Histoire de la Terre et de la vie - Actualités géologiques

Energies et climat

Détermination des paléoclimats durant les derniers 540 millions d’années

Paléoclimats de la Terre

Les températures moyennes de la Terre, de l'équateur aux pôles, durant les derniers 540 millions d'années. GAT (global average temperature) est la température moyenne globale TMG. Au-dessus de 18 °C, il n'y a pas de calotte glaciaire.

Le géologue américain Christopher Scotese et son confrère chinois Song Haijun ont publié en janvier 2021, dans la revue Earth-Science Reviews, une nouvelle estimation des anciens climats de la Terre, durant le Phanérozoïque. Il s’agit du dernier éon, commencé il y a environ 540 millions d’années avec le développement de la vie animale. Scotese a consacré toute sa carrière, soit une quarantaine d’années, à la reconstitution de la paléogéographie et des paléoclimats. Il est l’initiateur du PALEOMAP Project, qui présente des reconstitutions s’étendant jusqu’aux derniers 1 100 millions d’années. On n’y voit pas seulement la disposition des continents et des océans aux cours des temps géologiques, qui varie à cause de la tectonique des plaques, mais aussi celle des terres émergées et des mers. En effet, les parties périphériques des continents sont fréquemment émergées.

Comment estimer les paléotempératures

Pour la détermination des anciens climats, Scotese fait appel à des indicateurs lithologiques : des minéraux ou des roches qui ne se forment que dans certains climats. La bauxite, par exemple, qui est un minerai l’aluminium bien connu, n’apparaît que dans des climats chauds et humides, avec des moussons. La calcrète, en pédologie (la science des sols), est une croûte calcaire caractéristique des régions semi-arides – le calcaire est une roche sédimentaire comprenant au moins 50 % de calcite, un carbonate de sodium très commun. Elle peut aussi être composée de pierres cimentée par du calcaire grâce à des eaux d’infiltration. La glendonite provient de l’altération de l’ikaïte, qui est un carbonate de sodium hydraté CaCO3, 6H2O. Il se présente sous la forme de boules hérissées et se forme dans les eaux froides à moins de 4 °C (ou moins de 7 °C d’après d’autres scientifiques). Les tillites proviennent de moraines et sont caractéristiques d’un climat glaciaire. Au total, on connaît maintenant 3 500 indicateurs lithologiques.

Pour la détermination des anciennes températures, les tests de foraminifères sont couramment utilisés. Ce sont des coquilles majoritairement calcaires d’organismes unicellulaires. Ils synthétisent ce calcaire en prélevant du carbonate de sodium dissous dans l’eau de mer. Lors de la cristallisation, la proportion des isotopes de l’oxygène des ions carbonate varie. On considère qu’il y en a deux : l’oxygène 16, le plus fréquent, et l’oxygène 18, beaucoup plus rare. Le rapport 18O/16O des tests n’est donc pas le même que celui de l’eau, or la différence dépend de la température de l’eau. Cette correspondance peut être vérifiée sur les foraminifères actuels.

Comme les mesures des isotopes sont très précises, on pourrait faire des évaluations de températures à 0,2 °C près, mais il existe des facteurs limitants. De fait, seules les températures des eaux tropicales peuvent être évaluées par cette méthode. Un autre problème est que le rapport 18O/16O de l’eau de mer varie au cours des temps géologiques. On sait que durant les ères glaciaires, qui voient la formation d’inlandsis sur les continents situés près des pôles, l’eau de mer est enrichie en oxygène 18. Les variations du rapport 18O/16O des tests reflètent donc celles du volume des glaces et non celles de la température de l’eau de mer. Cependant, le rapport 18O/16O de l’eau de mer a peut-être aussi varié pour d’autres causes, sur lesquelles les géologues ne s’accordent pas. Pour Jan Veizer, qui a été un pionnier de cette méthode, l’eau de mer a été enrichie en oxygène 18 durant tout le Phanérozoïque à cause d’un affaiblissement de la tectonique des plaques, mais son hypothèse est peu étayée.

Les foraminifères sont apparus dès le début du Cambrien, mais ils ne se sont vraiment développés qu’au cours du Mésozoïque (la deuxième ère du Phanérozoïque, de 252 à 66 Ma). Si d’autres animaux peuvent être utilisés pour la détermination des paléotempératures, avec des coquilles en calcaire ou en apatite (un phosphate), ils n’existaient pas non plus avant le Cambrien. Les températures du Précambrien ne sont donc pas accessibles par cette méthode. Celles du Cambrien posent problème : elles auraient été extrêmement élevées. D’après les mesures des isotopes de l’oxygène, elles auraient atteint les 50 °C, ce qui paraît peu vraisemblable. Les organismes marins actuels ne peuvent pas vivre dans une eau à 40 °C. Or c’est au cours du Cambrien que la vie s’est développée dans les mers, avec l’apparition de tous les embranchements actuels.

Les ceintures de Köppen actuelles

Les paléo-ceintures de Köppen

Dans l’article de Scotese et Song, les indicateurs lithologiques, moins précis, ont été utilisés pour définir les paléo-ceintures de Köppen, c’est-à-dire les paléoclimats en fonction de la latitude. Wladimir Köppen (1846-1940) est un scientifique russo-allemand, botaniste de formation, qui a élaboré vers 1900 la première classification des climats. Elle a été constamment améliorée. La version présentée en 1961 par Rudolf Geiger est toujours utilisée de nos jours. Les types de climats sont nommés par des lettres : A pour les climats tropicaux et pluvieux (26 °C de température moyenne), B pour les climats secs (22 °C), C pour les climats humides tempérés (16 °C), D pour les climats boréaux subarctiques (5 °C), E pour les climats neigeux (– 20 °C). Ces climats dépendent principalement de la latitude. Sur la Terre actuelle, chacune de ces « ceintures de Köppen » occupe une bande grossièrement parallèle à l’équateur. En considérant leur superficie (23 % pour A, 28 % pour B, 20 % pour C), on calcule la température moyenne globale de la Terre. Elle vaut 14,5 °C, ce qui correspond presque à la valeur usuellement obtenue par les climatologues : 15 °C. Mais cela, c’était avant le réchauffement climatique actuel. Quand on dit que la surface de la Terre a augmenté d’un degré, cela signifie que la TMG est passée à 16 °C.

Scotese et Song ont effectué 100 reconstitutions des paléo-ceintures de Köppen, chacune pour une période d’environ 5 millions d’années, qui permettent de recouvrir tout le Phanérozoïque. Leur méthode présente bien sûr des incertitudes. La largeur des paléo-ceintures de Köppen est difficile à estimer, surtout pour le Paléozoïque inférieur. Les indicateurs lithologiques ne donnent des indications que pour les surfaces continentales. Pour les océans, il a fallu supposer que les climats étaient zonaux, c’est-à-dire dépendant seulement de la latitude. Les courants océaniques peuvent leur apporter des distorsions. De manière plus gênante, les températures assignées à chaque ceinture de Köppen sont valables pour l’ère glaciaire dans laquelle nous vivons. Elles ne le sont pas forcément pour les ères dites « de serre », durant lesquelles il n’existait pas de calotte glaciaire.

Néanmoins, les indicateurs lithologiques disent comment le gradient de température équateur-pôles a changé au cours des temps géologiques. Les largeurs des deux premières ceintures de Köppen, A et B, sont restées à peu près constantes car elles sont déterminées par la circulation atmosphérique générale. Son but est d’évacuer la chaleur de l’équateur vers les pôles. Des masses d’air s’élèvent à l’équateur et retombent à 30° de latitude Nord et Sud, en créant des cellules de convection dites de Hadley. L’aridité de ces climats est due à la descente de ces masses d’air, car elles ont perdu leur humidité et engendrent des hautes pressions. Ces cellules ont existé durant toute l’histoire de la Terre. Les changements du gradient de température équateur-pôle sont liés aux variations de largeur des ceintures C, D et E. Durant les « mondes de serre », où la surface de la Terre est très chaude, les climats neigeux peuvent disparaître. Il ne reste alors que quatre ceintures de Köppen.

Les indicateurs lithologiques et les paléo-ceintures de Köppen durant le Permien inférieur, il y a 280 millions d’années (coal : charbon).

Ainsi, une Terre « de glace » a un gradient de température plus important qu’une Terre « de serre ». Les températures équatoriales ne sont pas forcément plus basses, ce qui explique qu’au début du Permien, il y a environ 280 millions d’années, des forêts marécageuses existaient dans l’actuelle Europe occidentale. En revanche, quand on se dirigeait vers l’actuelle Australie, qui faisait partie du Gondwana, on rencontrait des glaciers. La TMG calculé par Scotese et Song vaut 14,6 °C. Elle était presque égale à celle de la Terre avant l’ère industrielle. Durant le Crétacé moyen, il y a 100 millions d’années, la Terre était « de serre ». La ceinture E n’existait pas et la ceinture D n’occupait que 5 % de la Terre. Les climats humides tempérés recouvraient 44 % de la Terre, beaucoup plus que maintenant. La TMG était de 20 °C. Pour des périodes chaudes comme celle-ci, on définit une ceinture boréotropicale, dont la température moyenne est la même que la ceinture B. Dans tous les cas, durant le Permien comme durant le Crétacé, la température moyenne de la ceinture A était de 26 °C, de même que maintenant.

Les indicateurs lithologiques et les paléo-ceintures de Köppen durant le Crétacé moyen, il y a 100 millions d’années.

Une brève histoire des paléoclimats

En gros, durant le Phanérozoïque, il a existé deux périodes « de serre » séparées par la longue ère glaciaire du Carbonifère (de 354 à 299 Ma) et du Permien (de 299 à 252 Ma). Une première ère glaciaire, beaucoup plus courte, s’est produite à la fin de l’Ordovicien (de 485 à 443 Ma). Elle coïncide avec la première des extinctions de masse. Le commencement du Mésozoïque (la limite Permien-Trias il y a 252 Ma) s’est fait dans une chaleur extrême. Une grande partie de la Pangée, au sein de laquelle la plupart des continents étaient regroupés, était un désert totalement inhabitable, tandis que les océans manquaient d’oxygène. La chaleur du Crétacé a été brusquement interrompue par la chute d’un corps extraterrestre il y a 66 millions d’années. Il a créé le cratère de Chicxulub, qui a par la suite été recouvert par des sédiments marins. Cet événement a mis fin au règne des dinosaures. Il marque le début le Cénozoïque, la troisième ère du Phanérozoïque. À partir de la fin de l’Èocène (de 56 à 34 Ma), la Terre commence à se refroidir et une nouvelle ère glaciaire débute.

Projection du réchauffement climatique global futur (Post-Anthrogenic Warming PAW) sur l’échelle du temps du Phanérozoïque. Les auteurs parlent de réchauffement futur parce qu’ils se placent dans un temps long. Ils comptent sur les plantes pour séquestrer 18 000 milliards de gigatonnes de dioxyde de carbone en 2300. Si ce n’est pas fait, la TMG pourrait augmenter jusqu’à 20,5 °C au lieu de 19,5 °C.

Pourrait-elle être interrompue par l’humanité, qui brûle depuis le XIXe siècle le charbon, le pétrole et le gaz accumulés dans les sédiments pendant des dizaines de millions d’années ? Pour Scotese et Song, c’est possible. Ils ont remarqué qu’une TMG de 18 °C est la limite sous laquelle des calottes glaciaires sont susceptibles d’exister. D’après eux, le dioxyde de carbone rejeté dans l’atmosphère pourrait élever la TMG jusqu’à 19,5 °C. L’augmentation de température serait donc de 5 °C. On voit ainsi ce qu’implique l’accord de Paris, qui recommande de limiter le réchauffement à 2 °C. Sans cette limitation, la Terre ferait un retour dans le passé : son visage redeviendrait celui qu’elle avait à la fin d’Éocène, l’Oligocène (de 34 à 23 Ma) et le Miocène (de 23 à 5,3 Ma). La troisième ère glaciaire avait commencé, mais elle était moins intense que maintenant. Scotese et Song appellent cette période Late Eocene – Miocene Icehouse. L’englacement de l’Antarctique était partiel ou total ; le Groenland était totalement ou partiellement libre de glaces. Il y a eu des fluctuations. Durant l’optimum climatique du Miocène il y a environ 15 millions d’années, la TMG est repassée au-dessus des 18 °C. La calotte glaciaire de l’Antarctique a rétréci et il n’y avait plus ni de glace ni de neige dans l’hémisphère Nord.

La Terre durant l’optimum climatique du Miocène et durant l’épisode froid de l’Oligocène inférieur.

Les changements climatiques d’une durée supérieure à 50 millions d’années se voient grâce aux indicateurs lithologiques. Ils sont contrôlés par les gaz à effet de serre, (principalement le dioxyde de carbone), la configuration géographique des continents et des océans, l’altération des surfaces continentales et l’albédo de la Terre, c’est-à-dire son pouvoir réfléchissant. La Terre renvoie plus le rayonnement solaire si elle a des calottes glaciaires que si elle n’en a pas, si bien qu’elle est plus froide. Tous ces facteurs sont liés. L’altération des terres émergées, par exemple, retire du CO2 de l’atmosphère, ce qui fait baisser les températures.

Les changements à moyen terme, sur des périodes de 10 à 20 millions d’années, sont révélés par les mesures des isotopes de l’oxygène dans les coquilles de carbonate et de phosphate. Malgré les questions que cette méthode soulève, Scotese et Song estiment qu’elle est fiable. Des évènements relativement courts pourraient les avoir causés, comme des surrections de chaînes de montagnes suite à des collisions de continents ou des ouvertures de passages océaniques. On pense en particulier au passage de Drake entre l’Amérique du Sud et la péninsule Antarctique, dont l’ouverture à la fin de l’Éocène ou durant l’Oligocène (de 34 à 23 Ma) a permis l’établissement du courant circumpolaire antarctique. Celui-ci a provoqué l’englacement de l’Antarctique et un refroidissement général de la Terre. L’évolution des plantes a également pu causer des changements à moyen terme. On pense notamment à l’apparition des premières forêts durant le Dévonien (de 419 à 359 Ma), qui ont été d’importants puits de carbone.

Des changements plus courts, de quelques millions d’années à moins d’un million d’années, se sont produits. Les brèves périodes de réchauffement, parfois appelées « évènements hyperthermiques », sont fortement corrélées à des épisodes volcaniques intenses, qui ont laissé d’immenses épanchements de lave. On en compte une vingtaine. Ces éruptions ont libéré de grandes quantité de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Il s’est également produit de brefs refroidissements, dont le plus marquant est celui de la fin du Crétacé. Les poussières projetées dans l’atmosphère par la chute de la météorite ont dû obscurcir le ciel assez longtemps pour provoquer l’arrêt de la photosynthèse et l’effondrement des chaînes alimentaires. La baisse de température est estimée à 10 °C. Quelques autres cratères d’impacts sont associés à des refroidissements moins importants, comme ceux de Popigai en Sibérie, de Chesapeake Bay dans l’État américain de Virginie et de Mistastin dans le Labrador au Canada, qui sont datés de la fin de l’Éocène. Les âges estimés sont de 36-35 millions d’années. Ils sont peut-être en partie responsables du commencement de la troisième ère glaciaire, mais la surrection de l’Himalaya a dû également jouer un rôle.

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Christopher R. Scotese, Song Haijun, Benjamin J.W. Mills, Douwe van der Meer, Phanerozoic paleotemperatures: The earth’s changing climate during the last 540 million years, Earth-Science Reviews 215, April 2021.

https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0012825221000027

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