Du 28 juillet au 26 septembre 2017, le navire JOIDES Resolution a parcouru la mer de Tasman pour prélever des carottes de sédiments sur six sites numérotés U1506 à U1511. L’objectif était d’explorer le continent perdu Zealandia, qui repose à 94 % sous les eaux. Les seules terres qui en émergent sont la Nouvelle-Zélande, la Nouvelle-Calédonie et quelques îles plus petites, dont celle de Lord Howe du côté de l’Australie. Ce continent, qui recouvre une surface de près de cinq millions de kilomètres carrés, a été recouvert par les eaux quand il s’est détaché du Gondwana durant le Crétacé, il y a environ 85 millions d’années.
Voir Comment le continent englouti Zealandia s’est séparé de l’Antarctique occidental
Des forages dans la mer de Tasman
Les causes exactes de cette submersion demandent encore à être précisées, mais l’expédition 371 du JOIDES Resolution n’avait pas été lancée pour résoudre ce problème : elle cherchait à étudier les sédiments qui se sont déposés sur ce continent et à comprendre comment la subduction de la plaque Pacifique sous la plaque australienne avait commencé. Actuellement, la première s’enfonce sous la seconde, à la suite d’un mouvement qui se fait à peu près vers l’ouest. Quant à la plaque australienne, elle porte à la fois l’Australie (jusqu’à la Papouasie-Nouvelle-Guinée) et Zealandia. Sur la carte, la partie nord de ce continent est indiquée par une ligne pointillée. La subduction est indiquée par une ligne crénelée.
La plaque Pacifique se plie et s’enfonce dans l’asthénosphère en créant la fosse des Kermadec, au nord de la Nouvelle-Zélande, prolongée par celle des Tonga. Cette dernière atteint une profondeur de 10 882 mètres, ce qui en fait la deuxième fosse la plus profonde après celle des Mariannes. Les îles Kermadec et Tonga sont des arcs volcaniques qui font partie de la ceinture du feu du Pacifique. Le phénomène se produit dans toute zone de subduction : la plaque plongeante se déshydrate, l’eau monte dans le manteau de la plaque chevauchante, celle de l’Australie en l’occurrence, et entraîne sa fusion. Les éruptions qui se produisent font naître un chapelet d’îles volcaniques.
Les six sites de forage sont indiqués sur la carte. Cinq d’entre eux sont situés dans la partie nord de Zealandia et le sixième, U1511, est dans la plaine abyssale de la mer de Tasman. Celle-ci comprend des plateaux qui s’élevent par endroits à moins de 2 000 mètres de profondeur, dont celui de Lord Howe. L’île de Lord Howe apparaît comme un point rouge sur la bordure occidentale de ce plateau (juste à gauche des mots « Lord Howe Rise »). Elle émerge parce que c’est un volcan relativement jeune : il a 7 millions d’années. Étant sous les eaux depuis le Crétacé supérieur, Zealandia a eu le temps d’amasser des centaines de mètres de sédiments. Sur le site U1506, le JOIDES Resolution les a atteints à 1 495 mètres sous la surface de la mer. Il a alors traversé 256 mètres de vase à foraminifères et de craie, dont l’âge va du Pléistocène au Miocène moyen (environ jusqu’il y a 14 Ma), puis 41 mètres de roches volcaniques, toutes basaltiques, qui n’ont pas été datées.
Un bassin sépare la ride de Norfolk, dont la Nouvelle-Calédonie est la partie émergée, du plateau de Lord Lowe. Il s’étend jusqu’au plateau Challenger, près de la Nouvelle-Zélande. Il est noté NCT (New Caledonia Trough) sur la carte. Sur site U1507, où deux forages ont été effectués, la mer a 3 568 mètres de profondeur. Ils ont d’abord rencontré 685 mètres de vase et de craie allant jusqu’au Miocène, avec des intercalations de calcaire et de turbidites volcanoclastiques (des débris de roches volcaniques ayant chuté dans le bassin), puis 170 mètres de craie plus homogène, contenant cependant des cendres volcaniques, puis de nouveau de la vase et de la craie jusqu’à l’Éocène moyen. Pour atteindre le Paléocène et le Crétacé, il a fallu aller sur le site U1509, plus au sud dans le bassin de Nouvelle-Calédonie. La profondeur de la mer y est de 2 911 mètres.
L’équipe internationale qui a participé à cette expédition a publié ses premiers résultats en 2019. Elle est dirigée par Rupert Sutherland, de l’université Victoria de Wellington, et Gerald Dickens, de l’université Rice à Houston. Elle comprend Aurélien Bordenave, Julien Collot et Samuel Etienne du Service géologique de la Nouvelle-Calédonie. Les microfossiles trouvés dans les sédiments permettent d’avoir une idée des climats des époques où ils ont vécu. Les foraminifères trouvés dans les vases sont des organismes unicellulaires à coquille en calcaire très utilisés en paléoclimatologie, mais ils fournissent aussi des renseignements sur la profondeur de la mer. On sait distinguer les organismes planctoniques (vivant en suspension dans l’eau de mer) des organismes benthiques (vivant sur le fond de mers). Le fait que des fossiles en calcaire puissent être trouvés signifie qu’ils se sont déposés sous la lysocline : la profondeur à partir de laquelle le calcaire commence à se dissoudre. Sur le site U1506, les foraminifères benthiques de l’Éocène moyen sont caractéristiques d’un environnement bathyal (entre 200 et 2 000 mètres de profondeur). La profondeur de la mer s’est accru de 500 à 1 000 mètres à partir de la fin de l’Oligocène, il y a environ 34 millions d’années.
Soulèvements et affaissements de Zealandia
Les figures ci-dessus donnent une synthèse des observations. Il apparaît que le relief de Zealandia a beaucoup changé durant l’Éocène (de 56 à 34 Ma). Les environnements néritiques (moins de 200 mètres de profondeur), bathyaux et abyssaux (plus de 2 000 mètres de profondeur) sont respectivement en rose, en bleu clair et en bleu foncé. Les terres émergées sont en blanc. Il y a 55 Ma, au tout début de l’Éocène, il existait un arc de roches du Mésozoïque sur lequel l’environnement était bathyal. La Nouvelle-Calédonie en faisait partie et était immergée, comme les montrent les sédiments du Crétacé et du Paléocène (de 66 à 56 Ma) qui se sont déposés sur la Grande Terre, l’île principale. Au nord-est, il y avait une petite dorsale dite de Poya. Elle est à l’origine d’écailles de croûte océanique poussés sur la Grande Terre.
Il y a 50 Ma, le bassin de Nouvelle-Calédonie a commencé à se creuser tandis que la croûte continentale se soulevait au sud-ouest jusqu’à être émergée, provoquant l’arrêt de la sédimentation sur ce qui allait devenir le plateau de Lord Howe. Sur les cartes, les subsidences (les affaissements) et les soulèvements sont indiqués par des flèches blanches. Les mouvements tectoniques compressifs ou extensifs que subit la croûte sont indiqués par des doubles flèches noires. Une dorsale océanique comme celle de Poya est extensive. À cette époque, la ride de Norfolk était soumise à une compression alors que le bassin voisin était peut-être en extension.
Toujours durant l’Éocène, il y a 45 Ma, les mouvements étaient plutôt subsidents. Le bassin a continué à se creuser et le plateau de Lord Howe est retourné sous la mer. Une subduction a commencé au nord de la Nouvelle-Calédonie en créant des volcans actifs représentés par des triangles rouges. La Grande Terre a émergé à la fin de l’Éocène. La zone de subduction s’est allongée tout en se déplaçant vers l’est. Elle a laissé derrière elle une ligne de volcans éteints représentés par des triangles blancs.
Reprise d’une subduction
Il restait à expliquer la cause de ces mouvements verticaux, aux amplitudes comprises entre 1 000 et 3 000 mètres. C’est l’objet d’un article paru dans le journal Geology. Il précise une théorie qui n’est pas nouvelle, puisqu’elle avait déjà été présentée en 2010 par Rupert Sutherland, Julien Collot et d’autres scientifiques. Elle était basée sur des données sismiques et sur une campagne de forages antérieure, effectuée en 1972 par le navire Glomar Challenger. Trois sites sont indiqués sur la première carte, avec les numéros 206 à 208. L’idée est que l’élévation du plateau de Lord Howe a été causée par une montée de l’asthénosphère, c’est-à-dire de la partie profonde, chaude et ductile du manteau située sous les plaques lithosphériques, et que la subsidence du bassin de Nouvelle-Calédonie résulte d’une délamination. La partie inférieure de la croûte continentale s’est détachée et a sombré dans le manteau, si bien qu’elle a été amincie.
Les trois schémas montrent le déroulement des évènements. Il s’agit de trois coupes géologiques effectuées le long du segment de droite qui passe à côté du site 208 et se termine au sud de la future Nouvelle-Calédonie. La croûte continentale de Zealandia est en rose, le manteau lithosphérique en gris et l’asthénosphère en jaune. Durant le Crétacé, une subduction avait lieu, puis elle s’est arrêtée. Il en reste des plutons de roches magmatiques représentés en rouge. Un arc volcanique se trouvait à cet endroit. Il y a 60 Ma, le bord de Zealandia est une marge passive : du point de vue géologique, il ne s’y passe rien. Cependant, au large du continent immergé, la dorsale de Poya est en action. L’asthénosphère monte et de la croûte océanique est créée. Elle est représentée en mauve.
La plaque océanique qui était en subduction s’est collée sous la croûte continentale. À grande profondeur, les roches basaltiques (en vert) ont été métamorphisées en éclogite (en bleu sombre), qui est une roche plus dense. Sa présence crée une anomalie de masse et une instabilité du manteau. Il y a 50 Ma, lors d’un mouvement général de convergence (ou compression), l’asthénosphère monte et provoque le détachement de l’ancienne croûte océanique, qui était devenue la partie inférieure de la croûte continentale de Zealandia. La fracture se propage à plus d’un kilomètre par an. Pendant qu’elles sombrent dans le manteau, les roches basaltiques sont converties en éclogite. À plus faible profondeur, elles sont métamorphisées en schiste bleu (Blueschist). La convergence entraîne la disparition de la dorsale de Poya et fait grimper de la croûte océanique sur Zealandia. Elle y devient une ophiolite.
Il y a 40 Ma, la subduction recule vers le nord-est (subduction roll-back). Les schistes bleus montent par flottabilité jusqu’à arriver à affleurement, tandis que la Nouvelle-Calédonie émerge. Il se produit cependant un effondrement (collapse) du côté oriental.
L’objectif principal de l’expédition 371 était bien de comprendre comment la subduction a commencé dans la région des îles Tonga et Kermadec, mais c’est une autre subduction qui vient d’être décrite. Elle explique les changements de relief que Zealandia a subi durant l’Éocène. Cependant, tout est lié. Des évènements tectoniques majeurs se sont produits dans le Pacifique occidental au début de l’Éocène, plus exactement durant l’Yprésien (de 56 à 47,8 Ma). La subduction de la plaque Pacifique sous la plaque philippine a commencé, entraînant la naissance des îles volcaniques Izu, Bonin et Mariannes. L’arc volcanique des Tonga est également né durant l’Yprésien. La plaque Pacifique a alors été tirée vers l’ouest, puisque c’est la subduction qui est responsable de son mouvement. Au même moment, le plancher océanique de la mer de Tasman a arrêté son expansion : sa dorsale est devenue inactive.
Sutherland et Dickens insistent sur un nouveau concept qu’ils ont défini. Ils l’ont appelé un événement de rupture de subduction. Il s’agit du détachement de l’ancienne plaque subduite, grâce à un forçage local, et de la reprise de la subduction. C’est un évènement rare qui a dû se produire 40 à 100 fois depuis que la tectonique des plaques existe.
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R. Sutherland et al., Continental-scale geographic change across Zealandia during
Paleogene subduction initiation, Geology, February 6, 2020.
Trois figures ont été extraites de cet article publié sous licence CC BY 4.0.
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