Les spectateurs du film science-fiction Avatar de James Cameron, sorti en 2009, se sont émerveillés devant d’étonnantes montagnes volantes de la planète Pandora, les monts Hallelujah. Lors d’une visite dans la capitale chinoise le 23 décembre 2009, le réalisateur a expliqué qu’il s’était inspiré des Huangshan (les « monts Jaunes » en chinois) dans la province d’Anhui. Ses propos ont été rapportés par le Quotidien du Peuple : « Les versants abrupts et escarpés, la qualité serrée des roches, ainsi que les pics entourés de nuages flottants m’ont donné l’inspiration, et ce que j’ai pu faire c’est de placer la colline dans le ciel. Je n’ai pas eu le temps de me rendre en Chine pour cela, mais mon groupe de tournage y a envoyé des spécialistes pour choisir des sujets et pour prendre des photos. Après leur retour, les sujets et les images ont été visualisés et il a été décidé d’assimiler certains éléments. »
Mais le gouvernement chinois a réécrit l’histoire : d’après lui, c’est le Parc national forestier de Zhangjiajie (prononcer Tchang-tsia-tsie) qui aurait inspiré Cameron. L’information a été diffusée sur son site officiel. En janvier 2010, il annonçait qu’une montagne appelée la « Colonne céleste du sud », culminant à 1 045 mètres, a été rebaptisée « Mont Hallelujah » lors d’une cérémonie. L’objectif était d’attirer les touristes en profitant du succès mondial du film. Lorsqu’on découvre ce parc national, on pardonne aux autorités chinoises leur inexactitude, car il est encore plus spectaculaire que les Huangshan. Les pics rocheux ressemblent beaucoup aux montagnes flottantes des Hallelujah.
Cette zone de 398 km² est devenue un Géoparc mondial de l’UNESCO en 2015. Auparavant, à partir de 2004, elle faisait partie du Réseau mondial des géoparcs, soutenu par l’UNESCO. Zhangjiajie est le nom d’une préfecture qui comptait un million et demi d’habitants en 2007, exerçant sa juridiction sur les districts de Yongding et de Wulingyuan, dans la province méridionale du Hunan. Elle se trouve au sud du fleuve Yangzi (le Yangtsé kiang), dans une région montagneuse située à l’est du Tibet. Les autochtones n’y sont pas des Chinois : ce sont des Tujia, des Bai et des Miao. Ils représentent 60 % de la population. Le géoparc de Zhangjiajie se trouve dans le district de Wulingyuan.
Son paysage fantasmagorique résulte de l’érosion de couches de grès, qui a laissé 3 100 colonnes aux formes variées. Ils occupent une surface de 86 km². Un millier d’entre elles a plus de 120 mètres de haut, la plus grande, le roc de Jinbian, excédant les 350 mètres. Il y a également des murs de grès et des arches. Ces sculptures produites par l’érosion sont courantes en Chine comme ailleurs. On peut par exemple citer Bryce Canyon aux USA, mais les colonnes du géoparc de Zhangjiajie sont répartis de manière plus dense et portent une végétation luxuriante comprenant des espèces rares. Leurs formes sont également plus variées.
La question est de savoir comment la nature peut créer de tels paysages. Pour cela, il faut remonter dans le temps. L’histoire commence durant le Silurien, période allant de 443 à 419 Ma (millions d’années) durant laquelle des végétaux primitifs, dépourvus de feuilles, poussaient sur les rives des cours d’eau et des lacs. Les arthropodes, sortis les mers, avaient commencé à les suivre sur la terre ferme. À cette époque, la Chine n’existait pas encore. Elle est composée de deux parties, le craton sino-coréen et le bloc de Chine du Sud, qui n’ont été assemblés que durant le Trias (de 252 à 201 Ma). Le géoparc se trouvait dans le bloc de Chine du Sud, qui était alors entouré d’océans.
Au milieu du Silurien, la région était sous une mer peu profonde, comme le prouve la présence de lentilles de calcaire bioclastique (composé de débris de coquilles ou d’autres organes en calcaire). Elles figurent dans une épaisse couche d’argiles avec des intercalations de grès. Ces sédiments constituent ce qu’on appelle la formation de Xiushan. Une autre formation géologique qui a été reconnue, de la même époque, est celle de Xiaoxi. Elles constituent le socle du géoparc. La sédimentation s’arrête ensuite, ce qui signifie que la mer s’est retirée, puis elle reprend durant le Dévonien (de 419 à 359 Ma) moyen, l’époque des premières forêts. Cette fois, il se dépose 520 mètres de sable constituant la formation de Yuntaiguan. Ce sable composé de grains de quartz a au fil du temps été cimenté en grès. Il comprend des couches de silt, qui est un sable très fin, et de silt mêlé à de la boue. Il est surmonté par la formation de Huangjiadeng du Dévonien supérieur, dont l’épaisseur va de 5,3 à 40,6 mètres. C’est du grès ferrugineux contenant une à trois couches d’hématite – un oxyde de fer. Ces couches plus résistantes à l’érosion forment les « chapeaux » de certaines. On peut alors les considérer comme des « cheminées des fées ».
C’est au cours du Dévonien supérieur que la terre a été pour la première foulée par des vertébrés : des amphibiens. La période suivante, le Carbonifère (de 356 à 299 Ma), est celle des grandes forêts marécageuses transformées en veines de charbon. Elle n’a laissé aucun sédiment dans le géoparc, qui était donc toujours émergé. La mer est revenue durant le Permien (de 299 à 252 Ma) et a déposé une épaisse couche de calcaire. Cette sédimentation s’est poursuivie au début du Trias (de 252 à 201 Ma) puis s’est arrêtée. Plus rien ne s’est déposé ensuite, à part les alluvions de cours d’eau récents. Il manque donc les strates du Jurassique et du Crétacé. Les colonnes ont été taillées dans les grès du Dévonien et non dans les calcaires du Permien et du Trias, si bien que ce relief n’est pas karstique. Il y a des grottes sur le mont Tianzi et au nord-est du géoparc, le long de la rivière Suoxi, mais elles ont été creusées dans les calcaires du Trias et sont sans rapport avec les colonnes de grès.
Il reste à expliquer comment s’est effectuée l’érosion de ces couches de sédiments, sachant qu’elles se trouvaient sous la mer durant le Trias. Il a d’abord fallu qu’elles soient soulevées. Le premier mouvement a entraîné le retrait de la mer, non seulement de la région mais tous les deux blocs qui ont constitué la Chine et qui ont été assemblés, provoquant la surrection inévitable de montagnes. Le soulèvement suivant a eu lieu durant le Jurassique supérieur, environ de 160 à 140 Ma, parce que l’assemblage de l’Asie se poursuivait. Il a créé un réseau de failles de direction nord-nord-ouet et est-nord-est. Des mouvements ont continué durant presque tout le Crétacé, de 130 à 68 Ma. Ils ont réactivé les failles préexistantes et ont créé un réseau de petits joints. Par ce terme, on désigne des fractures d’une roche dont les deux parties n’ont pas glissé l’une contre l’autre, au contraire de ce qui se passe avec une faille. Il est bien évident que toutes ces fractures ont permis le façonnage ultérieur des colonnes.
Actuellement, le fond des vallées se trouve à 200-300 d’altitude et les colonnes s’élèvent jusqu’à 1 300 mètres. C’était à peu près le niveau initial du sol, avant que l’érosion ne commence à le creuser. Le terrain a une inclinaison générale de 5° à 8° vers le nord-est et le nord-nord-est, qui fait couler la rivière Suoxi dans cette direction. On distingue deux anticlinaux et deux synclinaux. Ce sont des plis dont la concavité est respectivement orientée vers le bas et le haut : sans l’érosion, les anticlinaux correspondraient à des crêtes.
Contrairement à ce qu’affirme un article de journal donnant par ailleurs une très belle présentation du géoparc, le site n’a pas subi d’érosion pendant 300 millions d’années. On admet que le phénomène n’a commencé qu’au milieu du Pléistocène, c’est-à-dire il y a guère plus d’un million d’années. Il a probablement un rapport avec la série de glaciations qui a marqué toute cette époque, mais si des calottes glaciaires se sont installées au nord de l’Asie, elles n’ont jamais atteint la Chine. Ce qui est en cause, ce sont les changements de climat et la mise en place de la rivière Suoxi. Elle a incisé des terrains continuant à s’élever à la vitesse de 2 centimètres par siècle depuis 930 000 ans. Les géologues ont distingué d’anciennes terrasses alluviales. Ils ont également supposé que la végétation avait joué un rôle dans la fracturation des roches, grâce aux racines. La présence de siltite, moins résistante que le grès, a créé des zones de faiblesse plus entaillées par l’érosion.
Les eaux ont érodé les versants du mot Tianzi, de tous les côtés, en y laissant les colonnes de grès. Le sommet de cette montagne, à peu près plat, porte encore des calcaires du Permien. Quelques grottes y sont présentes à 900 mètres au-dessus du niveau de la mer. Tout autour, le calcaire puis les grès ont été retirés, faisant apparaître les sédiments du Silurien. Plus à l’est, les vallées de Wangjia et de Heicao ont été creusées de la même manière. Elles comportent un second ensemble de colonnes. Leur durée de vie sera brève à l’échelle des temps géologiques. Des colonnes s’effondreront. D’autres seront sculptées par la poursuite de l’érosion, mais le mont Tianzi finira par être complètement érodé et il ne restera plus de colonnes pour orner ses pentes.
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Yang Guifang et al., Quartz sandstone peak forest landforms of Zhangjiajie Geopark, northwest Hunan Province, China: pattern, constraints and comparison, Environmental Earth Sciences 65, 1877–1894, 2012.
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