Les températures moyennes oscillent entre 32 °C en juillet et – 16 °C en janvier.

Aux yeux des géologues, cette montagne est énigmatique. Le granite dont elle est constituée n’est pas tout fait ordinaire : il est dit anorogénique parce qu’il n’a pas été produit lors d’une orogenèse (une formation de montagnes) comme la plupart des granites. Ces roches sont constitués de trois minéraux ou types de minéraux principaux : le quartz, les feldspaths et les micas. Les feldspaths sont des alumino-silicates de calcium, de sodium ou de potassium. S’ils ne contiennent pas de potassium, ce sont des plagioclases. Les granites anorogéniques, ou de type A, comme ceux d’Eej-Khairkhan, ont la particularité d’être alcalins, c’est-à-dire riches en sodium et en potassium. Chez, eux les plagioclases sont par conséquent rares, alors que les feldspaths potassiques sont les minéraux majoritaires. Ils sont aussi peralcalins : ils ont moins d’aluminium que de sodium et de potassium. Puisqu’ils manquent d’aluminium, qui est un élément indispensable aux feldspaths, d’autres minéraux rares apparaissent, comme les amphiboles et pyroxènes sodiques. L’aegyrine et l’arfvedsonite en sont des exemples respectifs. Ces granites sont également dits de type PAG (Peralkaline and Alkaline Granites).

Des rochers sculptés par l’érosion. Photo Mijid Uyanga.

Les granites du Massif central en France sont de type S. Ils ont été formés lors de l’orogenèse hercynienne, par fusion de sédiments (d’où la lettre S) riches en argiles et donc en aluminium. D’autres granites, dits de type I comme « ignés », sont également liés à des surrections de montagnes.

Géologie de la région d’Eej-Khairkhan

De granites de type A sont présents ailleurs dans le sud-ouest de la Mongolie. Ils sont figurées sous forme de taches jaunes sur cette carte géologique publiée en 2015 par des géologues russes, dont Alexander Kozlovsky et Vladimir Yarmolyuk. Ils sont datés du Paléozoïque supérieur et sont accompagnées par des roches issues d’un volcanisme bimodal. Certaines laves étaient pauvres en silice, comme les basaltes, et d’autres en étaient riches, comme les rhyolites. Les premières ont moins de 52 % de silice et les secondes en ont plus de 65 %. Les rhyolites et les granites proviennent de magmas semblables, mais les granites se sont lentement solidifiés à des milliers de mètres de profondeur, si bien que le magma s’est entièrement cristallisé et que les minéraux principaux sont visibles à l’œil nu. Ce sont des roches plutoniques. Elles ne sont mises à jour que beaucoup plus tard, grâce à l’érosion. Les rhyolites sont en revanche des roches volcaniques ou effusives : elles résultent de la solidification d’un magma émis en surface. Comme il est riche en silice, il est visqueux, si bien que ces éruptions sont explosives. Dans la chaîne de Khantaishir, notée KhT sur la carte, le mont Serkh comprend de l’ignimbrite : de la rhyolite émise sous forme de coulée pyroclastique lors d’une éruption cataclysmique. Cette montagne culmine à 3 155 mètres d’altitude. Une autre montagne, à 25 km au nord-ouest, est faite de granite alcalin à aegyrine, et plus loin, des roches basaltiques avoisinent des rhyolites.

Un rocher appelé le Lingot . Photo Mijid Uyanga.

Sur cette carte géologique, le massif d’Eej-Khairkhan apparaît comme une tache jaune à l’ouest, sous le quarante-cinquième parallèle. Ses roches ont été datées à 280-274 Ma, avec une incertitude de quelques millions d’années. Ce pluton est intrusif dans des roches représentées en marron avec des marques blanches, datant du Dévonien (de 419 à 359 Ma) et du début du Carbonifère (de 359 à 299 Ma), et dans des granites de type I et S du Paléozoïque, en rose avec des croix noires. Ces roches constituant le socle de la région ont été partiellement recouvertes par des sédiments du Mésozoïque et du Cénozoïque (de moins de 252 Ma) indiqués en jaune clair. La carte fournit l’âge et la nature des roches et non le relief. Cependant, les roches du socle, là où elles affleurent, correspondent à des montagnes et des collines. Au sud-est du mont Eej-Khairkhan, se dressent sur une longueur de 30 km les monts Edren, qui atteignent les 2 001 mètres d’altitude. Il est constitué de diorites et des granitoïdes datés à 329 Ma. Des failles représentées par des traits noirs leur ont permis de s’élever, mais pendant qu’ils le faisaient, ils ont été attaqués par l’érosion et leurs profondeurs ont été mise au jour. Juste au nord, à 98° de longitude Est, s’élève la petite chaîne Suman Khad, comprenant un pluton de rhyolite peralcaline représenté en jaune et de basalte, ainsi que des granites de type A. Du volcanisme bimodal s’est produit à la fin du Carbonifère, les rhyolites et les granites ayant été datés à environ 315-312 Ma.

Les Neuf Chaudrons. Ils se remplissent d’eau quand il pleut. Photo Mijid Uyanga.

La région des monts Eej-Khairkhan et Edren est dite Trans-Altaï. Elle est délimitée au nord par une longue faille allant de Tseel à Shine-Jinst, appelée la faille Trans-Altaï. La bande de roches située au nord de cette faille est de nature très différente. Ce n’est autre que l’extrémité orientale de l’Altaï. Les plus anciennes roches, en rose clair, sont des roches métamorphiques du Précambrien et du Paléozoïque inférieur. Celles qui sont figurées en gris sont des roches volcanoclastiques et des carbonates du Silurien (de 443 à 419 Ma) et du Dévonien. La zone Trans-Altaï est divisée en trois sous-zones, dites Khuvin-Kharin, Edren et Dzolen (ou Zoolen). La troisième, située sous le quarante-quatrième parallèle, n’est pas visible sur cette carte.

Un rocher en forme de colombe. Photo Mijid Uyanga.

Les roches de la sous-zone de Khuvin-Kharin, où se dresse le mont Eej-Khairkhan, comprennent de l’argilite, du grès, un peu de jaspe, du calcaire à fossiles et des coulées de basalte du Dévonien, qui ont été métamorphisées, ainsi que du conglomérat (des galets cimentés), du grès et du calcaire du Carbonifère. La sous-zone d’Edren est dominée par les roches volcano-sédimentaires. Elle comprend des tufs (des produits volcaniques consolidés, dont des cendres), des tuffites (des tufs et des sédiments mêlés) et des grès à tuffs dans lesquels on trouve des lentilles de calcaire avec des fossiles de brachiopodes (animaux à coquilles bivalves qui ne sont pas des mollusques). Ces sédiments sont surmontés de roches volcaniques massives – basaltes, andésite, dacite – qui ont amené les géologues à interpréter cette sous-zone comme étant un ancien arc d’îles volcaniques. Dans ces deux sous-zones, les roches volcaniques et plutoniques du Permien sont surmontées de sédiments continentaux produits par l’érosion à partir du Crétacé. Il manque le Trias et le Jurassique.

Une étrange formation rocheuse comparée à la langue d’une femme. Photo Mijid Uyanga.

Assemblage de la Mongolie par fermeture d’océans

Ces caractéristiques montrent que, durant le Dévonien, la zone Trans-Altaï était océanique. Les basaltes d’Edren se sont épanchés dans l’eau et ont pris la forme de coussins. La serpentinite, qui est une péridotite altérée autrefois située à la base d’une plaque océanique, est courante dans la sous-zone de Dzolen et accompagnée et gabbro et de laves en coussin. Ces vestiges de plaques océaniques dans un pays aujourd’hui dépourvu d’accès à la mer semble étonnant, mais jusqu’au Carbonifère, la Mongolie était encadrée par les océans Paléo-Asiatique et Mongol-Okhtotsk. Le second s’enfonçait jusqu’en son centre. Durant le Silurien, il n’existait qu’un ensemble de micro-continents et d’arcs océaniques. La formation de la Mongolie, ainsi que d’autres territoires de l’Asie centrale, est un processus complexe que les géologues s’efforcent de lire dans ce qu’ils appellent la ceinture orogénique centre-asiatique.

Ces paléogéographies ont été proposées par G. Badarch, W.D. Cunningham et B.F. Windley en 2002. Les sous-zones de Khuvin-Khar et d’Edren se trouvent sur ce qu’ils ont appelé le terrane d’Edren. Il porte le numéro 32 sur ces cartes, mais c’est presque illisible. Durant le Dévonien et le Carbonifère l’océan Paléo-Asiatique existe encore. Il est indiqué par des hachures obliques et est bordé au sud par le bloc du Tarim TA et le craton sino-coréen (SK et non ST). Il s’enfonce vers le nord dans le manteau, le long d’une ligne ponctuée de triangles noirs sur la carte. Cette subduction a créé un arc d’îles volcaniques portant le numéro 29 et indiqué par des V. Elle a provoqué une extension de la lithosphère appelée un bassin arrière-arc, portant le numéro 30 et indiqué par des hachures horizontales. Plus au nord, une deuxième subduction est en cours, alimentant l’arc volcanique d’Edren.

Tous les géologues ne reconstituent pas l’histoire de la région exactement de la même manière. D’après un article de Zhu Mingshuai et d’autres géologues chinois et mongols publié en 2017, l’arc volcanique d’Edren était directement lié à la subduction de l’océan Paléo-Asiatique. Cette figure représente la situation à la fin du Carbonifère. Le volcanisme de l’arc est alimenté par un mécanisme bien connu : lors de sa descente, la croûte océanique se déshydrate. L’eau remonte dans les roches du manteau sus-jacent en provoquant leur fusion. C’est ainsi que fonctionnent tous les volcans de la ceinture de feu du Pacifique. De plus, un retrait (roll-back) de la plaque en subduction aurait provoqué une extension et une fusion de la croûte continentale, créant des granites de type A et des rhyolites. Quant au basalte, il proviendrait de la fusion du manteau lithosphérique, transformé par des fluides issus de la subduction.

Des pigeons sur des rochers sculptés. Photo Mijid Uyanga.

Voilà comment peuvent se former des granites de type A et du volcanisme bimodal. Cependant, le pluton d’Eej-Khairkhan est plus tardif, puisqu’il date du début du Permien. L’océan Paléo-Asiatique s’était fermé ; le bloc du Tarim et le craton sino-coréen étaient devenus voisins de la Mongolie. Or un point chaud a été actif sur ce bloc. Il est à l’origine de grandes coulées de basalte appelées les trapps du Tarim, datées de 292 à 262 Ma. Des laves semblables ont été identifiées dans le bassin de Tourpan-Hami, plus près de la Mongolie. On peut alors supposer que cette même anomalie thermique du manteau a provoqué la fusion partielle de roches de la croûte continentale contenues dans les sédiments de Khuvin-Kharin. Le pluton d’Eej-Khairkhan proviendrait de ce magma.

Ce pluton paraît cependant particulier. D’autres mécanismes ont été invoqués pour la création des granites de type A voisins, comme celui de Suman Khad. Il se peut que des plaques océaniques enfoncées dans le manteau lors de l’assemblage de la Mongolie se soient brisées. Par les fenêtres ainsi créées, des roches de l’asthénosphère (la partie chaude et ductile du manteau, située sous les plaques lithosphérique) situées sous ces plaques ont pu monter et engendrer du magmatisme. Des plutons de granite de type A sont répartis le long d’une ligne de 800 km appelée le linéament mongol principal. Il correspond approximativement à l’ancienne marge du micro-continent de Mongolie centrale. Ces granites sont datés de 315 à 292 Ma et sont donc antérieurs aux trapps du Tarim. Un autre alignement se trouve dans la zone de rift de Gobi-Tianshan, un peu plus au sud. Un premier épisode de volcanisme bimodal s’est produit il y a 319 Ma et un second vers 290-280 Ma. Les laves comprennent des comendites et des pantellerites, qui sont des rhyolites peralcalines, et l’on trouve des granites alcalins.

Ce qu’il faut retenir, c’est que le Permien, période durant laquelle cette vaste région de l’Asie venait d’être assemblée, a été particulièrement agitée. La faune et la flore pouvait sans doute y vivre, mais elles étaient périodiquement ravagées par de violentes éruptions volcaniques, avec des coulées pyroclastiques. Le pluton de granite d’Eej-Khairkhan est la partie souterraine de l’un de ces volcans, élevée à plus de 2 000 mètres d’altitude par des forces tectoniques qui ont continué à modeler la Mongolie depuis le Crétacé et surtout durant le Cénozoïque.

Cet article, consacré au sud-ouest de la Mongolie, complète un article décrivant la partie septentrionale de ce pays :

Géologie de la Mongolie septentrionale

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Gombosuren Badarch et al., A new terrane subdivision for Mongolia: implications for the Phanerozoic crustal growth of Central Asia, Journal of Asian Earth Sciences 21, 87-110, 2002.
   

Alexander K. Kozlovsky et al., Late Paleozoic anorogenic magmatism of the Gobi Altai (SW Mongolia): Tectonic position, geochronology and correlation with igneous activity of the Central Asian Orogenic Belt, Journal of Asian Earth Sciences 113, 524-541, 2015.

Zhu Mingshuai et al., Late Carboniferous bimodal volcanic rocks and coeval A-type granite in the Suman Khad area, Southwest Mongolia: Implications for the tectonic evolution, Journal of Asian Earth Sciences 144, 54-68, 2017.

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