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Les éponges à l’origine de l’explosion de la vie dans les mers du Cambrien

Éponges Xestospongia testudinaria. @ Albert Kok / Wikimedia Commons / CC BY-SA 3.0.

À la base de l’arbre des métazoaires, se trouvent les éponges. Elles ont longtemps été prises pour des végétaux, mais ce sont bien des animaux. Elles sont également appelés Porifères car elles filtrent l’eau par des pores. Elles ont une sorte de squelette généralement constitué de pièces en forme d’aiguille, les spicules. Les démosponges ont des spicules en silice, mais elles peuvent aussi être dotées de fibres de spongine. Cette substance est l’élément de base de l’éponge de toilette, Euspongia officinalis. Les hexactinellides sont un groupe frère des démosponges, dont les squelettes sont constitués de spicules siliceux à six pointes.

L’origine des éponges siliceuses est problématique. Ces animaux ne font pas partie de la faune d’Ediacara, apparue il y a environ 580 Ma (millions d’années) et qui a peuplé les mers jusqu’au début du Cambrien, il y a 541 Ma. C’est à ce moment que les animaux « modernes » ont envahi les mers, au point que l’on parle d’explosion du Cambrien. Cependant, des biomarqueurs attribuables aux éponges ont été datés du Cryogénien, époque comprise entre 720 et 635 Ma, durant laquelle la Terre a connu deux glaciations globales. Elles n’ont pas été fatales pour la vie, bien au contraire, l’apparition des métazoaires en étant apparemment une conséquence. Le principal biomarqueur est la cholestane 24-isopropylique, une molécule issue de la famille des stérols. Des recherches basées sur les horloges moléculaires font également remonter les éponges siliceuses au Cryogénien, impliquant une longue lacune dans l’enregistrement fossile.

Spicules d’éponges Pachastrellidés vus au microscope. NOAA, domaine public.

Une équipe de scientifiques conduite par Chang Shan, de l’Université des géosciences de Chine à Wuhan, vient de présenter des sédiments siliceux des gorges du fleuve Yangzi (ou Yangtsé), comprenant d’abondants spicules d’éponges, ainsi que des structures ressemblant à des spicules. Ils sont datés de la transition entre l’Édiacarien et le Cambrien. Ils attestent de la prise de contrôle du cycle de la silice par les organismes biologiques dans les océans dès la fin de l’Édiacarien, ce qui leur a donné l’aspect qu’ils ont depuis le Cambrien. Grâce à leur activité de filtrage, les éponges ont contribué à la ventilation et à l’oxygénation des mers et ont par conséquent permis le développement de la vie.

Les sédiments étudiés se trouvent sur le bloc du Yangzi, l’un des petits continents dont l’assemblage a constitué la Chine. Un autre était le craton sino-coréen. En amont de la ville de Yichang dans le Hubei occidental, le Yangzi traverse deux fois la formation sédimentaire de Yanjiahe, à proximité de Miaohe et de Liantuo. Les géologues en ont examiné quatre sections. Non loin de là, un site a livré des fossiles exceptionnellement bien préservés du Cambrien : le biote de Qingjiang. La section la plus représentative de la formation de Yanjiahe, celle de Gunshi’ao, est épaisse de 54,4 mètres. Elle comprend des strates de dolomite (carbonate de magnésium et de calcaire), d’argiles, de chert (composée de microcristaux de quartz), de calcaire et de phosphates réparties en huit lits. Ce type de sédiments ne peut pas être directement daté et il n’est pas facile (et pour cause !) d’y trouver des fossiles identifiables. Les petits animaux à coquille Anabarites trisulcatus et Protohertzina anabarica y figurent. Ils caractérisent la base du Fortunien, qui est le premier étage du Cambrien. Sachant cela, on considère comme probable que la limite Édiacarien-Cambrien ait été enregistrée dans la formation de Yanjiahe.

Cartes géologiques du bloc du Yangzi et de la zone étudiée. Ce bloc est en grande partie recouvert de chert et d’argile (chert and shale) et de dolomite (dolostone). Entre Miaohe et Liantuo, le Yangzi coule sur le socle granitique précambrien, en orange. Les sédiments de l’Ediacarien et du Cambrien sont en vert.

Les chercheurs ont extrait des spicules de 129 échantillons de chert, de dolomite et de calcaire. Ce sont des aiguilles microscopiques, dont la longueur n’atteint jamais le millimètre. À l’œil nu, elles ne sont pas visibles. Les spicules des éponges actuelles qui sont dites microsclères sont semblables. Ils ont été extraits des cherts grâce à de l’acide fluorhydrique. La dolomite et le calcaire ont été dissous par de l’acide acétique. Quand les spicules sont en forme d’aiguilles, on les appelle monoaxones. Ceux qui ont été trouvés sont de ce type. Ils sont soit monoactines (pointus d’un côté et arrondies de l’autre) soit diactines (pointus de deux côtés). Les géologues ont également trouvé des spicules modifiés ainsi des structures dont l’identification comme spicules n’est pas certaine. Les conditions de fossilisation sont peut-être en cause, avec de la dissolution et recristallisation de silice durant la diagenèse (la transformation du sédiment meuble en pierre). En certains endroits, l’accumulation de spicules a été telle qu’ils ont formé une roche appelée une spiculite.

Ces découvertes montrent que les éponges étaient une importante composante des écosystèmes benthiques durant la transition Édiacarien-Cambrien, aussi bien dans les milieux côtiers soumis aux marées que dans des milieux plus profonds, situés au large. Dans les mers modernes, les sols recouverts d’éponges attirent une grande variété d’organismes. Après les cinq extinctions de masse qui ont affecté la vie dans les mers, les éponges ont prospéré et facilité la renaissance des écosystèmes. Il est par conséquent raisonnable de penser qu’elles ont joué un rôle majeur dans l’explosion cambrienne. Durant l’Édiacarien, les mers devaient être stratifiées, c’est-à-dire composées de couches d’eau superposées ne pouvant se mélanger, dominées par des cyanobactéries. Les éponges sont capables de faire circuler plusieurs milliers de litres d’eau chaque jour, afin de se nourrir de particules organiques et de carbone organique dissous. Ils clarifient de la sorte la colonne d’eau.

La présence de sources hydrothermales émettant une eau riche en silice, qui se devine dans les sédiments, a pu aider les éponges à se développer, mais elles existaient certainement durant l’Édiacarien. Il est possible que les spicules antérieurs au Cambrien aient été dissouts durant la diagenèse des sédiments dans lesquels ils étaient enfouis, mais aussi qu’ils aient également eu des formes anormales qui les aient rendus méconnaissables. Ils sont sensibles aux conditions environnementales.

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Chang Shan et al., The Ediacaran-Cambrian rise of siliceous sponges and development of modern oceanic ecosystems, Precambrian Research 333, 2019.

https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0301926819302463

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