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Des feuilles fossiles montrent qu’un taux élevé de carbone atmosphérique est à l’origine d’un ancien « verdissement global »

Une feuille âgée de 23 millions d'années conservée dans les sédiments d'un ancien lac de Nouvelle-Zélande, clé des conditions atmosphériques passées. On peut y voir des veines, des glandes le long des dents, et des trous faits par les insectes, avec pour conséquence un retard de croissance et des tissus cicatriciels. Photo Jennifer Bannister/Université d'Otago.

Les scientifiques qui étudient des feuilles provenant d’une forêt vieille de 23 millions d’années ont établi pour la première fois un lien entre les niveaux élevés de dioxyde de carbone atmosphérique et la croissance accrue des plantes, ainsi que le climat chaud de l’époque. Cette découverte permet de mieux comprendre comment l’augmentation du CO2 réchauffe la Terre et comment la dynamique de la vie végétale pourrait changer dans les décennies à venir, lorsque les niveaux de CO2 pourraient ressembler à ceux du passé lointain.

Les scientifiques ont récupéré les feuilles dans le lit d’un lac néo-zélandais unique en son genre, qui contient les restes de plantes, d’algues, d’araignées, de scarabées, de mouches, de champignons et d’autres êtres vivants d’une période chaude connue sous le nom de Miocène inférieur. Les scientifiques ont longtemps postulé que le taux de CO2 était élevé à cette époque et que certaines plantes pouvaient le capter plus efficacement pour la photosynthèse. Cette étude est la première à montrer que ces deux phénomènes se sont effectivement produits en même temps. Les résultats ont été publiés cette semaine dans la revue Climate of the Past.

Foulden Maar, un cratère volcanique éteint depuis longtemps. L’excavation de surface à droite a permis d’obtenir les premiers échantillons de nombreuses créatures jusqu’alors inconnues. Le forage à gauche, effectué en 2009, a permis de récupérer des échantillons jusqu’à 100 mètres de profondeur. Photo Daphne Lee/University of Otago

« Ce qui est étonnant, c’est que ces feuilles sont pratiquement momifiées, ce qui nous permet de connaître leur composition chimique d’origine et de voir toutes leurs caractéristiques au microscope », a déclaré l’auteur principal, Tammo Reichgelt, chercheur adjoint à l’Observatoire de la Terre Lamont-Doherty de l’Université Columbia et professeur adjoint de géosciences à l’Université du Connecticut. « Les preuves se sont accumulées que le CO2 était élevé à cette époque, mais il y a eu des paradoxes ».

Ce que l’on appelle « l’effet de fertilisation par le carbone » a de vastes implications. Des expériences en laboratoire et sur le terrain ont montré que lorsque les niveaux de CO2 augmentent, de nombreuses plantes augmentent leur taux de photosynthèse, car elles peuvent retirer plus efficacement le carbone de l’air tout en conservant l’eau. En effet, une étude de 2016 basée sur des données satellitaires de la NASA montre un effet de « verdissement global » principalement dû à l’augmentation des niveaux de CO2 d’origine humaine au cours des dernières décennies ; un quart à la moitié des terres végétalisées de la planète a vu le volume des feuilles des arbres et des plantes augmenter depuis environ 1980. Cet effet devrait se poursuivre avec l’augmentation des niveaux de CO2.

Des paléobotanistes fouillant Foulden Maar pour trouver des fossiles en 2013. Photo William D’Andrea.

Cela peut sembler une bonne nouvelle, mais la réalité est plus complexe. L’absorption accrue de CO2 est loin de compenser ce que l’homme déverse dans l’air. Toutes les plantes ne peuvent pas en profiter, et parmi celles qui le font, les résultats peuvent varier en fonction de la température et de la disponibilité de l’eau ou des nutriments. En outre, il est prouvé que lorsque certaines grandes cultures réalisent une photosynthèse plus rapide, elles absorbent relativement moins de calcium, de fer, de zinc et d’autres minéraux essentiels à l’alimentation humaine. Étant donné qu’une grande partie de la vie végétale actuelle a évolué dans un monde tempéré à faible taux de CO2, certains écosystèmes naturels et agricoles pourraient être bouleversés par l’augmentation des niveaux de CO2, ainsi que par la hausse des températures et les modifications des précipitations qu’elle entraîne. « Personne ne sait comment cela va se passer, a déclaré M. Reichgelt. C’est une nouvelle couche de stress pour les plantes. Cela pourrait être génial pour certaines et horrible pour d’autres. »

Le gisement est situé dans un petit cratère volcanique éteint depuis longtemps, maintenant situé dans une ferme près de la ville de Dunedin, dans le sud de la Nouvelle-Zélande. Le cratère, d’un diamètre d’environ un kilomètre, abritait autrefois un lac isolé où des couches successives de sédiments se sont accumulées à partir du milieu environnant. Cette particularité n’a été reconnue qu’au cours des quinze dernières années environ ; les scientifiques l’ont baptisée Foulden Maar. Reconnaissant qu’il s’agissait d’une mine d’or scientifique, ils l’étudient depuis lors. Certains se sont également battus contre une société minière qui veut exploiter le gisement pour nourrir le bétail.

(a) Position actuelle et position pendant le Miocène inférieur de Foulden Maar. (b) Reconstitution schématique de l’ancien environnement de Foulden Maar. L’anoxie des eaux profondes du lac a permis la conservation de la matière organique. (c) Colonne stratigraphique avec les positions des échantillons et composition isotopique du carbone.

Dans la nouvelle étude, les chercheurs ont prélevé des échantillons d’une carotte de forage de 2009 qui a pénétré de 100 mètres jusqu’au fond du lit du lac, aujourd’hui asséché. Entre les couches annuelles blanchâtres d’algues riches en silice qui ont fleuri chaque printemps pendant 120 000 ans, on trouve en alternance des couches noirâtres de matière organique tombées pendant les autres saisons. Parmi celles-ci figurent d’innombrables feuilles d’une forêt subtropicale à feuilles persistantes. Elles sont conservées si parfaitement que les scientifiques peuvent voir les veines et les stomates microscopiques, les pores par lesquels les feuilles aspirent l’air et rejettent simultanément l’eau pendant la photosynthèse. Contrairement à la plupart des fossiles, les feuilles conservent également leur composition chimique d’origine. C’est le seul gisement de ce type connu dans l’hémisphère Sud, et il est bien mieux conservé que les quelques gisements similaires connus dans le Nord.

Le Miocène a longtemps été une source de confusion pour les chercheurs en paléoclimat. On pense que les températures moyennes mondiales étaient de 3 à 7 °C plus élevées qu’aujourd’hui et que la glace a largement disparu aux pôles. Pourtant, de nombreuses données indirectes, provenant principalement d’organismes marins, suggèrent que les niveaux de CO2 n’étaient que d’environ 300 ppm (parties par million), ce qui correspond à ceux de l’époque préindustrielle et n’est pas suffisant pour expliquer un tel réchauffement. Comme les preuves d’un taux élevé de CO2 ne sont pas évidentes, les scientifiques ont supposé que les mesures par les proxies (les indicateurs paléoclimatiques) précédentes devaient être erronées.

Partie d’une feuille momifiée, fortement agrandie. On peut distinguer des cellules épidermiques individuelles et des stomates en forme de bouche, des ouvertures par lesquelles la feuille absorbait du dioxyde de carbone et rejetait de l’eau. Photo Tammo Reichgelt.

Sur la base de cette nouvelle étude et d’une étude antérieure connexe menée également à Foulden Maar, les chercheurs ont pu résoudre cette énigme. Ils ont analysé les isotopes du carbone dans les feuilles d’une demi-douzaine d’espèces d’arbres trouvées à différents niveaux du dépôt. Ils ont ainsi pu déterminer la teneur en carbone de l’atmosphère à l’époque. Ils ont également analysé la géométrie des stomates des feuilles et d’autres caractéristiques anatomiques, et les ont comparées aux feuilles modernes. En combinant toutes les données dans un modèle, ils ont découvert que le CO2 atmosphérique n’était pas de 300 ppm, mais d’environ 450 ppm, ce qui correspond bien aux données de température. Ensuite, ils ont montré que les arbres étaient très efficaces pour aspirer le carbone par les stomates, sans laisser échapper beaucoup d’eau par la même voie – un facteur dont toutes les plantes doivent tenir compte. Cela leur a permis de pousser dans des zones marginales qui, autrement, auraient été trop sèches pour les forêts. Selon les chercheurs, cette efficacité supérieure a très probablement été reproduite dans les forêts des latitudes tempérées septentrionales, avec leurs masses terrestres beaucoup plus importantes.

Les émissions humaines ont aujourd’hui porté les niveaux de CO2 à environ 415 parties par million, et il est presque certain qu’ils atteindront 450 parties par million d’ici à 2040 environ – des niveaux identiques à ceux qu’a connus la forêt de Foulden Maar. Les estimations des augmentations de température qui en résulteront au cours des décennies et des siècles varient, mais la nouvelle étude suggère que la plupart sont dans la fourchette.

« Tout se tient, tout est logique », a déclaré William D’Andrea, coauteur de l’étude et spécialiste du paléoclimat à Lamont-Doherty. En plus de montrer comment les plantes peuvent réagir directement au CO2, « cela devrait nous donner plus de confiance sur la façon dont les températures vont changer avec les niveaux de CO2 », a-t-il ajouté

La coautrice de l’étude, Daphne Lee, paléontologue à l’université d’Otago en Nouvelle-Zélande, a pris l’initiative d’étudier le riche écosystème de Foulden Maar après sa découverte. Plus récemment, elle est devenue une défenseuse inattendue du maar, lorsqu’une société dont les propriétaires se trouvent en Malaisie et au Royaume-Uni a annoncé son intention d’extraire le gisement à ciel ouvert pour l’utiliser comme additif alimentaire pour les porcs, les canards et d’autres animaux d’élevage intensif. Avec de nombreuses autres découvertes à faire, les scientifiques ont été horrifiés et se sont alliés aux habitants qui craignaient le bruit et la poussière. Le conseil municipal de Dunedin envisage désormais d’acheter le terrain pour le protéger.

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Traduction d’un communiqué de presse de l’Université Columbia.

Tammo Reichgelt, William D’Andrea et al., Elevated CO2, increased leaf-level productivity, and water-use efficiency during the early Miocene, Climate of the Past, 20 August 2020.

https://cp.copernicus.org/articles/16/1509/2020/

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