Histoire de la Terre et de la vie - Actualités géologiques

Energies et climat

Le bilan radiatif de la Terre

L'atmosphère terrestre vue de la Station Spatiale Internationale, le 20 avril 2016.

La connaissance du bilan radiatif est essentiel pour comprendre comment la Terre et son atmosphère utilisent l’énergie qu’elles reçoivent du Soleil. C’est la base de la météorologie et de la climatologie. Cette énergie est transportée sous forme de rayonnements électromagnétiques : ultraviolets, lumière visible et infrarouge. Puisque la moyenne globale annuelle de sa température ne varie pas, ou pas beaucoup, c’est parce qu’elle renvoie cette énergie dans l’espace, également sous forme de rayonnements. Il doit y avoir égalité entre le flux d’énergie reçu et le flux d’énergie renvoyé. On parle plus précisément de puissance, qui est une quantité d’énergie par unité de temps. Son unité est le watt. Actuellement, une surface située au sommet de l’atmosphère et perpendiculaire aux rayons du Soleil reçoit un flux d’énergie de 1 361 W/m². Ce chiffre est appelé l’irradiance solaire totale (TSI en anglais) ou la constance solaire, bien qu’il ne soit pas tout à fait constant. Ses variations ne sont cependant que de quelques watts par mètre carré. Cette valeur a été recommandée par l’Union Astronomique Internationale en 2015. On peut signaler l’estimation effectuée par Christian Gueymard en 2018 : 1 361,1 ± 0,5 W/m².

La constante solaire ne peut être mesurée que depuis l’espace, puisque le rayonnement solaire est affaibli quand il traverse l’atmosphère. Le spectromètre solaire embarqué à bord de la Station Spatiale Internationale a effectué des mesures des ultraviolets moyens jusqu’aux infrarouges (de 165 nm à 3 088 nm = 3 µm) et a trouvé 1 372,3 ±16,9 W/m².

Si l’on considère que cette puissance est uniformément répartie sur le sommet de l’atmosphère, celle-ci en reçoit le quart, soit 340,25 W/m², valeur qui sera toujours ici arrondie à 340 W/m². C’est cette énergie qui permet à l’eau liquide et à la vie d’exister sur notre planète. Néanmoins, la surface de la Terre reçoit une puissance inférieure parce qu’une partie est absorbée et réfléchie par l’atmosphère et qu’une autre est réfléchie par la surface, sans être absorbée.

L’albédo de la Terre (albédo de Bond en astronomie) est un paramètre fondamental : c’est la fraction de la puissance solaire que la Terre réfléchit dans l’espace. Notre planète, ainsi que tous les autres astres du Système solaire, à l’exception du Soleil, sont visibles dans l’espace grâce à cette part de rayonnement réfléchi. Un moyen d’estimer l’albédo de la Terre est de regarder de quelle manière elle éclaire la Lune, mais rien ne vaut des mesures par satellites. Un changement de 5 % de l’albédo correspondant à une variation d’un degré de la température moyenne globale. Une diminution 0,01 entraînerait le même effet qu’un doublement de la concentration en CO2 atmosphérique : un forçage radiatif de 3,25 W/m².

Parmi les 340 W/m² que la Terre reçoit, 75 W/m² sont réfléchis par l’atmosphère (dont les nuages) et 25 % par la surface de la Terre (dont les glaciers, en particulier ceux des régions polaires). Ces estimations donnent un albédo de 100 / 340 = 0,29. Même sans les nuages, l’atmosphère est capable de réfléchir le rayonnement solaire, par l’action de ses molécules. Plus exactement, elle le diffuse selon un processus décrit par le physicien John W. Rayleigh, c’est-à-dire qu’elle le dévie dans toutes les directions. La lumière de petites longueurs d’onde, du côté bleu, est beaucoup plus affectée que la lumière de grandes longueurs d’onde, du côté rouge. L’azur du ciel n’est autre que du rayonnement solaire diffusé. Les aérosols, constitués de particules en suspension dans l’atmosphère, contribuent aussi à la diffusion du rayonnement, mais selon un processus moins dépendant de la longueur d’onde. Au total, une atmosphère dépourvue de nuages réfléchit 20 W/m² dans l’espace et absorbe 73 W/m².

Les océans ont un albédo de 0,05. L’albédo des continents est plus élevé et variable. Ce sont les zones forestières qui réfléchissent le moins le rayonnement solaire.

On sait que l’ozone stratosphérique absorbe une grande partie du rayonnement ultraviolet du Soleil, ce qui protège les organismes vivant à l’air libre. Au total, 80 W/m² sont absorbés par l’atmosphère terrestre (nuages compris). La vapeur d’eau agit également, bien qu’elle soit un gaz invisible. La surface de la Terre ne peut donc absorber que 160 W/m² (ou 214 W/m² en l’absence de nuages). Si la température moyenne globale de surface est constante, cela implique que ce flux d’énergie est restitué. Chauffée à 15 °C, elle émet un rayonnement thermique de 398 W/m², uniquement dans l’infrarouge. À cela, s’ajoute un flux de chaleur sensible dû aux mouvements convectifs dans la troposphère estimé à 21 W/m² et un flux de chaleur latente de 82 W/m². Ce dernier est causé par l’évaporation de l’eau, qui absorbe de la chaleur, et à sa condensation en altitude, qui libère cette chaleur. L’évapotranspiration des plantes compte aussi : elles aspirent de l’eau par leurs racines, qui s’évapore à la surface de leurs feuillages.

Bilan radiatif de la Terre avec les nuages, d’après le GIEC.

Les estimations données proviennent du sixième rapport l’évaluation du GIEC (AR6), publié en 2021. La figure ci-dessus fait apparaître les incertitudes, qui sont généralement de quelques watts par mètre carré. Ainsi, le rayonnement thermique de la surface de la Terre (up surface) est presque certainement compris entre 395 et 400 W/m². On peut retenir l’estimation 398 W/m². La valeur 340 W/m² de la constante solaire est en revanche assez sûre. La surface de la Terre émet 398 W/m², mais au sommet de l’atmosphère, seul un flux de 239 W/m² est observé. La différence, qui vaut 159 W/m², est l’effet de serre radiatif. C’est la part de flux d’énergie absorbé par l’atmosphère, plus exactement par les nuages et les gaz à effet de serre (greenhouse gases) qu’elle contient. Ils réémettent ce rayonnement à la fois vers la Terre (down surface, 342 W/m²) et vers l’espace.

Le flux d’énergie thermique de 398 W/m² émis par la surface de la Terre ne se mesure pas. Il se déduit du bilan radiatif. En assimilant la surface à un corps noir, c’est-à-dire un absorbeur parfait, on trouve que ce flux correspond à une température moyenne à 16,3 °C. Ce n’est pas très éloigné des 15 °C que la surface de la Terre doit avoir en ce moment, en moyenne globale. Quant aux 239 W/m² qui s’échappent dans l’espace, ils correspondent à une température moyenne globale de – 18,3 °C. Ce serait celle de la surface de la Terre si l’atmosphère ne contenait ni nuage ni gaz à effet de serre (mais les nuages, s’ils ont un effet réchauffant par leur absorption du rayonnement thermique de la surface, ont aussi un effet refroidissant par leur réflexion du rayonnement solaire). On remarque que ce flux est presque égal au flux solaire absorbé par le système Terre-atmosphère : 340 – 100 = 240 W/m². Au sommet de l’atmosphère, le bilan est globalement équilibré.

En revanche, les satellites permettent de mesurer les flux d’énergie qui arrivent au sommet de l’atmosphère et ceux qui en sortent. Le rayonnement thermique qui s’échappe de l’atmosphère est appelé Outgoing Longwave Radiation OLR en anglais (« grande longueur d’onde » parce que c’est du rayonnement infrarouge). Les satellites ont également permis d’évaluer les flux de chaleur latente, grâce à la l’observation des précipitations. Ils effectuent de la télédétection, remote sensing en anglais.

Vue d’artiste du satellite Suomi NPP. Ryan Zuber, Scientific Visualization Studio, domaine public.

L’instrument ERB (Earth Radiation Budget) a été embarqué à bord du satellite Nimbus 7, lancé le 24 octobre 1978 par la NASA. Il est resté actif jusqu’en 1994. Son successeur a été le radiomètre ERBE (Earth Radiation Budget Experiment), embarqué par trois satellites : ERBS (Earth Radiation Budget Satellite), lancé le 5 octobre 1984 grâce à une navette spatiale, et deux satellites de la NOAA, l’agence océanographique et météorologique américaine. Ce sont maintenant les expériences CERES (Clouds and the Earth’s Radiant Energy System) qui sont en cours, grâce aux satellites Terra, Aqua, Suomi NPP et JPSS-1 (Joint Polar Satellite System). Le dernier a été mis en orbite en 2017 et a été renommé NOAA-20. CERES utilise trois canaux à large bande : ondes courtes (0,3-5 µm) comprenant la lumière et les infrarouges proches, thermique (8-12 µm) et total (0,3-100 µm) comprenant la lumière et tous les infrarouges. Trois autres satellites JPSS devraient être lancés de 2022 à 2032. On peut également signaler un projet international : ScaRaB (Scanner for Radiation Budget), mis au point par la France, la Russie, l’Allemagne et l’Inde. Ce capteur a été embarqué dans trois satellites. Le dernier, Megha-Tropiques, lancé le 12 octobre 2011, est toujours opérationnel. Les Chinois utilisent leurs propres satellites de la série FY3. Le premier, FY3A, a été mis en orbite le 27 mai 2008.

Outgoing longwave radiation.
Un exemple de flux d’énergie au sommet de l’atmosphère fourni par la NOAA. L’échelle va de 91,5 à 344,5 W/m², sachant que la moyenne planétaire est de 239 W/m².

Ces instruments ne se contentent pas de mesurer le flux d’énergie quittant l’atmosphère en tout point du Globe : ils en font également une décomposition spectrale, qui permet d’identifier les gaz à effet de serre.

Ce graphique montre l’émittance spectrale (flux d’énergie en fonction de la longueur d’onde) au-dessus de l’Irak du Sud. Les ciel était alors dégagé et la température au sol était d’environ 27 °C, soit 300 K. L’émittance spectrale du sol est donnée par la courbe notée 300. Les aires de ces deux courbes (incomplètes à gauche) sont respectivement les émittances totales au sommet de l’atmosphère et au sol, la première étant toujours inférieure à la première à cause des gaz à effet de serre. La différence entre les deux aires est l’effet de serre. La longueur d’onde (wavelength), exprimée en micromètres, est donnée en haut. Les scientifiques utilisent plutôt le nombre d’onde (wavenumber), qui est l’inverse de la longueur d’onde. Il est donné en bas et exprimé en cm–1. On remarque une forte absorption, et donc un profond « creux », dans la première courbe, autour de 15 µm. Elle est due au CO2. Dans les longueurs d’onde de 8 à 12 µm, en revanche, il y a peu d’absorption. Les photons émis par le sol arrivent à traverser l’atmosphère. C’est la fenêtre atmosphérique. Cependant l’ozone O3 absorbe les photons autour de 9,6 µm. L’action de la vapeur d’eau est plus diffuse : elle est présente dans de larges régions du spectre.

Voici d’autres spectres infrarouges, complets, enregistrés par l’instrument FIRST (Far-Infrared Spectroscopy of the Troposphere) à différentes latitudes et saisons. Il est embarqué par des ballons stratosphériques jusqu’à 35 km d’altitude et observe le rayonnement émis par la troposphère (la partie basse de l’atmosphère) :

Tandis que le flux d’énergie entrant dans l’atmosphère et le flux sortant se mesurent, les autres flux radiatifs, dans l’atmosphère et à la surface de la Terre, se calculent. Les paramètres fondamentaux sont les absorptions des différents gaz à effet de serre, qui dépendent de leur concentration, de la pression et de la température de l’air en fonction de l’altitude. On tient également compte de la capacité des nuages à absorber et à émettre les rayonnements infrarouges, de leur température à leur sommet et à leur base. Il est intéressant mais difficile de connaître les contributions individuelles des nuages et de chaque GES à l’effet de serre. Les calculs présentés par Jeffrey Kiehl et Kevin Trenberth en 1997 sont longtemps restés une référence :

Bilan radiatif d’après Kiehl et Trenberth, 1997.
Contributions de différents gaz à l’effet de serre radiatif dans un ciel clair (sans nuage). D’après Kiehl et Trenberth, 1997.

Le flux sortant de l’atmosphère, fourni par Nimbus-7, les satellites NOAA 9 et 10 et les expériences ERBE, était de 235 W/m² au lieu de 239 W/m². L’effet de serre valait alors 390 – 235 = 155 W/m². La contribution des nuages a été évaluée à 30 W/m². Celle des gaz à effet de serre était donc de 125 W/m². Pour obtenir la contribution de chacun d’eux, Kiehl et Trenberth ont effectué les calculs en les retirant à tour de rôle. Le flux d’énergie quittant la surface de la Terre par la fenêtre atmosphérique a été évalué à 40 W/m². Il ne joue aucun rôle dans l’effet de serre, c’est pourquoi le GIEC n’a pas mentionné sa valeur.

Un autre bilan a été publié en 2009 par Kevin Trenberth, John Fasullo et Jeffrey Kiehl. Cette fois, l’effet de serre vaut 396 – 239 = 157 W/m².

Earth’s energy global budget, K. Trenberth et al., American Meteorological Society, 2009.

Gavin Schmidt et ses collègues du GISS (le Goddard Institute for Space Studies de la NASA) ont effectué leurs propres évaluations en 2010. Ils ont trouvé une contribution de 25 % pour les nuages, alors qu’elle était de 19 % pour Kiehl et Trenberth en 1997. Une fois qu’ils sont retirés (effet de serre par temps clair), la contribution est de 67 % pour la vapeur d’eau, de 24 % pour le CO2 et de 9 % pour les autres GES. La contribution de la vapeur d’eau, qui est de 50 % en présence des nuages, est plus importante aux tropiques (55 %) qu’autour des pôles (environ 40 %). Pour le CO2, les valeurs sont plus uniformes, avec une petite augmentation autour des pôles. En multipliant ces pourcentages par la valeur de l’effet de serre par temps clair, soit 125 W/m², on obtient la contribution de chaque GES en watts par mètre carré. Par exemple pour la vapeur d’eau, elle est d’environ 84 W/m².

Malheureusement, la méthode utilisée peut difficilement être décrite dans cet article. Elle utilise une version présentée en 2006 d’un modèle de circulation atmosphérique générale élaboré par le GISS avec le Massachusets Institute of Technology. Appelé ModelE, il figure dans le quatrième rapport d’évaluation du GIEC, publié en 2007. Ces modèles ont pour objectif de décrire le fonctionnement complet du système climatique, dont les mouvements des masses d’air et les phénomènes radiatifs, afin que des simulations numériques puissent être effectuées.

La principale difficulté est que les bandes d’absorption des nuages et des GES se chevauchent. Ainsi, le rayonnement thermique est absorbé à certaines longueurs d’onde à la fois par la vapeur d’eau et par le CO2. Le chevauchement est encore plus important entre les nuages et la vapeur d’eau. Comment alors évaluer la contribution individuelle de chaque absorbeur ? De même que Kiehl et Trenberth, Gavin Schmidt et ses collaborateurs ont supprimé individuellement chaque absorbeur dans leurs simulations. Ils ont également supprimé tous les absorbeurs sauf un. Cela donne l’effet minimal et maximal de chacun d’eux. Ils ont ainsi effectué des « expériences numériques ».

En 1991, le météorologue Richard Lindzen, qui enseignait alors au MIT, a déclaré que l’effet de serre était dû à 98 % aux nuages stratiformes et à la vapeur d’eau, et seulement à 2 % au CO2. Grâce à sa renommée, il a été très écouté, bien qu’il ait pas expliqué comment il a obtenu ces chiffres. En fait, c’est un climatosceptique qui n’a jamais cessé de minimiser le rôle du CO2. Il suffit de regarder les nombreux spectres obtenus par les capteurs envoyés dans l’espace ou la stratosphère pour voir que le rôle du CO2 dans l’effet de serre n’est pas du tout négligeable, comparé à celui de la vapeur d’eau. L’augmentation de la concentration en CO2 dans l’atmosphère doit avoir un effet, faible mais mesurable. Le schéma du GIEC montre un déséquilibre de 0,7 W/m² du bilan radiatif. Cette estimation a été obtenue grâce à des simulations climatiques, les observations des satellites ayant trop d’incertitudes. Quant à l’augmentation de l’effet de serre d’origine humaine, toutes contributions confondues, elle serait d’environ 2,72 W/m².

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J. T. Kiehl and Kevin E. Trenberth, Earth’s Annual Global Mean Energy Budget, Bulletin of the American Meteorological Society, 01 February 1997.

Kevin E. Trenberth, John T. Fasullo, and Jeffrey Kiehl, Earth’s Global Energy Budget, Bulletin of the American Meteorological Society, Volume 90, Issue 3, 01 Mars 2009.

Gavin A. Schmidt et al., Attribution of the present-day total greenhouse effect, JGR: Atmospheres, 16 October 2010.

Shiv Priyam Raghuraman et al., Quantifying the Drivers of the Clear Sky Greenhouse Effect, 2000–2016, JGR: Atmospheres, 02 November 2019.

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