Les roches sédimentaires du Précambrien n’étaient pas exactement les mêmes que celles de maintenant. Il y avait peu de calcaire. En revanche, des formations ferrifères rubanées (apppelée banded iron formations, BIF en anglais) se déposaient en grandes quantités sur le fond des mers. Ce sont des couches alternées d’oxydes de fer et de jaspe, un sédiment siliceux que les scientifiques désignent plutôt sous le nom de chert. Le fer que l’industrie utilise provient en majeure partie de ces BIF. Depuis 1,8 milliard d’années, de tels sédiments ne se déposent plus, sauf durant le Cryogénien (de 720 à 635 Ma), quand la Terre a été glacée et dépourvue d’oxygène.
La grande question est de savoir pourquoi ces BIF se sont déposés. Ils fournissent la preuve que durant l’Archéen (le deuxième éon de la Terre, de 4 à 2,5 Ga), les océans étaient riches en ions ferreux Fe²⁺, qui leur donnaient une teinte verte. Ces ions ont été oxydés, c’est-à-dire qu’ils ont cédé des électrons et ont été transformés en ions ferriques Fe³⁺, or ceux-ci ne sont pas solubles dans l’eau. Mais pourquoi ont-ils été oxydés ? Le seul coupable sérieux que l’on connaisse aujourd’hui est la vie. C’est une perspective fascinante car les BIF seraient alors le plus important témoignage de sa présence, à une époque où elle était encore unicellulaire. Il y a des BIF dans la région d’Isua, au sud-ouest du Groenland. L’âge des sédiments, parmi les plus anciens de la Terre, dépasse les 3,8 Ga (milliards d’années).
Plusieurs types de photosynthèse
Les organismes pratiquant la photosynthèse oxygénique sont les cyanobactériers, les algues et les plantes. Ils fixent le carbone du CO₂ en le réduisant : ils lui rendent des électrons. Pour cela, il leur faut un donneur d’électrons, qui est en l’occurrence l’eau H₂O. La dissociation de deux molécules d’eau donne quatre protons H⁺, quatre électrons et une molécule de dioxygène O₂ libérée dans l’eau ou l’atmosphère. Cette réaction nécessite de l’énergie, qui est fournie par le rayonnement solaire. En l’absence de lumière, certaines bactéries utilisent des donneurs d’électrons inorganiques, dont les ions ferreux. Les ferro-bactéries vivent généralement dans une eau acide, où ces ions peuvent exister en présence d’oxygène. L’oxydation de ces ions et d’hydrogène produit des ions ferriques et de l’eau. L’énergie obtenue est faible mais de l’hydroxyde de fer (III) Fe(OH)₃ est produit. Il a dû être l’un des constituants originels des BIF. La diagenèse (la consolidation) des sédiments l’a transformé en d’autres minéraux.
Les mers archéennes ne manquaient pas de lumière mais d’oxygène. On suppose que deux types de micro-organismes sont impliqués dans la formation des BIF : des ancêtres des actuelles cyanobactéries et des bactéries photoferrotrophiques. Ces dernières utilisent le CO₂, l’eau, les ions ferreux et la lumière pour fixer le carbone. Outre la manière organique symbolisée par la formule CH₂O, elles produisent des protons et de l’hydroxyde de fer (III), qui précipite. Elles sont rares mais il en existe actuellement dans le golfe de Kabuno, un sous-bassin ferrugineux du lac Kivu, entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda.
En 2015, une équipe de scientifiques conduite par Marc Llirós de l’Université de Namur, a révélé l’existence de bactéries photoferrotrophiques vivant dans ce golfe. Elles constituent 30 % de la communauté microbienne totale et produisent des ions ferriques. Le taux de photoferrotropie dépasse ce qui a été prévu pour la Terre archéenne et suffit à expliquer les BIF. L’eau du golfe de Kabuno n’est oxygénée que jusqu’à 10 mètres de profondeur. Des sources hydrothermales profondes l’alimentent en ions ferreux, ainsi qu’en sels et en gaz montant du manteau terrestre. On a supposé que les ions ferreux des océans archéens provenaient de l’érosion des continents, mais il faut également tenir des émissions de fer par les sources hydrothermales.
Des lacs chargés en ions ferreux semblables aux mers archéennes
Une caractéristique énigmatique des BIF est qu’elles ne contiennent aucune trace de matière organique. Les micro-organismes qui entraînaient leur précipitation n’y figurent pas. Une autre équipe s’est attaquée à ce problème, sous la direction de Katharine Thompson, de l’Université de Colombie-Britannique. Pour cela, elle a utilisé la souche KB01 de la bactérie Chlorobium phaeoferrooxidans, qui avait été isolée dans les eaux du golfe de Kabuno, ainsi qu’une autre souche de bactérie photoferrotrophique vivant dans les sédiments. Cette souche KB01 est la seule connue de ce type capable de vivre en haute mer. Les scientifiques ont découvert qu’en présence de silice, sa surface repousse les oxydes et oxyhydroxydes de fer. Ils ont estimé que les bactéries photoferrotrophiques des mers précambriennes devaient avoir la même propriété. Voilà qui explique pourquoi aucune trace de matière organique n’a été trouvée dans les BIF.
À partir de là, une modélisation du cycle du fer et du carbone a été effectuée, grâce au peu d’informations dont on dispose sur le Précambrien. On sait ainsi qu’au plus fort des dépôts de BIF, il y avait un flux de fer de 45 moles par mètre carré et par an. Le flux de fer émis par les sources hydrothermales actuelles est estimé à 2 000 milliards de moles par an. Il n’est pas suffisant pour soutenir une telle sédimentation, mais il devait être supérieur durant l’Archéen grâce à une activité hydrothermale accrue, à la taille réduite des continents et à d’autres facteurs. Le flux a été estimé à 40 000 milliards de moles il y a 2,5 Ga. L’érosion des continents ajoutait probablement un flux de 5 000 milliards de moles par an, de quoi soutenir un dépôt de BIF de 4 500 milliards de moles par an.
Le schéma présente présente une zone d’upwelling côtier, c’est-à-dire de montée d’eau venue de l’océan intermédiaire et profond à proximité d’un continent. C’est un effet de la rotation de la Terre, plus rapide durant l’Archéen que maintenant, et de la force de Coriolis. Venus des profondeurs, les ions ferreux sont oxydés dans l’océan superficiel, près des côtes (upper costal) et au large (open ocean « océan ouvert »). L’énergie solaire est représentée par hν. Les BIF se déposent sur le plateau continental, le talus et le plancher océanique. Des argiles (shale) sédimentent plus loin, mêlés à de la matière organique. Celle-ci est décomposée par hydrolyse et fermentation, puis par des archées (des procaryotes différentes des bactéries) productrices de méthane. Il y a aussi une réduction des ions ferriques, si bien qu’un flux d’ions ferreux émane de ces sédiments.
Les chercheurs ont établi un rapport entre la sédimentation des BIF, dépourvues de matière organique, et celle d’argiles contenant au contraire des restes d’organismes vivants. Comme ces argiles sont le lieu d’une décomposition émettrice de méthane, qui monte jusqu’à la surface de l’océan et se répand dans l’atmosphère, la production de ce gaz est liée aux BIF. Le flux de méthane produit par la biosphère a été estimé à 3 200 milliards de moles par an, de quoi soutenir une teneur dans l’atmosphère d’environ 10 ppmv (parties par million en volume), or c’est un puissant gaz à effet de serre. Il a pu contribuer à maintenir des températures chaudes à la surface de la Terre, à une époque où le Soleil était moins lumineux que maintenant. Actuellement, la teneur en méthane est de 1,7 ppmv, mais l’activité humaine le fait augmenter.
Cette valeur de 10 ppmv n’est en fait pas très élevée, mais d’autres sources biologiques ont pu exister. En 2019, Thomas Laakso et Daniel Schrag ont publié une étude basée sur un autre lac anoxique et riche en ions ferreux : le lac Matano en Indonésie. Il n’y a cependant pas de dépôt de BIF. D’après eux, si l’oxygène était totalement absent, la teneur en méthane durant l’Archéen n’a jamais dépassé les 100 ppmv.
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Katharine J. Thompson et al., Photoferrotrophy, deposition of banded iron
formations, and methane production in Archean oceans, Science advances, 27 November 2019.
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