Les plus anciennes roches de la Terre, les gneiss d’Acasta, remontent jusqu’à 4,031 milliards d’années. Elles définissent la limite entre l’Hadéen, le premier éon, et l’Archéen, le second. Il existe cependant des matériaux plus anciens : des minuscules cristaux de zircon. On pourrait les qualifier de minéraux miraculeux. Ils ne peuvent quasiment pas être détruits par des processus naturels et on peut facilement les dater.
Les géologues arrivent à « faire parler » les roches, sachant que celles-ci sont généralement constituées de minéraux distincts. Le granite, par exemple, contient du quartz, des feldspaths et des micas, ainsi que des minéraux secondaires, dont justement le zircon. Les minéraux isolés délivrent forcément moins d’informations que les roches, mais pour l’Hadéen, les géologues ne disposent de rien d’autre que de ces zircons. Ils sont bien obligés de s’en contenter. Ces cristaux n’en ont pas moins bouleversé notre connaissance de l’Hadéen. Le nom de cet éon provient de celui du dieu grec des enfers, Hadès, et a été proposé en 1972 par le géologue et paléontologue Preston Cloud (1912-1991). Il ne se doutait pas que la Terre avait été suffisamment refroidie pour avoir une croûte solide et de l’eau liquide. Tel est le premier enseignement des zircons.
Les âges mesurés atteignent 4,4 Ga (milliards d’années). Aucun matériau terrestre n’est plus ancien. Ce qui permet d’affirmer la Terre est née plus tôt, ce sont les théories sur la formation du Système solaire et l’âge des météorites. Notre planète s’est formée par assemblage de météorites primitives appelées des chondrites, contenant des minéraux dont l’âge atteint 4,57 Ga. On suppose que toutes les planètes sont nées à cette époque, assez rapidement, ce qui est confirmé par les observations récentes de systèmes planétaires en formation grâce au radiotélescope ALMA. On considère donc que la Terre est âgée de 4,57 Ga. L’Hadéen va de sa naissance à l’apparition des premières roches. Les zircons hadéens nous renseignent une période de 400 Ma (millions d’années) et laissent une période antérieure de 170 Ma dont rien ne nous est parvenu. La Terre était probablement recouverte d’un océan de magma.
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De minuscules grains éparpillés dans des sédiments
L’Australie occidentale comporte deux cratons, c’est-à-dire deux croûtes continentales âgées de plus de 2,5 Ga. Elles remontent à l’Archéen. Ce sont des cratons de Yilgarn au sud-ouest et de Pilbara au nord-ouest. Le second est connu pour héberger quelques-unes des plus anciennes traces de vie, mais les premiers zircons hadéens ont été trouvés au nord du premier, sur des collines appelées Jack Hills. Si d’autres sites en ont livré depuis, ce sont ces collines qui ont fourni la moisson la plus fructueuse. En 1984, Simon Wilde, Robert Pidgeon et John Baxter ont commencé à prélever des échantillons. Les premières datations de zircons ont été effectuées en 1986 à Canberra. Dix-sept d’entre eux avaient un âge dépassant les 3,9 Ga. Le plus ancien avait 4,27 Ga.
Ces zircons ont été trouvés dans une roche composée de galets de quartz, appelée un conglomérat. Il s’agit d’une roche sédimentaire, puisque les galets sont des pierres arrachées aux montagnes par l’érosion, transportées par des cours d’eau et déposées en aval. D’autres sédiments examinés sont très riches en quartz : ce sont des quartzites et des grès métamorphisés. Ils ont commencé à se déposer il y a environ 3 Ga et ont été légèrement métamorphisés – d’où leur nom de métaconglomérat. Des études récentes ont démontré qu’ils ne sont pas tous archéens. Certains ont été datés du Protérozoïque, le troisième éon, de 2,5 Ga à 541 Ma. La datation de sédiments détritiques (produits par l’érosion) est très difficile quand ils ne contiennent pas de fossiles. Les géologues s’y prennent en datant des minéraux secondaires comme le zircon et la monazite : ils sont obligatoirement plus âgés que les sédiments. C’est bien le cas avec les zircons hadéens.
Ceux-ci sont antérieurs de plus d’un milliard d’années aux sédiments, si bien qu’ils ont une longue histoire. Beaucoup comportent un cœur entouré d’une ou plusieurs couches plus récentes. Ils ne se sont donc pas formés lors d’un seul événement. Au début, il y avait un magma assez riche en silice dont la solidification a donné une roche semblable aux granites, qu’on appelle un granitoïde. Les zircons n’apparaissent que dans de tels magmas. Cette roche a ensuite été détruite et les cristaux se sont retrouvés dans un nouveau magma. Une couche de zircon a cristallisé sur le cœur. Certaines de ces couches sont datées de l’Archéen, entre 3,69 et 3,36 Ga. À la fin, l’avant-dernière roche dans laquelle les zircons ont séjourné a été érodée. Ils ont échoué parmi des galets et tout a été cimenté, jusqu’à ce que des géologues les trouvent moins de trois milliards d’années plus tard. Ils sont fréquemment appelés des zircons détritiques.
Ces cristaux ont moins d’un millimètre de long. Ils sont visibles à l’œil nu, mais seulement sous la forme de points. Si on les regarde avec une loupe ou un microscope, on voit des cristaux transparents brun-rouge qui ont parfois de petites cavités probablement creusées par l’érosion. Cette image a été prise par Aaron Cavosie en 2005. Le cristal marqué 4-2 a un âge de 3,90 Ga. Le zircon est un silicate de zirconium qui cristallise dans le système quadratique et a un faciès prismatique à bipyramidal. Les apex pyramidaux sont visibles sur certains de ces cristaux. Comme ils sont automorphes (ils sont une forme propre), ils ont pu croître librement dans un magma. L’érosion a arrondi certains. Les zircons sont des minéraux incolores, bruns, rouges, jaunes, mais aussi bleus ou vert, et ils sont utilisés en joaillerie. La hyacinte est une variété jaune orangé à brun-rouge. Leur dureté est de 7,5 sur l’échelle de Mohs.
De nouvelles datations ont été effectuées à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Un cristal a obtenu en 2001 l’âge record de 4,40 Ga. Cependant, des réserves ont été émises car la mobilité des atomes de plomb dans le cristal, sur lesquels repose la datation, est mal connue. Un autre cristal a été étudié de matière plus approfondie en 2014. Son âge est de 4,37 Ga. À présent, plus de 10 000 cristaux ont été récoltés et leurs âges présentent un pic entre 4,0 et 4,1 Ga. Les plus récents ont 3,8 Ga. Les âges supérieurs ou égaux à 4,35 Ga sont rares mais ils existent. En faisant le point en 2018 sur les recherches, Aaron Cavosie, John Valley et Simon Wilde ont dénombré 17 zircons. Celui à 4,40 Ga (dénommé W74/2-36) est à part, en avance d’une vingtaine de millions d’années sur les autres. À ce jour, il reste le plus ancien matériaux terrestre.
On sait qu’une croûte existait sur Terre il y a 4,4 Ga. S’il y avait eu un océan de magma sur notre planète jusqu’à la fin de l’Hadéen, elle n’aurait pas produit de zircon. De plus, les roches dans lesquelles ces cristaux sont nés, des granitoïdes, sont celles de la croûte continentale archéenne et actuelle. La Terre a très certainement été en grande partie recouverte d’une croûte basaltique durant l’Hadéen, or cette roche pauvre en silice, qui tapisse le fond des océans, ne contient normalement pas de zircon. Est-ce à dire qu’il y avait déjà des continents à cette époque ? Probablement pas. Ces zircons ont très bien pu venir de plutons de granitoïdes éparpillés dans cette croûte basaltique, c’est-à-dire de poches souterraines de taille kilométrique. On peut ainsi imaginer des inclusions beaucoup plus petites, de quelques centimètres seulement.
De l’eau et peut-être de la vie il y a plus de 4 milliards d’années
Une découverte très importante a été faite en 2001. Les silicates sont des oxydes de silicium, si bien qu’ils contiennent de l’oxygène. Son isotope le plus courant est l’oxygène 16. Il en existe un autre plus lourd, qui est l’oxygène 18. On connaît assez bien la composition isotopique de l’oxygène de zircons en équilibre dans un magma dérivé du manteau terrestre. Par rapport à eux, les zircons hadéens ont un excès d’oxygène 18. La seule explication possible que le magma dans lequel ils ont cristallisé a été produit par la fusion d’une roche qui a réagi avec de l’eau. Ce ne pouvait être que de l’eau liquide. Il en existait par conséquent sur Terre, en de grandes quantités, il y a 4,4 Ga.
Il a été expérimentalement démontré que la quantité de titane contenu à l’état de traces (quelques parties par million) dans les zircons dépend de la composition et de la température de cristallisation. D’après les centaines de zircons hadéens analysés, celle-ci était d’environ 680 °C, ce qui est très bas. Seuls les magmas hydratés peuvent être aussi « froids ». Ce résultat confirmait la présence d’eau, mais il a été contesté. Le titane est un thermomètre à utiliser avec précaution.
Cela ne remet pas en cause la présence d’océans durant l’Hadéen. On aimerait connaître leur profondeur, mais à ce sujet, les zircons sont muets. Comme la quantité d’eau liquide a peu varié sur Terre depuis l’Archéen, on peut imaginer qu’elle était à peu près semblable il y a plus de 4 milliards d’années. Mais au début de l’Archéen, la Terre, comme la Lune et toutes les planètes du Système solaire interne, a été soumise à un intense bombardement météoritique. Il est possible que ces corps aient apporté de l’eau, ce qui impliquerait que les océans hadéens aient été peu profonds. Cette théorie demande toutefois à être confirmée.
Quand un corps de grande taille frappe la Terre, certains minéraux conservent des traces de l’onde de choc. L’hypothèse de la chute d’une météorite dans le golfe du Mexique, il y a 66 Ma, a été étayée par des quartz choqués. Dans le dôme de Vredefort en Afrique du Sud, des zircons choqués ont été découverts. Datée à 2,023 Ga, c’est la plus grande structure d’impact qui ait été découverte sur Terre. On pourrait s’attendre à ce que les zircons hadéens aient conservé un souvenir des bombardements des premiers temps, mais ce n’est pas le cas. Les annonces qui ont été faites n’ont pas résisté aux critiques : il n’y a pas zircon hadéen choqué.
On a voulu faire dire à ces minuscules cristaux plus qu’ils ne le pouvaient. Contrairement à ce qui a été annoncé, ils ne comportent aucun enregistrement de champ géomagnétique. En 2015, l’équipe d’Elizabeth Bell a trouvé un zircon, parmi 656 cristaux provenant des Jack Hills, contenant une inclusion microscopique de graphite. Elle a la composition isotopique du carbone organique. Cependant, des processus purement géologiques peuvent expliquer cette composition particulière. Il est tout à fait possible que la vie soit apparue durant l’Hadéen, mais il faudra plus que des cristaux de zircon pour le prouver. Des roches supracrustales datées d’environ 3,8 Ga existent au sud-ouest du Groenland et au Québec, mais bien qu’elles aient été formées à la surface de la Terre et soient par conséquent susceptibles d’avoir gardé des indices de la présence de la vie, on n’en a pas identifié avec certitude. Les premiers fossiles sont datés à 3,5 Ga.
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