L’Asie est un immense continent que l’on connaît très mal. On parle plutôt de l’Extrême-Orient, beaucoup moins des Sibérie, Mongolie et Kazakhstan, ou encore de l’ouest de la Chine, conquête récente de l’empire chinois qui appartient plutôt à l’Asie centrale. Ces territoires ont été étudiés par des géologues locaux, surtout russes, mais aussi mongols, chinois et australiens. Leur but n’a pas toujours été désintéressé, car les ressources minérales sont abondantes dans ces régions. Mais ici, il sera question de l’histoire de l’Asie.
Voici d’abord une carte géologique simplifiée de l’Asie du Nord, réalisée en 2007. On y voit plusieurs cratons, qui sont d’anciens continents. Le plus important est celui de Sibérie. Il est en grande partie recouvert de sédiments récents, mais il existe des affleurements de roches anciennes, qu’on appelle des boucliers (shield). Ceux d’Anabar et d’Aldan sont représentés en rouge. Ils sont d’âge archéen et paléoprotérozoïque. Leurs roches ont donc plus de 1 800 Ma (millions d’années). On en voit également autour du lac Baïkal. Parmi les roches récentes qui recouvrent le craton sibérien, figurent des épanchements de basalte âgés de 250 Ma. Ce sont les trapps de Sibérie, à laquelle l’extinction de la fin du Permien est attribuée. Le bouclier d’Anabar est une « fenêtre » qui n’a pas été recouverte par ces laves. Les cratons sino-coréen (SKC) et du Tarim sont également représentés. Le bassin du Tarim est une immense cuvette située entre le plateau tibétain au sud et les Tian Shan au nord, où se trouve le désert du Taklamakan.
Une vaste zone appelée la Ceinture orogénique centre-asiatique (Central Asian Orogenic Belt, CAOB) s’étend d’ouest en est, à travers toute l’Asie, de l’Oural jusqu’à la Mer du Japon. C’est une zone très complexe où l’on remarque notamment la présence d’ophiolites, qui sont des lambeaux de croûte océanique. Celle-ci est composée de roches de composition basaltique. Leur présence indique que plusieurs océans séparaient autrefois ces cratons. Mais il y avait aussi des micro-continents, notamment celui du Kazakhstan et de Touva-Mongolie (la Touva est une république russe). Dans la carte ci-dessus, les frontières des États modernes sont indiquées, ainsi que la capitale de la Mongolie, Ulaanbaatar. Les micro-continents sont indiqués en gris foncé. Ils sont précambriens : leur âge est supérieur à 541 Ma. Pour la Touva méridionale, les âges sont compris entre 850 et 660 Ma. Les ophiolites sont figurées par de gros traits noirs. Le plus grand est celui de Bayankhongor, daté de 655 à 636 Ma. Il avoisine le bloc de Baidrag, qui est beaucoup plus ancien puisque ses roches atteignent presque les 3 milliards d’années.
L’assemblage de ces cratons et micro-continents s’est effectué durant le Paléozoïque, de 541 à 252 Ma. Tous les océans qui les séparaient ont disparu. D’ailleurs, à la fin de cette ère, l’essentiel des continents étaient réunis en un seul supercontinent, la Pangée. Durant le Mésozoïque et le Cénozoïque, l’Asie est restée presque entièrement émergée, si bien qu’il y a eu peu de sédimentation marine. Les sédiments qui se sont déposés sont continentaux : des galets, du sable et du loess. Dans la CAOB, les roches qui affleurent datent surtout du Paléozoïque. Je ne ferai pas ici le récit complet de l’assemblage de ces continents. Il est préférable de montrer trois jolis blocs-diagrammes détaillant la collision du micro-continent Touva-Mongolie contre le craton sibérien, qui s’est effectuée au début du Cambrien. Avant cela, le sud de la Sibérie était bordé par un océan qualifié de paléo-asiatique.
Au Néoprotérozoïque, de 1 000 à 541 Ma, le plancher de cet océan est en subduction sous le craton sibérien : il s’enfonce dans le manteau. Les phénomènes qui se produisent sont classiques. La plaque plongeante se déshydrate. De l’eau monte dans le manteau et entraîne sa fusion. Le magma ainsi créé monte. Il peut atteindre la surface et engendrer du volcanisme, mais le plus souvent, il reste dans la croûte continentale et se cristallise en plutons de granite. En bordure du craton sibérien, il devait y avoir une cordillère volcanique semblable aux Andes. Notez aussi qu’une part des sédiments portés par la plaque plongeante ne s’enfoncent pas dans le manteau avec elle. Ils s’accumulent au pied du craton et forment un prisme sédimentaire, représenté en jaune clair.
Au début du Cambrien, la subduction s’achève. Le micro-continent Touva-Mongolie entre en collision avec le craton sibérien, ce qui entraîne la formation d’une chaîne de montagnes (une orogenèse) du type alpin. Un volcan sous-marin (seamount) qui se trouvait sur le plancher de l’océan se retrouve écrasé dans ces montagnes, en même temps que le prisme sédimentaire. Mais l’histoire n’est pas finie. Une deuxième subduction est en cours au sud du micro-continent Touva-Mongolie. Le troisième bloc-diagramme montre la situation au Dévonien inférieur, il y a un peu de moins de 416 Ma. Le prisme sédimentaire est très développé et a une particularité : du magma monte dedans. Il se peut que la croûte océanique se soit fissurée, entraînant la formation d’une dorsale océanique alors même que la subduction se poursuivait. On explique ainsi la composition particulière de certaines roches volcaniques : andésites, basaltes et adakites. Les premières se forment actuellement dans les Andes et les troisièmes sont présentes tout à fait au sud de cette cordillère. Il y a également eu une importante production de granites, visibles dans le massif actuel de l’Altaï, à l’ouest de la Mongolie. C’est donc du granite dévonien. Cette histoire s’achève avec l’arrivée du craton du Tarim, que Xiao Wenjiao et M. Santosh datent de la fin du Permien, voire du début du Trias (« The western Central Asian Orogenic Belt : A window to accretionary orogenesis and continental grow », Gondwana Research, 2014).
Les granites sont très présents dans la CAOB. Ce sont les produits de cet assemblage de continents. La croûte continentale étant principalement formée de granites, son volume s’est accru pendant la formation de la CAOB. C’est un fait très important. La création de granite dans une zone de subduction s’appelle l’accrétion continentale.
Article détaillé : Géologie de la Mongolie septentrionale
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A. Kröner et al., Accretionary growth and crust formation in the Central Asian Orogenic Belt and comparison with the Arabian-Nubian shield, in Hatcher, R.D., Jr., Carlson, M.P., McBride, J.H., and Martínez Catalán, J.R., eds., 4-D Framework of Continental Crust: Geological Society of America Memoir 200, p. 181–209, 2007.
Long Xiaoping et al., Detrital zircon ages and Hf isotopes of the early Paleozoic flysch sequence in the Chinese Altai, NW China: New constrains on depositional age, provenance and tectonic evolution, Tectonophysics 480, 213–231, 2010
Y. Rojas-Agramonte et al., Detrital and xenocrystic zircon ages from Neoproterozoic to Palaeozoic arc terranes of Mongolia: Significance for the origin of crustal fragments in the Central Asian Orogenic Belt, Gondwana Research 19, 751–763, 2011.
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