La Terre est une planète extrêmement sèche. L’eau de surface ne représente que 0,023 % de sa masse, bien qu’elle recouvre 71 % de sa superficie. Les océans ont une profondeur moyenne de 3 682 mètres, mais cela représente très peu comparé au rayon moyen de la Terre, qui est de 6 371 kilomètres. Il y aussi de l’eau dans le manteau, notamment dans la zone de transition située entre 410 et 660 km de profondeur, et peut-être même dans le noyau, mais le total ne représente sans doute pas plus de 0,1 % de la masse de la Terre. Il en est ainsi parce que la Terre s’est formée trop près du Soleil : l’eau ne pouvait pas y être présente sous forme de particules de glace. Les corps qui se sont constitués au-delà de l’orbite de Mars sont beaucoup plus riches en eau. Ainsi, Europe et Encelade, qui sont des satellites respectivement de Jupiter et de Saturne, sont recouverts d’un océan gelé en surface mais comportant de l’eau liquide en profondeur. On peut parfaitement imaginer qu’autour d’autres étoiles, il y ait des planètes océans, sans aucune terre émergée.
Le géophysicien Edwin Kite et l’astrophysicien Eric Ford viennent de modéliser l’évolution de planètes ayant 10 à 1 000 fois plus d’eau que la Terre, orbitant autour d’une étoile semblable au Soleil, et se sont aperçus qu’elles pouvaient avoir un climat relativement stable durant plus d’un milliard d’années, malgré l’absence du cycle du carbone. Sur la Terre, ce cycle joue un rôle régulateur. S’il y a un excès de dioxyde de carbone, il est absorbé dans les océans grâce à l’érosion des surfaces continentales par les pluies et s’il manque au contraire de CO2, les volcans font remonter son taux dans l’atmosphère. Seuls les volcans aériens comptent, car ceux des dorsales océaniques, qui sont les plus nombreux, feraient plutôt baisser le taux de CO2 atmosphérique. Sur une planète recouverte d’un océan profond, ce mécanisme régulateur ne peut pas exister. Toutefois, les échanges de carbone entre le manteau de la planète (d’où provient tout le CO2), et l’océan sont restreints par la pression que celui-ci exerce sur la croûte et qui transforme l’eau en glace. La présence d’ions calcium et sodium dans l’eau de mer, due au lessivage de la croûte au tout début de l’histoire de la planète, permet dans la plupart des cas le maintient d’une pression partielle de CO2 comprise entre 0,2 et 20 bar, ce qui autorise l’eau à rester liquide.
L’existence d’une eau liquide est une condition indispensable à l’apparition de la vie, mais elle n’est pas suffisante. Quand les sources hydrothermales ont été découvertes, à partir des années 1970, les scientifiques ont été nombreux à imaginer que la vie y était née. Elle y foisonne actuellement malgré les conditions qui y règnent. Dans les sources les plus chaudes, l’eau jaillit du plancher océanique à plus de 350 °C, sans être en ébullition grâce à la pression qui règne à ces profondeurs. L’avantage de ces milieux est qu’ils sont abondamment pourvus en minéraux pouvant servir de nutriments à des organismes vivants. Il leur faut notamment des nitrates, des phosphates et de la silice (utilisée par certains organismes pour construire leurs coquilles), ainsi que des éléments-traces, présents en très petite quantité mais intervenant dans le métabolisme de ces organismes. Des planètes océans peuvent très bien héberger des sources hydrothermales où la vie est apparue.
Il y a tout lieu de penser que la Terre, au début de son histoire, a été en grande partie recouverte par les océans. Les premiers continents, constitués de roches semblables aux granites devaient être de petite taille. Il devait toutefois y avoir beaucoup d’îles volcaniques, de composition basaltique. Ces terres émergées ont joué un rôle fondamental dans le développement de la vie, si ce n’est pas dans sa naissance, car elles étaient soumises à l’érosion, qui libérait des nutriments dans les océans. Les plus anciennes traces de vie identifiées avec certitude proviennent d’anciens milieux littoraux ou de cratères de volcans. Il y avait une activité hydrothermale. Exposés à la lumière, ces organismes avaient rapidement « inventé » la photosynthèse, qui a joué un rôle majeur dans l’histoire ultérieure de la vie en produisant de l’oxygène. On peut penser qu’une vie confinée à sources hydrothermales profondes, comme celles des dorsales océaniques, resterait purement microbienne. Aujourd’hui, si le Soleil s’éteignait, les animaux vivant près de ces sources disparaîtraient car ils consomment de l’oxygène provenant d’organismes photosynthétiques, vivant donc à la surface de l’océan.
Le satellite SeaWiFS a permis de mesurer de 1997 à 2000 la concentration en chlorophylle dans les océans. Il apparaît immédiatement une très forte productivité à proximité des continents, grâce à l’apport de nutriments par les fleuves. Les autres phénomènes qui enrichissent les eaux en nutriments sont les upwellings. Ce sont des remontées d’eaux profondes causées par les vents et la force de Coriolis. Il y a des upwellings côtiers (qui ne pourraient pas exister sans les continents !) et les upwellings équatoriaux, ces derniers étant dus aux alizées. Les eaux superficielles sont appauvries en nutriments parce que les organismes qui vivent dedans, surtout des algues, les consomment. On voit ainsi que le pouvoir nutritif des océans est assez vite épuisé. C’est au milieu du Pacifique, de l’Atlantique et de l’océan Indien, en zone aride, que la productivité est la plus faible. Les upwellings permettent la naissance d’une chaîne alimentaire et sont les zones les plus riches en poissons.
L’atmosphère apporte également des nutriments, mais en beaucoup plus faible quantité que les fleuves. Il s’agit surtout de poussières minérales produites par l’érosion des continents : des quartz et des minéraux argileux comportant notamment du fer et de l’aluminium. Or le fer est un élément-trace essentiel aux organismes vivants, ce qui remonte probablement à l’époque où les eaux océaniques étaient riches en ions ferreux. C’est dans ce milieu que la vie est apparue. L’oxygénation des océans, qui a commencé il y a 2,45 milliards d’années, a entraîné la précipitation de ce fer. On sait que les particules contenant du fer et de l’aluminium retombent d’elles-mêmes, sans être entraînées par les pluies, et qu’elles doivent se dissoudre dans l’eau pour libérer les nutriments. Outre le fer, les organismes vivants utilisent le strontium, le cuivre, le cobalt, le zinc et le molybdène. Les scientifiques ont eu la surprise de trouver du cadmium, pourtant connu pour sa toxicité mais utilisé par une enzyme de diatomée.
En résumé, la vie telle que nous la connaissons doit beaucoup à l’existence des terres émergées. Sur une planète recouverte d’un océan profond, il est improbable qu’elle soit aussi développée que sur la Terre.
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Edwin S. Kite, Erik B. Ford, Habitability of Exoplanet Waterworlds, The Astrophysical Journal 864, 1, 31 August 2018.
https://iopscience.iop.org/article/10.3847/1538-4357/aad6e0
Voir aussi l’article de Laurent Sacco dans Futura Sciences :
https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/exoplanetes-exobiologie-certaines-planetes-oceans-pourraient-accueillir-vie-72663/
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