Les plus grands édifices volcaniques de la Terre ne se trouvent pas sur les continents mais au fond des océans, au sommet des dorsales océaniques. Ce sont des montagnes qui s’allongent généralement au milieu des océans. Le cas du Pacifique est spécial, puisque sa dorsale, la plus active de toutes, se trouve du côté des Amériques. Elle est très active dans l’hémisphère Sud, où elle est séparée de l’Amérique du Sud par la plaque de Nazca.
Le magma qui monte sous la dorsale devient du basalte en se solidifiant. Il s’agit d’un basalte appelé MORB (Middle Ocean Ridge Basalt), qui est relativement riche en silice et contient des olivines. Ces minéraux sont des composants majeurs du manteau supérieur de la Terre. Ils sont donc également présents dans la croûte océanique. On dit que ce basalte est tholéiitique à olivine.
Les émissions de dioxyde de carbone par les dorsales
On sait que les volcans émettent des gaz, dont de la vapeur d’eau et du dioxyde de carbone. Ils agissent sur les climats de la Terre grâce à l’effet de serre radiatif. Qu’en est-il des 56 000 km de dorsales océaniques, dont les éruptions sont très difficiles à observer ? En 2018, des scientifiques de plusieurs universités et instituts, dont l’université de Lorraine, sous la direction de Marion Le Voyer, ont fourni une évaluation du flux de CO2 émis par la totalité des dorsales. Leur article a été publié en 2019 dans la revue Cheochemistry, Geophysics, Geosystems.
Leur conclusion repose sur l’analyse de 753 échantillons de verre de basalte océanique, auxquels se sont ajoutés 2 446 échantillons présentés dans des publications antérieures. Tous ont été prélevés sur des dorsales, ce qui implique qu’ils sont récents. À la différence des minéraux comme l’olivine, les verres basaltiques reflètent le magma des dorsales : c’est du liquide figé. Les basaltes jeunes ont des vésicules provenant des gaz du magma. On estime que 80 à 90 % du dioxyde de carbone du basalte océanique peut s’échapper. La concentration primaire en CO2 a été estimée entre 0,0104 et 1,9 % en masse. Par conséquent, le flux de CO2 émis par la totalité des dorsales est d’environ 1 320 mille milliards de moles par an, soit 0,058 Gt/an (gigatonnes par an).
Il est comparable au flux de CO2 émis par les volcans aériens, qui est de 0,07 Gt/an. Ces flux sont très faibles en comparaison des émissions de CO2 par les activités humaines. Celles-ci dépassent les 4 Gt/an. À court terme, le dioxyde de carbone émis par les volcans aériens et sous-marins ne peuvent guère avoir d’effet climatique, d’autant plus que le CO2 provenant des dorsales océaniques se dissout dans l’eau puis est transformé en ions bicarbonate.
Les variations de l’activité magmatique des dorsales
Ce résultat n’implique cependant pas que les dorsales océaniques n’aient pas fait varier les climats dans le passé. En 2015, la géophysicienne Maya Tolstoy, de l’université Columbia à New York, a publié un article surprenant, selon lequel les dorsales pourraient avoir joué un rôle dans le cycle des glaciations du Quaternaire, notamment dans les derniers cycles de 100 000 ans.
Premièrement, elle a observé que les éruptions se produisent dans les dorsales principalement pendant les marées de mortes-eaux et de janvier à juin. Cela peut sembler vraiment très bizarre, mais durant le premier semestre, la Terre est plus proche du Soleil que durant le second. Les forces de marée que le Soleil exerce sur elle sont donc plus intenses. Celles-ci agissent, non pas seulement sur les océans, mais aussi sur le manteau et la croûte terrestres, qui subissent une déformation bien qu’ils soient solides. Le sol s’élève et s’abaisse deux fois par jour, à cause de la rotation de la Terre sur elle-même. On peut comprendre que ces déformations aident le magma à monter par des fissures et que cela provoque des éruptions. Durant les marées de mortes-eaux, les forces de marées exercées sur la Terre par le Soleil et la Lune s’affaiblissent mutuellement. Le taux d’éruptions diminue par conséquent.
Deuxièmement, depuis quelques millénaires, il y a peu d’éruptions, mais cela n’a pas toujours été le cas. Un cycle de 100 000 est décelable dans la bathymétrie (la profondeur) des fonds océaniques, autour des dorsales rapides comme celle du Pacifique. L’activité magmatique y est abondante, si bien qu’une épaisse croûte basaltique y est produite. Cette croûte s’épanche des deux côtés de la dorsale : c’est l’expansion des fonds océaniques, qui est l’une des manifestations de la tectonique des plaques. À 17° de latitude Sud, l’expansion se fait à la vitesse de 14,7 centimètres par an. Si le magmatisme devient plus intense, l’épaisseur de la croûte produite augmente et la bathymétrie diminue.
Plus la croûte est éloignée de la dorsale, plus elle est ancienne. Maya Tolstoy a comparé la bathymétrie jusqu’il y a 775 000 ans avec la concentration de l’atmosphère en CO2 durant les 800 000 dernières années, telle qu’on la connaît grâce aux carottes de glace de l’Antarctique. Elle a également pris en compte l’excentricité de l’orbite terrestre, qui varie d’une valeur proche de 0 (orbite presque circulaire) à 0,06. Actuellement, elle est de 0,0167. Une correspondance apparaît. Quand la concentration en CO2 est faible, l’excentricité est également faible et le magmatisme est décroissant. Les remontées abruptes de la concentration en CO₂ coïncident avec des reprises aussi abruptes du magmatisme et une excentricité élevée. La période principale de ces phénomènes et d’environ 95 000 ans. Pour la bathymétrie, on constate cependant un deuxième période de 55 000 ans et une troisième de 71 000 ans, qui ne sont pas observables dans l’excentricité.
Comparaison n’est pas raison. Les correspondances constatées ne sont significatives que si des mécanismes physiques lient la concentration en CO2 atmosphérique à l’activité magmatique des dorsales rapides et à l’excentricité. Quand elle a écrit son article, Maya Tolstoy savait que les émissions de CO2 des dorsales sont faibles, quoique l’estimation qu’elle avait admise fût un peu supérieure à celle de Marion Le Voyer : 0,88 Gt/an. De plus, le transport du CO2 du plancher océanique à l’atmosphère est « physiquement et géochimiquement complexe ». Elle n’a donc pas exclu une contribution du volcanisme d’arrière-arc et d’arc insulaire, lié à la subduction des plaques océaniques.
Par ailleurs, les glaciations, qui se produisent durant les périodes de basse concentration en CO2 atmosphérique, font baisser le niveau des mers, puisque de l’eau s’accumule sur les continents sous forme de glace. La variation est de l’ordre de 100 mètres. Cette baisse accroît la fusion du manteau et donc le volcanisme des dorsales ainsi que le volcanisme d’arc. Cela va dans le sens contraire des observations : quand il y a peu de CO2, le volcanisme devrait être faible. Néanmoins, cet effet ne serait qu’une rétroaction négative s’exerçant avec retard : elle atténuerait la glaciation. Il pourrait même intervenir dans la sortie de la glaciation. Une augmentation de l’excentricité contribuerait également à l’émission de gaz à effet de serre. Tout en restant consciente de la difficulté du CO2 émis par les volcans sous-marins à quitter l’océan, Maya Tolstoy maintient qu’une variation de l’activité des dorsales devrait se faire sentir dans l’atmosphère.
Sa théorie reste assez incertaine. Les observations qu’elle a effectuées méritent cependant d’être retenues. Avant elle, personne n’avait pensé que l’activité volcanique des dorsales océaniques pouvaient dépendre des forces de marées et varier au cours du mois. Le fait que les éruptions se produisent principalement de janvier à juin reste surprenant.
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Marion Le Voyer et al., Carbon Fluxes and Primary Magma CO2 Contents Along the Global Mid-Ocean Ridge System, Cheochemistry, Geophysics, Geosystems 20, 1387–1424, 2019.
Maya Tolstoy, Mid-ocean ridge eruptions as a climate valve, Geophysical
Research Letters 42, 1346–1351, 2015.
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