Le cycle du carbone joue un rôle fondamental dans l’évolution des climats terrestres, puisque l’effet de serre radiatif dépend de la concentration en dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Une augmentation de celle-ci fait grimper la température moyenne globale de la Terre. À l’échelle des temps géologiques, les volcans sont les principaux émetteurs de CO2. Le flux d’origine humaine est actuellement très supérieur, mais il n’existe que depuis la déforestation et l’utilisation des combustibles fossiles. Au contraire, les volcans ont toujours existé. Si le CO2 ne s’est pas accumulé dans l’atmosphère terrestre comme dans celle de Vénus, c’est parce qu’il existe un puits qui agit dans la même échelle de temps : l’altération des silicates. Les pluies, ayant emporté le CO2 de l’atmosphère, réagissent avec des roches comme les granites et surtout les basaltes. Le carbone des molécules de CO2 se retrouve dans des ions bicarbonate, qui sont emportés dans les océans.
La subduction des plaques océaniques entraîne presque toujours la naissance d’arcs volcaniques, comme ceux de la ceinture de feu du Pacifique. Du carbone de la plaque subduite est injecté dans le manteau terrestre, mais à quelques dizaines de kilomètres de profondeur, une partie de ce carbone stagne ou remonte. Dans le dernier cas, il peut être émis dans l’atmosphère par les volcans. On dit qu’il est recyclé. Si le recyclage est efficace, cela fait augmenter la concentration en dioxyde de carbone dans l’atmosphère. La subduction, l’une des manifestations majeures de la tectonique des plaques, joue donc un rôle important dans le cycle du carbone.
Le carbone sédimentaire et la croûte océanique altérée
Quand les conditions le permettent, souvent grâce à l’activité biologique, du calcaire peut précipiter. Son accumulation forme des couches de sédiments sur le plancher des océans. Cela ne se produit cependant pas au-delà d’une certaine profondeur, dite de compensation des carbonates. Dans les océans actuels, elle se situe dans les 5 000 mètres. La coquille d’un organisme mort, par exemple, se dissout quand elle tombe à une profondeur supérieure. De la matière organique est également susceptible de se déposer sur les fonds océaniques, mais un enfouissement dans des sédiments, en l’absence d’oxygène, est une condition nécessaire pour qu’elle puisse y subsister. Dans ce cas, elle peut se transformer en hydrocarbures. Le carbone organique se distingue du carbone minéral (des minéraux contenant des ions carbonate CO32-) par son appauvrissement en carbone 13, l’isotope lourd de cet élément. Il est également réduit, c’est-à-dire qu’il a gagné des électrons en se liant à des atomes d’hydrogène. Dans les carbonates et le CO2, le carbone est oxydé : il a cédé des électrons aux atomes d’oxygène.
À ce carbone contenu dans les sédiments, s’ajoutent des carbonates qui se sont formés dans la croûte et le manteau lithosphérique. Dans le Pacifique, la croûte océanique est constituée d’une couche de basalte surmontant une couche de gabbro. Ce sont des roches magmatiques qui se sont solidifiées dans la dorsale Est-Pacifique. Elles ont la même composition chimique, mais le gabbro est entièrement cristallisé alors que le basalte ne l’est pas. L’eau de mer circule dans des fractures et dissout le basalte en libérant des ions calcium. Ils se combinent avec les ions carbonate de l’eau pour donner de la calcite et de l’aragonite (des carbonates de calcium CaCO3 avec des structures cristallines différentes). L’existence de ces veines de carbonates a été révélée par des forages dans les fonds océaniques. Ce processus s’appelle la carbonatation.
L’altération des péridotites
Dans les zones où des fractures permettent à l’eau de s’infiltrer plus profondément, elle altère le manteau lithosphérique, constitué de péridotites. Ces roches sont transformées en serpentinite. De la carbonatation peut également se produire : il apparaît une roche appelée listvenite (ou listwanite). Elle est composée de magnésite (carbonate de magnésium) ou de dolomite (carbonate de calcium et de magnésium), dans lesquels tout le magnésium des péridotites s’est fixé, et de quartz, où l’on retrouve le silicium des péridotites. Celles-ci ont donc une forte capacité d’absorption du CO2, que l’on envisage d’utiliser pour lutter contre le réchauffement climatique. Avec 1 kg de forstérite, l’un des minéraux des péridotites, et 0,6 kg de CO2, on obtient 1,6 kg de magnésite et de quartz. On a trouvé des péridotites carbonatées dans des ophiolites : des lambeaux de plaques océaniques poussés sur des continents.
Une plaque comme celle du Pacifique est fracturée près de la dorsale et dans la zone de subduction, où elle est pliée et soumise à des contraintes d’extension. C’est ainsi que son manteau lithosphérique peut subir une hydratation accompagnée de carbonatation. Les plaques composant le plancher de l’Atlantique ont une croûte composée de serpentinite parce qu’elles ont été intensément faillées et hydratées sur les premiers kilomètres. Elles ne créent aucun flux de carbone vers le manteau car il n’y a pas de subduction autour de cet océan, mais il s’en produira dans quelques millions d’années quand l’Atlantique se refermera. Des arcs volcaniques émettant beaucoup de CO2 apparaîtront alors.
Le recyclage du carbone dans les zones de subduction
Dans une zone de subduction, une plaque océanique s’enfonce sous une autre plaque, qui peut être océanique ou continentale, en se déshydratant. Lors de sa remontée dans la plaque chevauchante, l’eau entraîne la fusion des roches de son manteau lithosphérique. Un arc volcanique s’édifie alors sur la plaque chevauchante. Comme toujours, les principaux gaz volcaniques, qui jouent un rôle majeur dans le dynamisme éruptif, sont d’abord la vapeur d’eau et ensuite le dioxyde de carbone. Ce dernier provient de la plaque en subduction : après diverses réactions chimiques, le carbone minéral et organique est converti en CO2 et s’échappe par les volcans. Ce carbone est dit recyclé, par opposition à celui qui reste dans la plaque en subduction et descend dans les profondeurs du manteau. Un recyclage nul signifie que tout le carbone est emporté dans le manteau, où il peut résider très longtemps. On estime qu’il est en moyenne de 25 %, mais il y a d’importantes différences selon les zones de subduction.
La plaque en subduction est raclée par la plaque chevauchante, si bien que des sédiments restent en surface. Leur accumulation forme un prisme d’accrétion susceptible d’émerger s’il est assez volumineux. Il entraîne alors la naissance d’une île comme celle de la Barbade dans les Antilles. Le flux total de carbone qui parvient à s’enfoncer dans le manteau, en échappant à l’accrétion, a été estimé par Peter Kelemen et Craig Manning à 13-23 Mt C (mégatonnes de carbone) par an. La part de carbone minéral serait de 80 %, les 20 % restants étant organiques. Ces mêmes chercheurs ont estimé à 18-43 Mt C par an les émissions des arcs volcaniques. Les calculs des autres scientifiques donnent des résultats différents mais qui restent du même ordre de grandeur.
La quantité de carbone contenu dans les océans est estimée à 38 000 Gt (gigatonnes). Il est présent sous forme de CO2 dissous, d’ions carbonate et bicarbonate, auquel s’ajoutent le carbone des organismes vivants et le carbone minéral de leur coquille. On voit ainsi que très peu de carbone est entraîné par la subduction.
Décarbonatation, dissolution et fusion dans la plaque plongeante
Durant sa descente, la plaque subit une augmentation de température et de pression. Il s’en suit un métamorphisme des roches, en particulier de celles contenant du carbone. Par exemple, à une température allant de 500 à 800 °C, d’autant plus basse que la concentration en eau augmente, la silice réagit avec du carbonate de calcium pour donner de la wollastonite CaSiO3 et du CO2. On appelle ce type de réaction une décarbonatation. On parle aussi de dévolatilisation puisqu’un composé volatil (le CO2) est libéré. Ces réactions se produisent également dans les chaînes de montagnes résultant de la collision entre deux continents. Le CO2 ainsi libéré n’est pas rejeté par des volcans, mais par l’hydrothermalisme continental et le flux est probablement très faible.
On remarque l’importance de l’eau dans cette réaction. Elle a également un pouvoir de dissolution. Le calcaire est connu pour être très soluble dans l’eau et pourrait donc être totalement retiré par ces fluides aqueux. Il se peut toutefois que ce phénomène soit limité. L’équipe de Stefan Farsang a trouvé en 2021 que durant la subduction, les ions calcium des carbonates sont remplacés par des ions magnésium. L’équipe a déterminé la solubilité de trois minéraux résultant de ces réactions : le dolomite, la magnésite MgCO3 ainsi que la rhodochrosite MnCO3. Elle a trouvé qu’ils sont beaucoup moins solubles que le calcaire, d’au moins deux ordres de grandeur. L’efficacité du recyclage en serait diminuée.
Les récentes études prennent en compte les propriétés de l’eau, comme son pH, qui influent sur sa capacité à dissoudre les carbonates. Ces mêmes fluides provoquent la fusion des péridotites de la plaque chevauchante et le volcanisme d’arc, par lequel le carbone s’échappe dans l’atmosphère. Une fusion de la couche de sédiments et de la croûte océanique altérée est également possible. Les magmas engendrés de cette manière peuvent entraîner une grande quantité de carbone. Ils sont de plus entièrement miscibles avec les fluides aqueux. Tous forment donc un seul et unique fluide agissant par dissolution. Cependant, ce phénomène aboutit à une redistribution du carbone et ne libère pas lui-même de CO2.
Des diamants en carbone organique
Les carbonates sont également susceptibles de fondre, produisant une phase fluide appelée la carbonatite. Ce liquide migre dans le manteau où il peut engendrer des diamants. Ces réactions chimiques sont causées par la différence d’état d’oxydation de la croûte océanique et du manteau : tandis que la croûte est oxydée, le manteau est réducteur et le diamant y est la forme stable du carbone. La plupart des diamants proviennent du manteau lithosphérique, sous les plus anciens continents de la Terre. Il s’agit des cratons archéens, âgés de 4 à 2,5 milliards d’années. L’épaisseur de leur lithosphère peut dépasser les 200 km. Cependant, de rares diamants viennent de profondeurs supérieures et sont liés à des zones de subduction. On les appelle les diamants sous-lithosphériques. Ils sont plus jeunes que les diamants lithosphériques. Les inclusions minérales qu’ils contiennent ont des affinités avec l’éclogite, la version métamorphisée des roches basaltiques de la croûte océanique, alors que les inclusions des diamants lithosphériques renvoient vers les péridotites du manteau. La composition isotopique de leur carbone varie beaucoup. Ils peuvent être très appauvris en carbone 13, comme les diamants du conduit volcanique Juina-5 au Brésil, appelé pipe par les géologues. Il est rempli de kimberlite, la matrice habituelle des diamants. Ceux-ci ont probablement cristallisé à partir de carbone organique ajouté à de la croûte océanique par hydrothermalisme (circulation d’eau chaude).
Moins de 20 % du CO2 rejeté par les volcans des zones de subduction provient du manteau. Le reste est originaire des sédiments et dans une moindre mesure de la croûte océanique et du manteau lithosphérique altérés. Ce sont chaque fois des circonstances géologiques particulières qui déterminent l’injection de carbone dans la zone de subduction et l’efficacité du recyclage. Ainsi, la surrection d’une chaîne de montagnes entraîne une forte érosion et un transport élevé de carbone organique vers la mer. Si ce carbone est conduit vers une zone de subduction, du CO2 allégé en carbone 13 est entraîné dans le manteau. C’est ce qui se passe actuellement dans la zone des Cascades en Amérique du Nord. La plaque en subduction est chaude parce que jeune, ce qui favorise la dissolution, la dévolatilisation et la fusion du carbone sédimentaire qu’elle porte. Il est principalement d’origine organique, si bien que le carbone émis par les volcans est léger. À l’inverse, la plaque Pacifique s’est refroidie quand elle commence sa subduction dans la fosse des Tonga, très loin de la dorsale Est-Pacifique où elle a pris naissance. Le carbone, majoritairement contenu dans la croûte océanique altérée, est par conséquent peu recyclé.
Il faut prendre garde au fait que la composition isotopique du carbone émis par les volcans ne reflète pas forcément celle du carbone de la plaque plongeante. Un fractionnement isotopique se produit lors de la dévolatilisation et de la fusion : le carbone oxydé est favorisé. C’est donc un carbone alourdi qui est émis par les volcans. Les sédiments d’Amérique centrale sont concernés par ce phénomène. Ils sont riches en carbone biogénique (produit par des organismes vivants), aussi bien oxydé que réduit. Le carbone oxydé se trouve par exemple dans les coquilles d’animaux. Quant au carbone réduit, c’est celui de leur matière organique. Elle préférentiellement envoyée dans les profondeurs du manteau, où elle peut engendrer des diamants.
On pourrait citer de nombreuses études. Elles apportent toutes un éclairage sur le recyclage du carbone, mais il reste encore beaucoup à savoir sur les processus en jeu, qui ont lieu à des dizaines de kilomètres sous la surface de la Terre et ne sont donc pas accessibles à l’observation directe.
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Terry Plank & Craig E. Manning, Subducting Carbon, Nature, 17 October 2019.
Peter B. Kelemen & Craig E. Manning, Reevaluating carbon fluxes in subduction zones, what goes down, mostly comes up, PNAS, July 28, 2015.
Stefan Farsang et al., Deep carbon cycle constrained by carbonate
solubility, Nature Communications, 14 July 2021.
A.R. Thomson et al., Origin of sub‑lithospheric diamonds from the Juina‑5 kimberlite (Brazil): constraints from carbon isotopes and inclusion compositions, Contributions to Mineralogy and Petrology 168, 2014.
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