L’astéroïde Ryugu est un astre découvert en 1999 qui croise l’orbite de la Terre. Le nom qui lui a été attribué a été pris à la mythologie japonaise. Comme il est le 162173ème astéroïde découvert, son nom complet est (162173) Ryugu. C’est un corps très sombre et par conséquent difficile à voir dans le ciel. Son albédo est de seulement 0,047, c’est-à-dire qu’il réfléchit 4,7 % du rayonnement solaire, contre 0,11 pour la Lune. De forme grossièrement sphérique, avec un bourrelet équatorial, il a environ 875 mètres de diamètre d’un pôle à l’autre et il tourne sur lui-même en 7,63 heures, son axe de rotation était presque perpendiculaire au plan de son orbite. Celle-ci est une ellipse de demi-grand axe 178 millions de kilomètres. C’est sa distance « moyenne » au Soleil. Ryugu est donc en général un peu plus éloigné du Soleil que la Terre (dont le demi-grand axe de l’orbite vaut 149 millions de kilomètres), mais il s’en rapproche durant chaque révolution à 144 millions de kilomètres, avant de s’en éloigner à 212 millions de kilomètres. Les plans des orbites de la Terre et de Ryugu ne coïncident pas, ce qui diminue le risque de collision : ils font un angle de 5,9°.
En 2005, l’agence spatiale japonaise, la JAXA, avait réussi à prélever des échantillons sur l’astéroïde Itokawa, grâce à la sonde Hayabusa. Le 3 décembre 2014, elle a lancé la sonde Hayabusa 2 vers Ryugu, qui s’est mise en orbite autour de cet astéroïde en juin 2018. Elle a largué deux petits rovers japonais, qui se sont posés le 22 septembre de la même année. Ils ont été rejoints le 3 octobre par un atterrisseur franco-allemand, MASCOT (Mobile Asteroid Surface Scout). Ce ne sont cependant pas ces robots qui ont prélevé des échantillons de Ryugu, mais la sonde spatiale elle-même, une première fois le 21 février 2019 et une deuxième fois le 11 juillet, en touchant la surface de l’astéroïde. Elle a commencé son voyage de retour sur Terre le 13 novembre. Les 5,4 grammes d’échantillons étaient placés dans une capsule que la sonde a larguée le 5 décembre 2020. Elle s’est posée dans le désert de Woomera en Australie douze heures plus tard.

La grande question était de savoir de quoi est fait cet astéroïde et de le comparer aux météorites récoltées sur Terre, dont on sait qu’il existe différents types. Les plus fréquentes sont les chondrites, appelées ainsi parce qu’elles contiennent des sphérules millimétriques, les chondres, prises dans une matrice à grain très fin. Il s’agit de gouttes de magma qui « flottaient » dans le disque protoplanétaire, à partir du lequel les planètes du Système solaire se sont formées (voir Les premiers matériaux solides dans le disque protoplanétaire). Ces gouttes n’évoluaient pas dans le vide, puisqu’il y avait encore beaucoup de gaz, et il était d’autant plus chaud qu’il se trouvait près du Soleil. Celui-ci était essentiellement composé, comme le Soleil lui-même, d’hydrogène et d’hélium.
La composition des chondrites carbonées et de Ryugu
Les chondrites carbonées, notées C, sont riches en carbone et contiennent peu de chondres : leur matrice en représente plus de 30 %. On les divise en 9 catégories, auxquelles s’ajoutent quelques chondrites non groupées. Les chondrites CM ont été nommées d’après la météorite de Mighei, tombée en Ukraine le 18 juin 1889. Elle pesait 8 kg. Ces météorites contiennent jusqu’à 2,9 % de carbone, sous forme pure, dans des composés organiques et du carbonate de calcium CaCO3 (calcite et dolomite). On en connaît plus de 400. Les chondrites du type Ivuna, CI, sont définies d’après une météorite tombée en Tanzanie le 16 décembre 1938. Elle pesait 704 kg. Ces météorites, beaucoup plus rares que les chondrites CM, ont entre 3 et 5 % de carbone, parfois présent dans des composés organiques. Elles n’ont plus de chondres car ils ont été altérés par de l’eau.
L’analyse des échantillons de Ryugu a été présenté dans un article publié en 2022 dans la revue Science. Elle a permis de rattacher cet astéroïde aux chondrites CI. Ils ont les mêmes abondances en éléments volatils. Les rapports isotopiques du chrome et du titane sont également similaires. Des grains de magnétite Fe3O4, de breunnerite (Mg,Fe)CO3, de dolomite et de pyrrhotite (un sulfure de fer) sont enveloppés dans une matrice de serpentine et de saponite. Ces deux minéraux sont des phyllosilicates, le second étant une argile du type smectite. Ils résultent de l’altération par l’eau de silicates (des oxydes de silicium) tels que l’olivine (Mg,Fe)SiO4 et les pyroxènes, dont l’enstatite Mg2(SiO3)2, qui sont des constituants des chondres et du manteau supérieur de la Terre. Les roches sont principalement des silicates et des carbonates.

Toutes les météorites sont des fragments de corps appelés des corps parents. Ryugu en est lui aussi un, bien qu’il se trouve toujours dans l’espace. Plus exactement, c’est un ensemble de fragments liés par la gravité. Certains sont des rochers bien visibles à sa surface. Il est plein de trous, sa porosité étant évaluée à 50 %. Il provient sûrement d’un corps parent qui devait avoir une centaine de kilomètres de diamètre, assez grand pour qu’il soit chauffé par un processus interne. Il a dû être frappé par un impacteur de taille inférieure à 10 km, qui a éjecté dans l’espace des débris ayant plus tard formé Ryugu.
On estime que ce corps s’est constitué à peu près 2 millions d’années après la naissance du Système solaire et que sa température est montée à environ 50 °C (soit 323 degrés au-dessus du zéro absolu !) durant les 3 millions d’années suivantes, entraînant l’altération des silicates par l’eau, c’est-à-dire qu’ils ont chimiquement réagi avec elle pour donner des phyllosilicates. Dans la serpentine (Mg,Fe,Ni)3Si2O5(OH)4, on retrouve l’hydrogène H de l’eau, et il en est de même avec la saponite. La quantité d’eau structurale dans Ryugu est similaire à celle des chondrites CI, mais l’eau interfoliaire (les phyllosilicates ayant une structure en feuilles) y est largement absente, ce qui suggère une perte d’eau interfoliaire vers l’espace. Cette perte d’eau est due à une combinaison de réchauffement par impacts avec d’autres corps, de réchauffement solaire, d’irradiation par le vent solaire et d’exposition prolongée au vide interplanétaire.

Ce que la mission Hayabusa 2 a récolté sur Ryugu, c’est de la chondrite CI intacte. Les météorites récoltées sur Terre sont dégradées par leur rentrée dans l’atmosphère, durant laquelle elles sont chauffées jusqu’à acquérir une croûte de fusion. Les phyllosilicates et les composés organiques (également porteurs d’eau structurale) sont altérés. Ils peuvent être contaminées par de l’eau terrestre, qui entraîne la formation de sulfates et de ferrhydrites. La composition chimique de Ryugu est très proche, encore plus que celle des chondrites CI, de la surface du Soleil. On parle ici de tous les éléments sauf de l’hydrogène et de l’hélium.
L’eau des chondrites carbonées
Laurette Piani, du Centre de recherches pétrographiques et géochimiques (CRPG / Université de Lorraine, CNRS), s’est intéressée depuis le début de sa carrière à l’eau dans le Système solaire. Elle a dirigé plusieurs articles à ce sujet, dont l’un a été publié en 2021 dans la revue Earth and Planetary Science Letters. Son sujet est le rapport D/H dans l’eau des chondrites carbonées. Les lettres H et D désignent respectivement l’hydrogène et son isotope lourd, le deutérium, dont le noyau est composé d’un proton et d’un neutron. L’eau de mer contient en moyenne 0,015576 % de deutérium, concentration considérée comme standard.
Il n’est pas facile déterminer le rapport D/H de l’eau des chondrites carbonées parce que leur hydrogène vient à la fois de l’eau et des composés organiques. La méthode présentée par Laurette Piani et son équipe est de mesurer les rapports C/H (carbone/hydrogène) et D/H des matrices chondritiques. Elle donne accès au D/H des minéraux hydratés et par conséquent des grains de glace d’eau qui sont entrés dans la composition de ces corps. Cela n’a pu se faire que loin du Soleil, au-delà de la ligne de glace. Elle est située à 4 unités astronomiques du Soleil (4 fois la distance Soleil-Terre), entre Mars et Jupiter. Le résultat que les scientifiques ont obtenu est que chaque groupe de chondrite carbonée (CI, CM, CO, etc.) possède son propre D/H et que, dans l’ensemble, cette eau est appauvrie en deutérium par rapport à celle des comètes et des chondrites dites ordinaires, plus nombreuses que les chondrites carbonées.
Une explication possible fait intervenir le gigantesque nuage moléculaire, comprenant des grains de poussières et des molécules d’hydrogène H2, d’où proviennent le Soleil et son disque protoplanétaire. L’hydrogène des molécules d’eau et des composés organiques y est enrichi en deutérium grâce aux très basses températures et aux rayons cosmiques. Il est possible que cet hydrogène ait été transféré du nuage vers le disque durant les premiers millions d’années par des filaments, de manière épisodique, façonnant les variations du rapport D/H.
L’eau de l’astéroïde Ryugu
Après avoir étudié l’eau des chondrites carbonées, Laurette Piani s’est penchée sur l’eau de l’astéroïde Ryugu. Avec 87 chercheurs majoritairement japonais, elle a rédigé une étude publiée le 4 avril 2023 dans The Astrophysical Journal Letters, qui a confirmé la parenté de Ryugu avec les CI par la mesure du rapport D/H de leurs minéraux hydratés.

Comme avec les chondrites carbonées, les scientifiques ont effectué des mesures au CRPG sur trois fragments de roche provenant des deux sites d’atterrissage, avec toutes les précautions nécessaires pour qu’ils ne soient pas contaminés par des composés chimiques terrestres. Les mesures ont également été faites sur des échantillons des chondrites d’Ivuna et de Mighei. La technique utilisée est la spectrométrie de masse des ions secondaires (SIMS en anglais). Cette technique consiste à bombarder un échantillon, sur une surface microscopique, et à ioniser les atomes éjectés. Ces ions secondaires passent dans un spectromètre de masse qui permet de les identifier.
Les scientifiques ont obtenu 95 analyses des rapports D/H et C/H (avec le carbone 13, l’isotope lourd stable du carbone) sur les trois fragments de Ryugu. Ils en ont rejeté 5 considérées comme aberrantes. Le résultat est
D/H = (165 ± 19) × 10 – 6
ou encore 0,0165 % avec une erreur de ± 0,0019 %.
L’équipe a également mesuré le rapport D/H dans la météorite d’Orgueil, tombée le 14 mai 1864 dans le Tarn-et-Garonne, et dans celle de Mighei. La première est une chondrite CI et son rapport D/H vaut (119 ± 11) × 10 – 6. Son eau contenait donc un peu moins de deutérium que celle de Ryugu et que l’eau de mer. Celle de la météorite de Mighei en avait en revanche beaucoup moins, puisque son rapport D/H vaut (96 ± 8) × 10 – 6. Les résultats sont rassemblés dans ce diagramme, qui montre que l’eau des chondrites CM est nettement moins riches en deutérium que celle des chondrites CI de Ryugu et que l’eau de mer :

Une caractéristique surprenante de Ryugu et des chondrites CI est leur faible enrichissement en deutérium. En effet, le rapport D/H de l’hydrogène H2 protosolaire est faible : il dépasse de peu 50 × 10 – 6 comme le voit dans ce diagramme. L’eau des comètes, formée dans le Système solaire externe, a été fortement enrichie en deutérium. Comme Ryugu et les chondrites CI viennent de la même région, on devrait s’attendre à ce que leur eau ait été autant enrichie en deutérium, mais ce n’est pas le cas. Il se peut qu’elle provienne du nuage moléculaire (et donc du milieu interstellaire, avec un rapport D/H élevé), mais qu’elle ait subi un rééquilibrage avec l’hydrogène pauvre en deutérium du disque protoplanétaire. On peut aussi envisager une destruction de l’eau riche en deutérium par des photons ultraviolets à la surface des grains de glace avant l’accrétion des corps parents.
Enfin, cette nouvelle publication complète un article antérieur, publié en 2020 dans la revue Science. Il était consacré aux chondrites à enstatite, un groupe de météorites représentant 2 % des chutes. Comportant plus de 90 % de chondres, elles proviennent du Système solaire interne et l’on pense qu’elles sont représentatives des « briques » à partir desquelles la Terre et les autres planètes telluriques se sont formées. En faisant le compte de tout l’hydrogène des chondrites à enstatite, Laurette Piani et ses collaborateurs ont trouvé que ces briques avaient assez d’eau pour fournir à la Terre au moins 3 fois la masse des océans (qui représentent 0,023 % de sa masse totale). Il y a de l’eau à la surface de la Terre, mais aussi dans son manteau, plus exactement dans la zone de transition, entre 410 et 660 km de profondeur. De plus, les rapports D/H de l’eau des chondrites à enstatite et du manteau sont égaux, mais le rapport D/H de l’eau des océans est un peu supérieur. Cela s’explique par un apport tardif d’eau venue d’au-delà de la ligne de glace, à la surface de la Terre. Si elle a été apportée par des corps comme Ryugu, elle représente environ 30 % de la masse totale des océans. Cette eau enrichie en deutérium est restée à la surface, sans pénétrer dans le manteau.
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Laurette Piana et al., Earth’s water may have been inherited from material similar to enstatite chondrite meteorites, Science, 28 August 2020. [1]
Laurette Piani et al., Origin of hydrogen isotopic variations in chondritic water and organics. Earth and Planetary Science Letters, 1 August 2021. [2]
Tetsuya Yokoyama et al., Samples returned from the asteroid Ryugu are similar to Ivuna-type carbonaceous meteorites, Science, 9 June 2022. [3]
Laurette Piani et al., Hydrogen Isotopic Composition of Hydrous Minerals in Asteroid Ryugu, The Astrophysical Journal Letters, 4 April 2023. [4]
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