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Du nouveau sur l’Altaï, une chaîne de montagnes méconnue au cœur de l’Asie

Le mont Béloukha.

À cheval entre la Mongolie, la Sibérie, le Kazakhstan et la Chine, s’étend une chaîne de montagnes comparable aux Alpes, sur 2 500 kilomètres de long. Son sommet, situé sur la frontière russo-kazakhe, est le Béloukha. Il s’élève à 4 506 mètres d’altitude. À une centaine de kilomètres de là, à la frontière sino-mongole, le mont Khuiten atteint les 4 374 mètres d’altitude. Il est à la fois au point le plus occidental de la Mongolie et le plus septentrional de la province chinoise du Xinjiang. Elle comprend deux grands bassins, celui de Dzoungarie au nord et celui du Tarim au sud. Ils sont séparés par une autre chaîne de montagnes, les Tian Shan, « Monts Célestes » en chinois, dont le sommet est le pic Pobedy à la frontière sino-kazakhe. Il a 7 439 mètres d’altitude.

Le massif de l’Altaï et la Dzoungarie (Dsungarei). Le désert du Taklamakan occupe une grande partie du bassin du Tarim.

Cette chaîne de montagne est l’une des moins bien connues au monde à cause de sa situation géographique. Enclavée au cœur de l’Asie, elle est difficile d’accès. Il a même parfois été impossible de se rendre dans certaines régions pour des raisons politiques. Le mont Khuiten, « Mont Froid » en mongol, n’aurait été gravi pour la première fois qu’en 1963, par une expédition polonaise. Les scientifiques qui publiaient des études sur l’Altaï le faisaient en russe et en chinois, si bien qu’ils ne pouvaient guère être lus dans les pays occidentaux. À présent, on peut lire des publications en anglais sur ce massif dans des revues internationales, majoritairement rédigées par des Chinois.

Coucher de soleil sur le lac Koucherla, Réserve Naturelle de Katun, République de l’Altaï. @ Dmitry A. Mottl / Wikimedia Commons.

Un contrecoup de la collision de l’Inde avec l’Eurasie

Toutes ces montagnes sont récentes. Il suffit de regarder leurs reliefs escarpés pour s’en convaincre. Dans la province russe de l’Altaï, leur ressemblance avec les Alpes est assez frappante. Elles se sont élevées suite à la collision de l’Inde avec l’Eurasie. Cet événement n’a pas provoqué que la surrection de l’Himalaya et du plateau tibétain. Il a eu des conséquences plus loin au nord, jusqu’en Sibérie, où il a ouvert le rift du lac Baïkal. Mais est-il possible de dater à quelques millions d’années près la surrection de ces montagnes ?

Ce problème est particulièrement difficile parce que la ressemblance avec les Alpes n’est qu’apparente. Les Alpes et l’Himalaya sont des exemples de chaînes de collision : elles sont nées de la collision entre deux continents, suite à la fermeture de l’océan qui les séparait. Dans le cas de la chaîne hercynienne durant le Paléozoïque, il y avait trois continents séparés par deux océans. Pendant ces orogenèses, des roches sont enfouies en profondeur dans la croûte terrestre, où elles sont métamorphisées par la chaleur et la pression, avant d’être remontées et mises à l’affleurement par l’érosion. Les transformations qu’elles subissent peuvent être datées. Elles deviennent par exemple des schistes ou des gneiss. À la fin de l’orogenèse hercynienne, d’abondantes émissions de magma se sont produites. Elles ont engendré des roches datables avec précision, comme les granites ou les rhyolites.

Carte géologique de l’Altaï. Inna Sfonova, The Russian-Kazakh Altai orogen: An overview and main debatable issues, Geoscience Frontiers 5, 537-552, 2014.

La formation du continent asiatique est inscrite dans les roches de l’Altaï

La surrection de l’Altaï ne s’est accompagnée ni de métamorphisme ni de magmatisme, ce territoire ayant juste été déformé par le poinçonnement de l’Eurasie par l’Inde, deux mille kilomètres plus au sud. Quand on date ses roches, on obtient des âges qui tombent dans le Paléozoïque, il y a plus de 252 millions d’années, voire avant le Cambrien, il y a plus de 541 millions d’années. Sur la carte géologique, publiée par Inna Safonova de l’Institut de géologie et de minéralogie de Novossibirsk en Sibérie, on voit un terrane en carreaux gris clairs, dit Altaï-Mongol, d’environ 1 000 km de long – un terrane étant un ancien microcontinent. Il est dominé par des grès, des schistes et des ardoises précambriennes. Un autre terrane est celui de Gorny Altaï. Des roches magmatiques, surtout volcaniques, sont datées du Dévonien (de 419 à 359 Ma). Elles sont figurées en gris sombre.

Ces roches nous racontent l’agrégation de vieux continents (les cratons de Sibérie et du Tarim) et de microcontinents, par la subduction d’océans, évènements accompagnés d’un très abondant volcanisme. Elles s’étendent en fait à travers toute l’Asie, de l’Oural jusqu’à la mer du Japon, et forment la ceinture orogénique centre-asiatique (CAOB sur la carte, en bas à droite). Le continent asiatique a achevé de se constituer durant le Mésozoïque, avec la fermeture d’un océan qui s’avançait jusqu’au cœur de la Mongolie. Des sédiments se sont accumulés dans les bassins de Biya-Barnaul et de Dzoungarie (Junggar sur la carte, en jaune) durant le Cénozoïque, il y a moins de 66 millions d’années. La surrection de l’Altaï n’a commencé que durant cette ère, mais elle n’est pas sans rapport avec les évènements du Paléozoïque. Si des montagnes se sont élevées précisément à cet endroit quand l’Inde a embouti l’Eurasie, c’est parce que la structure de la croûte continentale héritée du Paléozoïque s’y prêtait. De grandes failles sont indiquées sur la carte par des traits noirs accompagnés de demi-flèches. Elles datent de la fin du Paléozoïque mais elles ont été réactivées durant le Cénozoïque.

Naissance de deux rivières au Cénozoïque

Dix scientifiques chinois, sous la direction de Li Chaopeng de l’Institut de géologie de Beijing, ont essayé de dater la surrection de l’Altaï en étudiant l’histoire de deux rivières. Elles y prennent leur source et se dirigent vers le bassin de Dzoungarie, dont le climat est devenu aride durant le Cénozoïque. Les fossiles qui y ont été trouvés, notamment ceux de dinosaures, montrent que cette région était plus arrosée durant le Mésozoïque. La rivière Ulungu naît à proximité de la frontière avec la Mongolie, se dirige vers le sud avant de bifurquer vers l’ouest et alimente les lacs Jili et Ulungu. La rivière Irtysh a un cours parallèle, situé plus au nord, et elle atteint le Kazakhstan. Ces cours d’eau rendent le nord de la Dzoungarie habitable.

Un champ de dunes de 32 km de long photographié le 8 septembre 2011 par un astronaute de la Station Spatiale Internationale. La rivière Irtysh apparaît en haut à gauche. Cette zone se trouve près de la ville de Burqin au nord de la Dzoungarie.

On note la présence de failles, le long des montagnes, qui sont actives. Celle de Fuyun (du nom d’une ville et d’un district) s’étire sur 180 km dans une direction nord-sud. Elle a engendré un séisme de magnitude 7,9 le 11 août 1931, avec un rejet moyen de huit mètres. Cela veut dire que les deux compartiments de la faille se sont décalés de cette longueur, or la surrection des montagnes est liée au jeu des failles et donc aux tremblements de terre (voir Failles et séismes). Elle est coupée par une autre faille de direction NW-SE, dite d’Erqis. Durant l’année 1957, celle-ci a produit un séisme de magnitude 8,3 en Mongolie, ce qui est un record mondial pour un séisme intra-continental. Le rejet a été de 8,7 mètres.

La méthode consiste à dater des cristaux de zircon récoltés dans des sédiments de la fin de l’Oligocène (de 34 à 23 Ma) et du Miocène (de 23 à 5,3 Ma) et dans les alluvions récents. Les âges vont de 460 à 360 Ma. Ils sont donc de l’Ordovicien supérieur, du Silurien et du Dévonien. Ces âges sont ceux des roches composant l’Altaï de la frontière sino-mongole. Les cristaux de zircon en ont été extraits par l’érosion et ont été transportés dans le bassin de Dzoungarie par les cours d’eau. Ils ont l’avantage d’être inaltérables et faciles à dater. Les chercheurs ont trouvé qu’il y a 27 millions d’années, les rivières se dirigeaient vers le sud, ce qui prouve qu’il existait déjà des reliefs à la fin de l’Oligocène. Il y a environ 18 millions d’années, elles ont été déviées vers l’ouest à cause d’une élévation de l’Altaï oriental. La rivière Ulungu est alors née. La faille de Fuyun date de la même époque. Il y a moins de 6 millions d’années, c’était au tour de la rivière Irtysh de se diriger vers l’ouest.

On en sait de la sorte un peu plus sur la partie orientale de cette chaîne de montagnes. Ces reliefs sont bel et bien récents et certainement toujours en cours d’élévation. Cette conclusion rejoint des estimations antérieures, faites par exemple par l’équipe de Marc Jolivet en 2007. Pour elle, l’Altaï mongol était une pénéplaine qui est restée inchangée depuis le Jurassique et qui a commencé à se soulever il y a seulement quelques millions d’années, à la fin du Miocène.

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Li Chaopeng et al., Reconstruction on regional paleo-drainage evolution in the northern Junggar Basin, China during the last ~27 myr from provenance analyses and its implications for uplift of the Altai Mountains, Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology 537, 2020.

https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0031018219305723

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