Plusieurs fois au cours de son histoire, la Terre a été presque entièrement recouverte de glace. Ces évènements ont été rares, notre planète ayant eu, au cours de ses 4,57 milliards d’années d’histoire, des climats plutôt cléments voire chauds. Ils peuvent donc être considérés comme des accidents, ou pour parler en termes plus scientifiques, comme des périodes de profonds déséquilibres. Durant tout le deuxième éon, l’Archéen (de 4 à 2,5 Ga), une seule glaciation est repérée : celle de Pongola dans l’actuelle Afrique du Sud. Elle s’est produite il y a 2,9 milliards d’années. Le début du troisième éon, le Protérozoïque (de 2,5 Ga à 541 Ma), est marqué par trois glaciations qui ont d’abord été identifiées au Canada.
Les glaciations huroniennes
Ce sont des niveaux de diamictites qui permettent de reconnaître ces glaciations : des débris cimentés de roches d’origines et de tailles diverses. Ils ne sont pas classés, c’est-à-dire que les petits et les grands débris sont mélangés. De telles roches ne contiennent jamais de fossile, a fortiori quand elles remontent au Protérozoïque, et ne sont pas directement datables. Les glaciers produisent de telles roches, certaines étant désignées par le terme plus spécialisé de tillite. Les sédiments du supergroupe huronien, au Canada, ont une épaisseur totale de 12 kilomètres et comprennent trois niveaux de diamictites. Ils sont encadrés, à la base, par des roches volcaniques âgées de 2,47 Ga, et au sommet, par des roches basaltiques âgées de 2,21 Ga.
Ces deux âges fournissent un encadrement des glaciations huroniennes, qui se sont donc produites durant une période de 260 millions d’années. Cela ne signifie pas, contrairement à ce qui a été souvent compris, que la Terre a été recouverte de glace pendant 260 Ma au début du Protérozoïque. De plus, on ignore à quelle latitude ces sédiments se trouvaient à cette époque. S’ils étaient à de hautes latitudes, ils ne témoignent pas forcément de glaciations globales. Cependant, une autre (?) glaciation a été identifiée dans la formation Makganyene en Afrique du Sud et elle a été datée à environ 2,4 Ga. Cette fois, on sait que cette région était à environ 11° de latitude. La présence de glaciers si près de l’équateur est significative. D’autres dépôts glaciaires ont été reconnus ailleurs en Amérique du Nord et en Afrique du Sud, en Australie occidentale et sur le bouclier baltique.
Les glaciations huroniennes ont coïncidé avec la Grande Oxygénation, comme le montrent les sédiments situés sous et sur les trois niveaux de diamictites. Le dernier niveau est surmonté de grès rouges, qui nous sont familiers mais qui n’existaient pas avant que l’oxygène ne se répande dans l’atmosphère : ils doivent leur couleur à l’oxydation du fer.
Nombre de scientifiques pensent qu’avant la Grande Oxygénation, le méthane était répandu dans l’atmosphère. Il était émis par des organismes unicellulaires, les archées méthanogènes, or c’est une puissant gaz à effet de serre. Sa présence permettait de compenser un rayonnement solaire qui était plus faible que maintenant et d’éviter à la Terre d’être glacée. L’émission d’oxygène par les cyanobactéries aurait transformé ce méthane en dioxyde de carbone, un gaz à effet de serre moins puissant, et provoqué le repli des méthanogènes dans les zones anoxiques. Les glaciations huroniennes trouvent ainsi une explication assez simple. Toutefois, cette hypothèse de la forte concentration de méthane dans l’atmosphère n’est pas unanimement admise. Les climats chauds archéens pourraient avoir d’autres explications que la présence de ce gaz.
Voir Il y a toujours eu peu de méthane dans l’atmosphère terrestre.
La découverte des glaciations du Néoprotérozoïque
Les glaciations suivantes ne se produites qu’à la fin du Protérozoïque, durant une ère appelée le Néoprotérozoïque (de 1000 à 541 Ma) et elles ont très certainement été globales. Durant la première partie de cette ère, le Tonien (de 1000 à 720 Ma), il existait un supercontinent appelé Rodinia, qui avait l’apparence d’un immense désert. La végétation n’existait en effet pas encore. Partout, on ne voyait qu’un univers de roches nues et de sable, parcouru de rivières et de fleuves. Cela compte pour la suite des évènements, car les déserts ont un albédo de 0,4 : ils réfléchissent 40 % du rayonnement solaire qu’ils reçoivent. Les forêts et les savanes ont un albédo plus faible, qui n’excède pas 0,2. La surface des continents est plus chauffée par le Soleil quand elle est recouverte de végétation que quand elle est dénudée. Quant aux océans, ils absorbent très bien le rayonnement : leur albédo n’est que de 0,05. La faible surface des continents archéens explique en partie les climats chauds de cet éon. La Terre était alors presque une planète océan. Les surfaces continentales émergées se sont accrues au début du Protérozoïque.
C’est Sir Douglas Mawson qui, en 1949, a reconnu qu’une glaciation globale s’est produite durant le Néoprotérozoïque. Elle a été redécouverte par Walter Brian Harland en 1964. Il a toutefois abandonné sa théorie car il n’a pas pu deviner comment la Terre a pu sortir de cette glaciation. Le rayonnement solaire (dont l’intensité était inférieure à 6 % à celle d’aujourd’hui) n’auraient pas pu l’aider, car il était réfléchi à près de 80 %. La neige et la glace ont un albédo de 0,85. Pour Harland, si la Terre avait été recouverte de glace il y a entre 800 et 600 millions d’années, elle le serait toujours aujourd’hui.
Cette théorie est revenue sur le devant de la scène au début des années 1990 grâce à Joseph Kirschvink, étayée par les sédiments de la formation Elatina, dans le « complexe de rift d’Adélaïde » au sud de l’Australie. Ils ont été déposés sur terre puis dans la mer, si bien que les marées y ont laissé leurs empreintes, mais ils comportent également des traces de glaciation : des diamictites et des dropstones. Ces derniers sont des pierres lâchées par des icebergs, qui tombent dans les sédiments. Elles sont facilement reconnaissables. Le problème était de savoir à quelle latitude cette région se trouvait alors. Pour répondre à cette question, il fallait examiner le champ magnétique que les sédiments ont enregistré lors de leur dépôt. La réponse a été que cette région se trouvait à moins de 10° de latitude. Les glaciers étaient donc descendus près de l’équateur, au bord de la mer. Il ne s’agissait ni de calottes polaires, ni de glaciers de montagnes.
Kirschvink a également trouvé ce qui a permis à la Terre de sortir de cette glaciation : l’accumulation de CO2 d’origine volcanique. Mais avant d’en parler, il faut expliquer ce qui a provoqué la glaciation. Le cycle du CO2 est également en cause, car la hausse de l’albédo de la Terre n’est pas suffisante. Tandis que les volcans sont des sources de CO2, l’érosion des silicates par des pluies est un puits : elle soutire du CO2 à l’atmosphère. Le carbone se retrouve dans les océans sous forme d’ions bicarbonate et carbonate, voire sous forme de calcaire qui se sédimente sur les fonds marins. L’érosion des basaltes est particulièrement efficace. Les ères glaciaires du Phanérozoïque (le quatrième éon, de 541 Ma jusqu’à maintenant), ont été causées par l’érosion de grandes surfaces basaltiques sous des latitudes tropicales, où elles étaient soumises à de fortes pluies. Le phénomène est toujours en cours, car nous sommes dans une ère glaciaire, certes moins sévère que celle du Néoprotérozoïque.
Faiblesses du Soleil et de l’effet de serre radiatif
À la fin du Néoprotérozoïque, la Rodinia a commencé à se disloquer. Comme à chaque fragmentation de supercontinent, des rifts se sont ouverts et un intense volcanisme s’est produit. Ainsi, l’ouverture de l’Atlantique Nord, durant le Jurassique, a été annoncée par la formation de la Province Magmatique centre-atlantique, qui couvre 7 millions de kilomètres carrés. Or la Rodinia était en grande partie située sous les 40° de latitude Nord et Sud. Elle était donc exposée aux pluies tropicales, d’autant plus que les rifts se transformaient en de jeunes océans. La concentration en CO2 et les températures ont dû baisser jusqu’à ce que de la glace s’accumule au nord et au sud. Sa présence a augmenté l’albédo de la Terre, accentuant son refroidissement. Il s’est produit un emballement qui a conduit à l’avancée des glaciers jusqu’à l’équateur. Les températures ont pu descendre jusqu’à – 50 °C au hautes et moyennes latitudes et – 20 °C aux basses latitudes.
Il faut également tenir compte du fait que le Soleil était un peu moins lumineux que maintenant : l’intensité du rayonnement solaire, qui augmente de manière lente et continue depuis sa naissance, était de 6 % inférieur à ce qu’elle est maintenant. Aujourd’hui, une glaciation globale de la Terre n’est plus possible.
Puisque la surface des océans était recouverte d’une épaisse banquise pouvant dépasser les 100 mètres d’épaisseur, il n’y avait plus d’évaporation ni de précipitations et l’érosion s’est arrêtée. Le CO2 émis par les volcans a pu s’accumuler dans l’atmosphère jusqu’à provoquer la déglaciation. Les climatologues estiment qu’il a atteint une pression partielle de 0,2 bar : il représentait un cinquième de l’atmosphère.
Cette fois, l’emballement s’est produit dans l’autre sens. La baisse de l’albédo de la Terre a accentué son réchauffement. Celui-ci a été d’autant plus violent que l’atmosphère était très chargée en CO2. L’évaporation était intense ; la Terre a connu un climat exceptionnellement chaud et humide. Chargées en CO2 dissous et rendues par conséquent acides, les pluies provoquaient une forte érosion et les fleuves transportaient d’énormes quantités de sédiments dans les mers. La concentration en CO2 a de nouveau baissé, mais il a fallu pour cela des millions d’années.
Les géologues ont reconnu l’existence de deux glaciations dans une période qui a été appelée le Cryogénien. C’est la deuxième partie du Néoprotérozoïque, après le Tonien. Son commencement a d’abord été placé vers 850 Ma, puis il a été retardé à 720 Ma. Sa fin est en revanche située avec certitude à 635 Ma, si bien qu’elle a duré au moins 85 millions d’années. La première glaciation, dite sturtienne (d’après la formation Sturt dans le complexe de rift d’Adélaïde) aurait duré environ 60 millions d’années et le deuxième, dite marinoenne (d’après Marino Rocks au sud d’Adélaïde), « seulement » une dizaine de millions d’années. Une troisième glaciation, dite varangienne ou de Gaskiers, s’est produite plus tard, vers 580 Ma, mais elle n’a sans doute pas été globale.
Cap-carbonates et formations ferrifères rubanées
La formation Elatina, qui couvre 200 000 km² sur une épaisseur de 1500 mètres, est d’époque marinoenne. L’activité hydrologique avait repris puisqu’elle comprend des grès déposés dans un environnement fluviatile, puis deltaïque, puis sur un plateau continental. Les roches de Marino, qui ont donné leur nom à cette glaciation, comprennent des arkoses, qui sont des grès riches en feldspaths. Ce sont des sables cimentés produits par l’érosion d’anciennes roches. La formation Elatina est surmontée par la formation Nuccaleena, composé de 30 mètres d’un sédiment très spécial appelé un cap-carbonate. Ils comportent de la dolomite : du carbonate de calcium et de magnésium. Ces sédiments sont associés à une transgression marine. La fonte des glaciers a provoqué une hausse du niveau des mers et l’inondation de plateformes sur lesquelles les cap-carbonates se sont déposés.
La composition isotopique de ce carbone n’est pas celle des calcaires néoprotérozoïques. Elle rappelle plutôt le CO2 émis par les volcans, qui provient du manteau terrestre. Les cap-carbonates confirmeraient donc que la déglaciation s’est effectuée de la manière qui vient d’être décrite. L’atmosphère était très chargée en CO2 volcanique. Il s’est dissout dans les eaux de pluie et les cours d’eau, qui étaient relativement acides et ont emporté ce carbone vers la mer, sous forme d’ions bicarbonate et carbonate. À partir de ces derniers, de la dolomite a ensuite précipité. Si cette interprétation est exacte, dans les cap-carbonates, on peut littéralement voir le carbone qui se trouvait dans l’atmosphère et qui a permis, par un très puissant effet de serre, de sortir la Terre de sa glaciation.
Les cristaux de dolomite ne se sont pas formés de manière purement chimique. Des bactéries ont réduit les ions sulfate de l’eau de mer. Cela a permis aux ions magnésium de se combiner à des ions calcium et carbonate pour faire de la dolomite. Le réchauffement de la Terre a permis un foisonnement extrême de la vie, bien qu’elle fût encore largement unicellulaire et uniquement aquatique. Il y avait des tapis microbiens, des stromatolites (rochers laminés construits par des colonies de bactéries) et des algues rouges, sous des températures pouvant atteindre les 40 °C en été.
D’autres sédiments sont caractéristiques du Cryogénien : les formations ferrifères rubanées. Ce sont des oxydes de fer avec des intercalations de silice précipitée (du jaspe). Très communes à la fin de l’Archéen et au début du Protérozoïque, elles ont disparu il y a 1,8 Ga puis sont réapparues furtivement durant le Cryogénien, probablement parce que les océans étaient devenus anoxiques. Ils étaient séparés de l’atmosphère, où de l’oxygène était toujours présent, à cause de la carapace de glace qui les recouvrait. Des ions ferreux issus de sources hydrothermales ont alors pu s’y répandre, puis à la fin de la glaciation, quand la carapace de glace s’est rétractée, l’oxygène de l’atmosphère a pu se dissoudre dans les océans. Ces ions ont été oxydés et ont précipité. En fondant, la glace a lâché des blocs rocheux qui tombés dans les formations ferrifères rubanées.
On sait comment la vie a survécu à ces deux grandes glaciations, et notamment comment des cyanobactéries et des algues ont pu continuer à produire de l’oxygène. La présence de fragments rocheux ou de poussières sur la glace peut la faire fondre en absorbant le rayonnement solaire, créant de petits « trous d’eau » (les cryoconites) qui sont des refuges pour ces organismes. De telles cryoconites, de quelques dizaines de centimètres de diamètre, sont observées au Groenland.
Trois glaciations différentes
Il est bien évident que ces trois glaciations ne se ressemblent pas. Leurs causes ne sont pas les mêmes. La dislocation de la Rodinia était déjà bien entamée quand la glaciation marinoenne a commencé. On l’attribue à l’assemblage dans l’hémisphère Sud du supercontinent Gondwana, par collision de plusieurs cratons : d’abord ceux de l’Inde, du Kalahari, du Congo, de l’Afrique de l’Ouest et de l’Amazonie. La Laurentia, comprenant l’Amérique du Nord et le Groenland, était également présente dans l’hémisphère Sud (voir les planisphères ci-dessus). Par suite de ces collisions, de très grandes chaînes de montagnes se sont élevées, dont la chaîne transsaharienne, qui se prolonge dans l’actuel Brésil, et la chaîne est-africaine. On parle d’orogenèse panafricaine. Ces hautes montagnes situées dans un immense espace continental entourant le pôle Sud se sont recouvertes de glaciers, ce qui a dû amorcer la glaciation marinoenne.
La glaciation varangienne, plus courte, s’est produite durant l’Édiacarien (de 635 à 541 Ma), la troisième et dernière partie du Néoprotérozoïque. Les organismes de la faune d’Ediacara sont apparus juste après cette glaciation. Ainsi, le Cryogénien n’a pas été fatal à la vie, bien au contraire. Il se peut même que les éponges, les premiers métazoaires, soient apparus pendant cette période.
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