L’extinction de masse de la fin de l’Ordovicien (de 485 à 443 Ma) a-t-elle été provoquée par la chute d’un bolide (astéroïde ou autre corps céleste) sur la Terre, comme celle de la limite Crétacé-Paléogène, maintenant très bien documentée ? Il y a 66 millions d’années, un impact a creusé un cratère d’environ 180 km de diamètre qui se trouve maintenant à cheval entre la péninsule du Yucatan et le golfe du Mexique : c’est l’astroblème de Chicxulub. À l’époque, ce territoire était entièrement recouvert par la mer, si bien que 6 000 mètres de calcaire s’y sont déposés. Des forages à travers cette couche de sédiments ont permis d’extraire des roches perturbées par la collision. L’extinction de masse que celle-ci a provoquée est connue pour avoir mis fin au règne des dinosaures sur les continents, mais elle a été moins importante que celle de la fin de l’Ordovicien, car « seulement » 40 % des genres et 70 % des espèces ont disparu. Durant l’étage final de l’Ordovicien, l’Hirnantien (de 445 à 443,8 Ma), ce sont 50 % des genres et 85 % des espèces qui se sont éteints, sachant que la vie se concentrait alors dans les mers. L’extinction fini-ordovicienne est ainsi la seconde de tout le Phanérozoïque (du Cambrien à maintenant), derrière celle de la limite Permien-Trias il y a 252 millions d’années et devant celle de la limite Crétacé-Paléogène.
Pour affirmer qu’une crise est d’origine extraterrestre, il n’est pas nécessaire de trouver une structure d’impact. La majeure partie de la surface du globe est recouverte par des océans. Un corps céleste peut très bien tomber dans un océan et y laisser un astroblème, qui disparaît ensuite par subduction. Presque aucune plaque océanique n’a plus de 180 millions d’années. Mais un astroblème géant antérieur au Silurien (de 444 à 419 Ma) existe au sud-est de l’Australie, centré sous la région de Deniliquin. Il a été décrit pour la première fois en 2000. Un diamètre de 1 240 km lui était alors attribué, ce qui était beaucoup.
Cette structure n’affleure pas. Les sédiments du bassin de Murray, entre Adélaïde et Canberra, la recouvrent. Apportés par des fleuves, des lacs et des incursions marines, il se sont déposés durant le Cénozoïque, il y a moins de 66 millions d’années. Au-dessus de la structure, ils ont 300 mètres d’épaisseur. Les roches qui affleurent autour du bassin datent du Paléozoïque (de 541 à 252 Ma), l’ère à laquelle l’Ordovicien appartient. Il n’y a pas de roche du Mésozoïque (de 252 à 66 Ma) parce que territoire était à l’air libre et soumis à l’érosion. L’astroblème a été partiellement érodé, si bien que des informations ont été perdues. Étant beaucoup plus ancienne que la crise Crétacé-Paléogène, la crise fini-ordovicienne est plus difficile à étudier. À l’époque, la disposition des continents n’était pas du tout la même. Ainsi, l’Australie était accolée à l’Antarctique oriental, la Tasmanie n’était pas encore assemblée et la Chine du Sud se trouvait non loin à l’ouest.
Ce sont des prospections géophysiques qui ont permis la découverte de l’astroblème de Deniliquin : la détection des anomalies gravitationnelles et magnétiques. Le Moho, c’est-à-dire la frontière entre le manteau supérieur et la croûte continentale, est de 10 km moins profond que dans les environs, ce qui est typique d’une structure d’impact. L’astroblème possède également de multiples anneaux concentriques. En 2022, A.Y. Glikson et A.N. Yeates lui ont attribué un diamètre de 520 km, largement inférieur au 1 240 km initiaux. Il reste néanmoins le plus grand astroblème connu sur Terre, loin devant le cratère de Chicxulub et même devant le dôme de Vredefort en Afrique du Sud. Ce dernier a un âge d’un peu plus de 2 milliards d’années et son diamètre est d’environ 300 km. L’âge de l’astroblème de Deniliquin est cependant mal contraint. Il a subi des intrusions de granites siluriens, datés entre 427 et 417 millions d’années, c’est-à-dire que du magma s’est introduit dans des fissures et s’est solidifié en granites. La radiochronologie permet de donner une datation absolue à ces roches. La limite inférieure de l’âge de l’astroblème est fournie par la ceinture de plis d’Adélaïde, une chaîne de montagne du Cambrien (environ 514 Ma).
Ainsi, l’astroblème de Deniliquin peut remonter au Cambrien supérieur comme à l’Ordovicien, mais il est tentant de relier à la glaciation hirnantienne, qui a duré environ 1,4 millions d’années. Cet épisode climatique, auquel l’extinction de masse fini-ordovicienne est évidemment liée, s’est produit durant une période chaude avec une teneur de CO2 atmosphérique élevée, quoique difficile à évaluer. Cependant, l’irradiance solaire totale (ou constante solaire) était de 4 % inférieure à maintenant, si bien qu’une calotte glaciaire pouvait apparaître avec une teneur en CO2 de 2 000 à 4 000 ppmv. Actuellement, le seuil est de 500 ppmv. On peut imaginer que la chute d’un astéroïde ait été l’évènement déclencheur d’une glaciation durable et intense. Ses traces sont repérables sur l’ancien supercontinent Gondwana, notamment en Afrique (le pôle Sud était dans l’actuel Sahara), en Chine du Sud, sur la Laurentia (Amérique du Nord et Groenland) et la Baltica, mais pas en Australie car ce territoire était alors en position équatoriale. Les glaces, toutes situées dans l’hémisphère Sud, où était la quasi-totalité du Gondwana, sont descendues jusqu’à 35° de latitude.
Les chutes de corps célestes provoquent tous des refroidissements s’ils sont suffisamment violents, grâce aux aérosols et aux particules éjectés dans l’atmosphère. On suppose que l’impact de Chicxulub a totalement assombri le ciel pendant au moins quelques mois, causant l’arrêt de la photosynthèse partout dans le monde et l’effondrement de la chaîne alimentaire. La chute de la température moyenne globale aurait été de 7 à 12 °C. La formation du cratère de Manicouagan au Québec, deux fois plus petit que celui de Chicxulub, aurait causé un refroidissement de seulement 2,5 °C. D’après Christopher Scotese et ses confrères, la température moyenne globale était de 20 à 22 °C durant l’Ordovicien. En 2021, ils ont repris une hypothèse formulée par Kent Colbath en 1986, qui attribuait la glaciation hirnantienne à une chute d’astéroïde, mais l’astroblème de Deniliquin était alors peu connu. Ils ont appelé cet évènement Chioné (Khiónê en grec), du nom de la fille de la déesse grecque Borée. Elle était la déesse de la neige et de la glace. Ils estimaient probable que la chute se soit produite dans un océan et que la subduction en ait fait disparaître le cratère.
L’impact de Chixculub a laissé des traces ailleurs dans le monde, dont de l’iridium dans les sédiments de la limite Crétacé-Paléogène, un élément plus abondant dans les matériaux extraterrestres que sur Terre. Qu’en est-il de l’impact de Deniliquin ? Un pic d’iridium a été observé durant l’Hirnantien, mais il a d’abord été expliqué par une baisse du taux de sédimentation. L’origine extraterrestre de cet élément ne peut pas être prouvée. L’impact a également dû créer des brèches, c’est-à-dire des roches formées de fragments de roches. Dans un article qu’il a publié en juin 2023 dans la revue Gondwana Research, Andrew Yoram Glikson affirme que de telles brèches sont visibles en Chine du Sud, le long du Yangzi Jiang (le Fleuve Bleu), à la base des sédiments hirnantiens, mais cela reste à vérifier. Le début de l’Hirnantien a été défini dans cette région, grâce à la section de Wangjiawan, où la sédimentation s’est effectuée de manière continue jusqu’au Silurien.
Cet article de Glikson ne contient pas d’éléments nouveaux. Il donne surtout des vérifications à faire pour s’assurer que l’astroblème de Deniliquin est bien à l’origine de l’extinction de masse fini-ordovicienne. Il mentionne la théorie défendue en 2020 par David Bond et Stephen Grasby, selon laquelle des éruptions volcaniques ont causé cette crise. Elle ont eu lieu sur l’ancien continent Siberia et sur le micro-continent Avalonia, si bien que leurs traces subsistent en Sibérie et à Terre-Neuve. Deux phases, dont une à la base de l’Hirnantien, ont été discernées. Pour Glikson, l’astroblème de Deniliquin a pu avoir un effet déclencheur. Un tel effet a également été supposé pour la crise Crétacé-Paléogène, marquée par une coïncidence entre des éruptions volcaniques (les trapps du Deccan) et une chute d’astéroïde. Un méga-séisme résultant d’un impact est parfaitement capable de déclencher des éruptions, si des chambres magmatiques pré-existent.
Il va de soi que l’obtention d’une datation plus précise pour l’astroblème de Deniliquin est une priorité. Si l’on peut démontrer qu’il remonte bien à la fin de l’Ordovicien, son rôle dans l’extinction de masse ne fera plus guère de doute.
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Christopher R. Scotese, Song Haijun, Benjamin J.W. Mills, Douwe van der Meer, Phanerozoic paleotemperatures: The earth’s changing climate during the last 540 million years, Earth-Science Reviews 215, April 2021.
A.Y. Glikson, A.N. Yeates, Geophysics and origin of the Deniliquin multiple-ring feature, Southeast Australia, Tectonophysics 837, 20 August 2022.
Andrew Yoram Glikson, An asteroid impact origin of the Hirnantian (end-Ordovician) glaciation and mass extinction, Gondwana Research 118, June 2023.
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