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Débunkage

La Grande Pyramide de Khéops bâtie avec des pierres synthétiques ?

Pyramide de Gizeh. @ Ricardo Liberato / Flickr / CC BY-SA 2.0.

La construction des pyramides de Gizeh a toujours été très intrigante. On se demande comment les Égyptiens ont fait pour transporter et assembler une telle quantité de blocs de pierre. Le voyageur grec Hérodote en a parlé au VIe siècle avant notre ère, mais à son époque, les Égyptiens ne construisaient plus de pyramide depuis longtemps. Les trois plus grandes pyramide de Gizeh, celles de Khéops, de Képhren et de Mykérinos, ont été construites par la IVe dynastie, qui était datée d’environ 2670 à 2450 avant notre ère.

L’objet de cet article n’est pas d’expliquer comment elles ont été bâties mais de confirmer que les bâtisseurs ont utilisé des pierres naturelles. Le chimiste français Joseph Davidovits, né en 1935, a élaboré une théorie selon laquelle ces pierres seraient une sorte de béton inventé par les Égyptiens.

Les géopolymères de Davidovits

Cette théorie repose sur deux réactions chimiques. Une argile fréquente, la kaolinite, de formule Si2O5(OH)4, réagit avec la soude caustique 2NaOH pour donner un minéral de formule Na2O‧2SiO2‧Al2O3‧3H2O (alumino-silicate de sodium hydraté), que Davidovits a appelé l’hydrosodalite. Cette appellation est contestable, la vraie hydrosodalite étant un feldspathoïde de formule Na6[AlSiO4]6(H2O)8. Tous ces minéraux sont en tout cas des silicates. Ils comprennent des tétraèdres [SiO4]4- où chaque atome de silicium est entouré par quatre atomes d’oxygène. Dans la kaolinite, ces tétraèdres sont disposés en feuillets. Ce n’est plus le cas dans l’hydrosodalite de Davidovits, où des tétraèdres [AlO4]5- se sont adjoints aux [SiO4]4-. Ce silicate appartient à la famille des zéolites.

Dépôt de natron dans le cratère d’Emi Koussi au Tibesti. Stefan Thüngen, domaine public.

Par ailleurs, le carbonate de sodium Na2CO3 réagit avec la chaux éteinte Ca(OH)2 pour donner de la soude caustique 2NaOH et de la calcite CaCO3. Le natron, carbonate de sodium hydraté, est un minéral que les Égyptiens pouvaient trouver. Avec de la kaolinite, du natron et de la chaux éteinte, ils avaient par conséquent la possibilité de produire de l’hydrosodalite et de la calcite, or la calcite est le minéral majoritaire du calcaire. Ces réactions donnent donc un moyen de fabriquer un calcaire synthétique. Quant à l’hydrosodalite, Davidovits l’a appelée un géopolymère.

Ce dernier aurait été utilisé comme un ciment. Le calcaire naturel que les Égyptiens avaient sous leur pied est argileux : il contient de la kaolinite. Les bâtisseurs des pyramides auraient pris une boue formée par l’érosion de cette roche et fait réagir la kaolinite qu’elle contient avec du natron et de la chaux provenant de cendres de plantes et de bois. Les réactions chimiques auraient transformé cette pâte, disposée dans des coffrages, en une roche dure composée à 90-95 % de fragments de calcaire naturel et cimentée par 5-10 % de « colle géologique » à base d’alumino-silicate.

Carte géologique de l’ouest du Caire. Le plateau de Gizeh se trouve en bas à droite. La formation de Mokattam (TemMk) y affleure. La plupart des pierres des pyramides de Gizeh en ont été extraites. Elles étaient donc sur place.

Ainsi, les bâtisseurs n’avaient pas de blocs de pierre à transporter et à assembler, mais de la boue calcaire, du natron et de la chaux. Les pierres des pyramides se solidifiaient sur place comme du plâtre. On voit tout de suite sur quoi cette théorie bute : il fallait beaucoup de plantes et de bois. Un autre obstacle est d’ordre minéralogique. Les réactions chimiques produisent de manière non négligeable un alumino-silicate, l’hydrosodalite, qui n’a jamais été observé.

Le procédé de Davidovits (en anglais).

Les géologues disposent de plusieurs moyens d’identifier une roche. Ils commencent bien sûr par un examen visuel, compte-tenu de son contexte géologique. Ils découpent des lames minces de 30 µm d’épaisseur et les observent au microscope polarisant. Les minéraux peuvent généralement être reconnus de cette manière. S’ils sont trop petits, ils peuvent être identifiés par diffraction des rayons X. Cette technique convient aux argiles, dont les cristaux sont toujours microscopiques. Si des zéolites étaient présents dans les pierres des pyramides de Gizeh, ils auraient dû être observés grâce à cette technique, mais ils en sont absents, or les réactions chimiques devraient produire autant d’hydrosodalite que de calcaire synthétique.

On peut pousser plus loin l’analyse grâce à un microscope électronique à balayage (SEM en anglais) et à un spectromètre à dispersion d’énergie (EDS), qui donne les compositions en éléments de chaque minéral, mais rien n’y fait. Ces analyses ont plutôt démontré la similitude entre le calcaire de la pyramide de Khéops et celui du plateau de Gizeh. Elles révèlent en revanche les différences entre ces roches et le calcaire géopolymérique, dans lequel la présence de sodium est détectable.

Le calcaire du plateau de Gizeh

Il est possible de distinguer du calcaire naturel d’un calcaire désagrégé et recimenté par le procédé de Davidovits. Les bâtisseurs des pyramides de Gizeh avaient du calcaire naturel à foison, puisque c’est la roche du plateau de Gizeh. Elle appartient à la formation de Mokattam. Sur la carte géologique, elle est indiquée par TemMk et porte le numéro 9 (T pour Tertiaire, em pour Éocène moyen et Mk pour Mokattam). L’Éocène est une période géologique allant de 56 à 34 millions d’années durant laquelle la partie nord de l’Égypte était recouverte par la mer : voir La préhistoire du Nil. Les sédiments comportent des fossiles de Foraminifères, des organismes unicellulaires géants à coquille en calcaire, en forme de pièce de monnaie. On les appelle des nummulites. Ils contiennent également des fragments d’oursins et de coquilles de mollusques.

Calcaire à nummulites de la pyramide de Khéops. Il existait de grandes et de petites nummulites, N1 et N2.

Dans la classification de Robert J. Dunham fondée en 1962, ce calcaire est un packstone. Les nummulites sont jointifs (ils se touchent) et ils sont liés par une matrice carbonatée appelée une micrite (abréviation de l’anglais microcrystalline calcite). Elle est composée de microcristaux de calcite, d’une taille inférieure à 10 µm, qui se sont déposés dans un milieu calme. S’il contenait des géopolymères, cette matrice aurait du sodium, élément apporté par le natron qui n’est présent ni dans le calcaire, ni dans la kaolinite, mais ce n’est pas le cas. Ces couches de calcaire à nummulites alternent avec des couches de calcaire marneux, les marnes étant des mélanges de calcaire et d’argiles. Ces dépôts alternés sont séparés par des strates de marnes d’épaisseur décimétrique. Les épaisseurs varient bien sûr de place en place. Globalement, les strates sont inclinées de 8° à 12° vers le sud-est.

Angle nord-est de la pyramide de Khéops. On voit que toute la base a été taillée dans la colline originelle, y compris le pavement rocheux. La limite de la colline est indiquée par un trait blanc. Elle est affectée par des fractures (K1) et des phénomènes de dissolution (K2) liés à sa nature calcaire.

Une carrière se trouve presque au pied de la pyramide de Képhren. Le calcaire y comprend des traces de quartz et de gypse. Il est tout à fait évident que des blocs y ont été extraits. Les pyramides contiennent d’autres roches que le calcaire, comme le grès et le granite, qui n’ont pas pu être moulées. On sait que les blocs de granite ont été transportés par bateau. Cela montre que les Égyptiens ont pu manipuler de grands blocs de pierre, et donc en particulier de calcaire. Pour dire vrai, on ne sait pas exactement comment ils ont fait, mais ce n’est pas une raison d’affirmer l’existence de roches synthétiques.

Ce qui a été dit est suffisant pour réfuter définitivement la théorie de Davidovits. Son procédé utilise du sodium, sous forme de natron, qui n’a pas été trouvé dans les roches des pyramides, que ce soit sous forme d’alumino-silicate de sodium ou de toute autre substance. Quand il a fondé sa théorie en 1974, Davidovits pouvait y croire. Ce n’est plus possible maintenant, grâce à des techniques d’analyse des roches de plus en plus perfectionnées.

La chaîne YouTube Gollum Illuminati a fourni dans cette vidéos d’autres raisons de rejeter cette théorie :

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La carte géologique et les deux photographies ont été extraites de cet article :

Suzanne Raynaud et al., Étude géologique et géomorphologique de la colline originelle à la base des monuments de la quatrième dynastie égyptienne, hal-00319586, 2008.

Voir aussi :

Dipayan Jana, Evidence from Detailed Petrographic Examinations of
Casing Stones from the Great Pyramid of Khufu, a Natural Limestone from
Tura, and a Man-made (Geopolymeric) Limestone, Proceedings of the twenty-ninth conference on cement microscopy, Quebec city, Canada, May 20 -24, 2007.

5 Comments

  1. Katompa

    Merci pour la démonstration. Comment ont-ils procédé alors ?

  2. Comment by post author

    Admin

    @Katompa, ils ont simplement taillé les roches. Ça leur demandait certes beaucoup de travail mais c’était faisable. On sait où les roches étaient extraites ; on sait qu’ils étaient capables de les transporter.

  3. Henri

    Bonjour,

    Vous affirmez que nous savons comment ils ont transporté les blocs de pierre ? Pouvez vous développer votre affirmation.

    Cordialement

  4. Comment by post author

    Admin

    Bonjour Henri,
    D’abord, je précise que je ne suis pas archéologue. Je peux néanmoins dire que les archéologues savent un certain nombre de choses. L’existence de carrières à proximité des pyramides est prouvée. Si l’on extrayait de gros blocs, c’est parce qu’on pouvait les transporter jusqu’au sommet des pyramides. Le travail de la pierre est illustré par les gravures égyptiennes. On sait aussi que de gros blocs de granite pouvaient être transportés par bateau. Ils descendaient le Nil. Des questions demeurent en suspens, mais ce n’est pas une raison d’accepter des théories qui prétendent tout expliquer et ont été réfutées de manière scientifique.
    Cordialement.

  5. Daniel Blot

    Bonjour, je ne suis docteur en rien mais la loi de la poussée d´ Archimede me laisse penser qu´il a fallu construire sur les berges du Nil des barges en bois de trés grande surface pour les blocs les plus lourds.
    Quoi de mieux que de préparer cela sur les zones inondables avant la crue et d´amener les blocs sur place quand c´est inondé.
    Je dis aussi cela car j´ai vu une réplique d´un bateau antique égyptien sensé porté un bloc de 2 ou 3 tonnes coulé lors du 1er essai. Imaginez donc un bloc de 50 ou 100 tonnes …

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